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À quand l’enquête internationale ?

À quand l’enquête internationale ?

Deux ans, c’est long. C’est long, dans cette période d’instantanéité de l’image que nous vivons, où un événement en chasse l’autre allègrement dans nos esprits et sur nos écrans éphémères. C’est long lorsque la perte de l’être cher continue journellement, comme un couteau dans la plaie, de nous rappeler son absence. C’est long aussi, lorsque le corps et l’esprit réactualisent régulièrement le choc et le traumatisme vécus pendant ce court instant d’une violence inouïe. Deux ans, c’est très long pour les victimes qui ont tout perdu le 4 août 2020, et qui regardent tour à tour énervés, frustrés, désabusés ou résignés le cirque que leur offrent les supposés garants d’une justice que le pays ne peut même plus prétendre avoir.

Mais deux ans ce n’est qu’une courte période, lorsque l’on mesure l’ancienneté de cette nation et de son peuple. C’est très court aussi dans l’histoire de l’humanité, que nous portons dans nos gènes, faite de belles réalisations tout autant que de massacres innommables. Deux ans enfin, ce n’est qu’un instant dans l’existence de cette terre, « Pachamama » (terre-mère), comme l’appellent affectueusement les Amazoniens, qui porte et nourrit l’espèce humaine depuis des centaines de milliers d’années.

Il nous appartient alors, nous les témoins et victimes de l’explosion, de jongler avec ces deux dimensions concomitantes – longue et courte à la fois – des deux années écoulées depuis cet instant fatidique. Nous pouvons certes exprimer notre colère légitime, générée par l’inaction et l’inacceptable corruption de ces élus qui nous reviennent encore et encore à chaque élection usurpée, comme pour nous narguer dans notre douleur et notre désarroi, et leur dire notre détermination à rester là, ne serait-ce que pour tenter de réveiller en eux un brin de cette humanité qu’ils semblent avoir perdue, mais aussi et surtout pour dire haut et fort que nous sommes de cette terre bénie, et que nous y resterons malgré la tentation de « tout quitter » face à leur meurtrière médiocrité. Nous pouvons aussi nous inspirer de cette sagesse que le temps apporte, pour mesurer notre parole et notre action, afin de les rendre le plus efficaces possible.

L’Histoire regorge d’exemples d’une justice enfin rendue, parfois des décennies après l’événement, grâce à la détermination d’un petit nombre de personnes. Alors oui, je suis optimiste, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, de voir ce tort réparé un jour. Mais cet optimisme est conscient, assumé et déterminé. Je suis optimiste malgré le travail de sape qu’un juge honnête – il en est heureusement encore dans ce pays – continue de trouver sur sa route semée d’embûches. Je le suis aussi malgré la sinistre affaire des silos, ultime épisode d’une entreprise de destruction de toute trace de ce crime obscène. Il y a deux ans, une proposition française de mener une enquête internationale sur l’explosion du port avait été – ô combien poliment – refusée par l’État libanais, arguant que tous les éléments d’une enquête nationale rapide et efficace étaient réunis dans notre cher pays du cèdre. On pourrait en rire, si ce coupable refus ne venait pas encore, deux ans plus tard, bafouer la mémoire des morts et la douleur des victimes et de leurs proches. Il est encore temps de réclamer cette enquête internationale, d’exiger que la lumière soit faite sur les circonstances qui ont mené à ce drame, afin que nous puissions enfin faire notre deuil et commencer à nous reconstruire.

Rony Mecattaf*

Psychothérapeute basé à Beyrouth, Rony Mecattaf est un des milliers de blessés, victimes de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, ayant perdu totalement l’usage de son œil droit. De par sa double nationalité franco-libanaise, il a pu se constituer partie civile dans l’information judiciaire initiée par le Tribunal judiciaire de Paris et relative à l’explosion.

Deux ans, c’est long. C’est long, dans cette période d’instantanéité de l’image que nous vivons, où un événement en chasse l’autre allègrement dans nos esprits et sur nos écrans éphémères. C’est long lorsque la perte de l’être cher continue journellement, comme un couteau dans la plaie, de nous rappeler son absence. C’est long aussi, lorsque le corps et l’esprit...

commentaires (1)

Malheureusement l’optimiste naïf ne sauvera pas notre nation. Une nation a besoin des ses enfants pour la défendre et la protéger, à commencer de ses ennemis de l’intérieur. Tant que le peuple continuera à subir sans se soulever, ils continueront leur massacre d’une façon collégiale sans l’ombre d’un regret ou de repentance.

Sissi zayyat

10 h 26, le 05 août 2022

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Commentaires (1)

  • Malheureusement l’optimiste naïf ne sauvera pas notre nation. Une nation a besoin des ses enfants pour la défendre et la protéger, à commencer de ses ennemis de l’intérieur. Tant que le peuple continuera à subir sans se soulever, ils continueront leur massacre d’une façon collégiale sans l’ombre d’un regret ou de repentance.

    Sissi zayyat

    10 h 26, le 05 août 2022

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