Cent ans d’échec, de divisions, de conflits, voire de guerres, et de rendez-vous manqués avec l’histoire et le développement. Cent ans jalonnés de rencontres internationales pour le Liban, qui durent ce que durent les rapports de force régionaux et internationaux au moment de leur tenue. Cent ans d’un État miné par le confessionnalisme et le clientélisme politique qui paralysent le système et détruisent systématiquement la crédibilité des institutions publiques. Cent ans aussi d’une succession d’espoirs et de désespoirs, de crises économiques et de périodes de prospérité, cent ans de doutes et de craintes pour l’avenir qui se sont traduits par plusieurs vagues d’émigration, dont la dernière est actuellement en cours. Cent ans enfin de relations avec la France souvent étroites et parfois tendues, toujours placées sous le signe de l’émotion, en tout cas du côté libanais. C’est d’ailleurs sans doute parce qu’il a compris cet aspect des relations entre son pays et le Liban qu’Emmanuel Macron a multiplié les symboles qui vont droit au cœur des Libanais, tous les Libanais, quelles que soient leurs appartenances politiques et religieuses. Sa rencontre avec la grande Feyrouz, qui par ailleurs ne reçoit plus personne selon ses proches, son insistance à planter un cèdre dans la réserve naturelle de Jaj, un cèdre qui devrait grandir et être au rendez-vous du bicentenaire, et sa rencontre avec les représentants des différentes ONG et les volontaires qui ont spontanément réagi après la tragédie du port, sont autant de messages forts chargés d’émotion, adressés aux Libanais.
Selon le Dr Kamel Mehanna, fondateur de l’association Amel, qui était présent à la rencontre avec les ONG au port de Beyrouth, le président Macron s’est contenté de poser des questions et d’écouter les réponses sur les besoins, sur les failles et sur les mécanismes de l’aide à ce secteur devenu sinistré. C’était sans doute une façon pour lui de ne pas résumer le Liban à ses entretiens politiques, parfois houleux, avec les différents responsables et représentants des partis, en laissant ainsi une place au formidable élan de solidarité populaire qui a eu lieu après la terrible explosion du port. Il a aussi écouté les femmes, pionnières de ce mouvement de solidarité, raconter leurs différentes expériences, se laissant même aller à sourire lorsque l’un des présents lui a raconté une blague triste qui se résume ainsi : « Quel est le summum de l’optimisme ? Lorsqu’un Libanais vous dit à demain ! »
Certains parmi les présents lui ont rappelé que le Liban, qui a été l’un des pays les plus solidaires du peuple syrien, lui ouvrant ses portes lorsque l’Europe avait fermé les siennes, a aujourd’hui besoin d’aide, à la fois urgente et sur le long terme. Cette aide se divise en trois parties : la reconstruction des centres détruits, l’approvisionnement en médicaments, notamment pour les maladies chroniques, et la reconstruction des habitations de 300 000 Libanais détruites par l’explosion. Un grand nombre de ces Libanais vivent actuellement dans leurs maisons éventrées en se débrouillant comme ils peuvent, mais avec l’arrivée de l’hiver, leur situation deviendra intenable.
Après ces séquences placées sous le signe de l’émotion, le président français a ensuite entamé le volet politique de sa visite à Beyrouth. Et là, selon des sources locales, le ton a bien changé. En fait, il avait déjà préparé le terrain par plusieurs appels téléphoniques à ses interlocuteurs libanais pour les pousser à former un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais. Ce qu’il avait appelé « un gouvernement de mission » crédible et en mesure de procéder aux réformes réclamées par la communauté internationale, sans lesquelles le Liban ne pourra pas obtenir la moindre aide financière internationale.
Selon les mêmes sources, dans le cadre de ces contacts téléphoniques, Emmanuel Macron aurait donc été informé du nom du nouveau président du Conseil désigné, l’ambassadeur et professeur Moustapha Adib. Mais pour lui, il n’est pas question d’en rester là et de laisser la formation du gouvernement traîner pendant des mois alors que la situation du pays est catastrophique. Les sources politiques libanaises précisent que le président français souhaiterait pousser les Libanais à former un gouvernement réduit (entre 14 et 18 membres), composé de personnes compétentes n’ayant pas d’étiquette partisane évidente. Mais la priorité pour le président français reste aux réformes requises, notamment l’audit de la Banque du Liban qui a été adopté en principe par le gouvernement de Hassane Diab, mais qui doit encore se concrétiser, la restructuration du secteur bancaire, pour mettre un terme à ce qu’il appelle son « opacité », l’adoption et l’exécution d’un plan de réforme du secteur de l’électricité, etc. Si ces mesures commençaient à être appliquées, cela devrait constituer un élément encourageant pour lui et le pousserait alors à travailler pour l’organisation de deux conférences pour le Liban. La première serait dans le genre de celle qui a été organisée le 17 août pour obtenir les aides urgentes après l’explosion du port. Cette fois, il s’agirait toutefois d’obtenir des aides sur le moyen et long terme pour permettre la reconstruction et la relance du secteur économique. Quant à la seconde, elle devrait être organisée à Paris ou ailleurs pour faciliter un dialogue entre les différentes parties libanaises sur ce qu’il a appelé « le nouveau pacte national », un pacte qui devrait en quelque sorte tenir pour les cent prochaines années. Dans ses entretiens avec les responsables, Emmanuel Macron aurait aussi insisté sur l’importance du rôle du Parlement pour adopter des lois qui soutiennent les réformes et assurent la transition entre une étape et une autre.
Selon une personnalité libanaise qui participait aux réunions à la Résidence des Pins, le président français aurait déclaré à ses interlocuteurs politiques qu’il ne compte pas repartir avant d’avoir obtenu un engagement sérieux de leur part à procéder aux réformes voulues ou en tout cas à ne pas les entraver par les divergences habituelles. Sa rencontre la veille avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri avait d’ailleurs abordé cette question, en marge de la relation personnelle qui unit les deux hommes.
En somme, si la première visite d’Emmanuel Macron le 6 août avait été dictée par le choc de la tragédie du port, la deuxième est marquée par le centenaire de l’annonce du Grand Liban. La troisième, prévue en décembre, devrait consacrer la mise en train des projets de réforme et marquer (en principe) le retour du Liban sur la carte internationale... Comme le dit le dicton libanais, la troisième fois est la bonne...
commentaires (3)
C'est la 1ere fois que je lis un article de SH jusqu'au bout. Macron a vraiment bousculé tout le monde.
Achkar Carlos
18 h 25, le 02 septembre 2020