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Culture - Podcasts

Faire escale à Beyrouth, rêver de son passé millénaire et magnétique...

La semaine passée, France Culture a diffusé une série de quatre émissions autour de la ville à travers les siècles et les millénaires, qui proposent une forme de répit à une actualité de désolation, en rappelant l’inaliénable pérennité de la capitale libanaise. À écouter sur le site de la radio pour remonter aux racines du Grand Liban centenaire.

Faire escale à Beyrouth, rêver de son passé millénaire et magnétique...

Xavier Mauduit : « L’histoire ne divise pas, sauf si on décide qu’elle divise. » Radio France/Christophe Abramowitz

« Les explosions du 4 août ont déclenché en moi une émotion très vive, et j’ai essayé de comprendre les fondements de ce ressenti si violent, qui est lié à l’histoire du Liban, à celle de Beyrouth et aux liens étroits qui nous unissent aux Libanais et aux Libanaises. Je me suis dit que l’histoire pouvait avoir son utilité ici, et nous avons commencé la saison de notre émission Le cours de l’histoire par une escale à Beyrouth, en quatre temps », confie Xavier Mauduit, producteur de ce programme. L’approche historique semble particulièrement appropriée au moment où les tensions politiques sont vives. « L’histoire ne divise pas, sauf si on décide qu’elle divise. C’est une construction qui propose une lecture du passé, bien sûr, on peut utiliser l’histoire, et nos politiques le font régulièrement. Essayer de comprendre l’histoire du Liban, c’est voir ce qui unit les contemporains aujourd’hui et ce qui les relie à leur passé », poursuit le journaliste, qui entame la première étape, intitulée Escale phénicienne à Beyrouth, en s’interrogeant sur l’étymologie du terme de Phénicie, initialement attribué par les Grecs. « Trouve-t-elle son nom dans le fabuleux Phénix ?

Peut-être, ou peut-être pas, car le phénix évoque aussi la couleur rouge, la pourpre, dont les marchands de ces régions étaient les spécialistes. Le phœnix est également un palmier, un palmier dattier, un arbre commun dans cette région. » Josette Elayi, historienne de l’Antiquité et spécialiste des Phéniciens et des Assyriens, souligne d’emblée la profondeur historique de la capitale libanaise. « Beyrouth a une très longue histoire de 5 000 ans, elle est déjà attestée 3 000 ans avant notre ère, dans les tablettes d’Ebla ; c’est une période proto-phénicienne. À cette époque, Beyrouth était une ville puissante, fortifiée, qui détenait une flotte et qui faisait du commerce en Méditerranée. On connaît des rois de Beyrouth, dont on a pu retrouver les noms dans leurs échanges avec les pharaons. La ville a décliné par la suite, jusqu’aux invasions des peuples de la mer. L’ histoire phénicienne commence vers 1 200 avant Jésus-Christ. »

« Escale phénicienne à Beyrouth : Beyrouth, histoire d’une ville », à écouter sur le site de France Culture. Capture d’écran

« La Phénicie doit sa célébrité à ses habitants... »

Alors que les intervenants s’interrogent sur les Phéniciens, est proposée la lecture d’un texte écrit par un géographe romain, Pomponius Mela, qui les dépeint en ces termes. « La Phénicie doit sa célébrité à ses habitants, nation ingénieuse et également supérieure dans les travaux de la guerre et de la paix. Ils inventèrent les caractères alphabétiques et leurs divers usages, ainsi que plusieurs autres arts. Ils enseignèrent à courir les mers et à se battre sur des navires, à commander aux nations, également puissants au-dehors et au-dedans. Les bords de ce golfe sont habités par des peuples riches, qui doivent leur opulence à leur situation dans un pays fertile et entrecoupé de fleuves navigables qui leur fournissent les moyens d’échanger facilement les multiples productions de la mer et de la terre, et de faire un double commerce. »

Josette Elayi rappelle que les Phéniciens n’étaient pas une nation au sens moderne du terme, mais un ensemble de cités-États sur la côte, avec Tyr, Sidon, Byblos et Arwad ; Beyrouth était, au premier millénaire, une petite ville qui dépendait de Sidon.

Jack Keilo, docteur en géographie et aménagement à l’Université Paris IV Sorbonne, rappelle le fait qu’avant le XIXe siècle, Beyrouth n’est pas connue pour sa centralité politique, économique ou commerciale. Sa renommée, à l’époque romaine, vient de son école de droit, où on enseignait le droit impérial romain. À l’époque de Justinien, s’écrit, en grande partie à Beyrouth, un texte très important pour l’humanité, dont le code civil émane directement.

Si la ville a conservé trop peu de traces de son antiquité prestigieuse, c’est qu’elle a subi plusieurs destructions. « Citons le séisme de 551 de notre ère, suivi d’un tsunami : Beyrouth est construite sur une double ligne de faille. Il y a eu environ 30 000 morts, essentiellement des élèves de l’école de droit. Les Beyrouthins ont commencé à reconstruire et, en 560, un grand incendie a ravagé la ville. En 1840, pendant la guerre égypto-ottomane, la flotte anglaise qui soutenait les Ottomans a bombardé la ville et l’a détruite », rappelle celle qui a publié Une histoire de la Phénicie en 2013, chez Perrin (collection Tempus, 2018).

« Trouver dans cette histoire millénaire une inspiration pour continuer »

Jack Keilo insiste sur la notion de fierté liée à un héritage millénaire, qu’ont mis en valeur les travaux de May Davie et son époux. « Ils ont fait des recherches sur le Beyrouth du XIXe siècle, et ils racontent l’émergence d’une cité commerciale et cosmopolite qui, au début du siècle, est un petit port ottoman et qui devient le siège d’une wilayat. Il y a aussi la redécouverte du rôle que jouait Beyrouth dans l’Antiquité, avec son école de droit, et une Phénicie réinventée. « 

La deuxième étape de cette série concerne Beyrouth, placée sous mandat français par la Société des Nations. Les spécialistes invités sont Carla Eddé, historienne et directrice du département d’histoire de l’Université Saint-Joseph, et Julie d’Andurain, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine. « Le texte qui accompagne ces analyses est rédigé par Élysée Reclus. Il y parle de cette ville qui mérite de vivre et de revivre, avec l’idée qu’il y a une permanence dans son histoire. Elle connaît des catastrophes et elle se relève toujours, elle en est même renforcée », constate Xavier Maudit, qui a souhaité dans un troisième temps évoquer la reconstruction de Beyrouth après la guerre civile, ce qui impliquait forcément de revenir aux différents conflits, avec le géographe Éric Verdeil et Sophie Brones, maître de conférences à l’École d’architecture de Versailles, qui a consacré deux ouvrages à la ville de Beyrouth. « Ce fut très émouvant d’écouter les témoignages que nous avons ressortis de nos archives, où des gens racontent leur vécu de la guerre et portent un fragment de l’histoire dans leur voix. Nous tenions à terminer avec une émission sur la vie culturelle de Beyrouth et son statut de ville-mémoire en compagnie de Marielle Pic, qui est en charge du département des antiquités orientales du musée du Louvre, et de Zeina Arida, qui dirige le musée Sursock, lourdement endommagé par les explosions. Ses mots et son projet de reconstruction nous permettent de comprendre l’énergie de la ville, une énergie déçue, mais qui est toujours là. La société civile est présente sur le terrain, et tant que la culture est là, cela veut dire qu’il y a de la vie et de l’avenir », termine Xavier Mauduit, dont les émissions peuvent être écoutées sur le site internet lecoursdelhistoirefranceculture.fr ou bien en podcast.

Un programme qui tombe à point nommé, selon Jack Keilo. « En cette semaine qui marque le centenaire du Grand Liban, le Liban fête ses 100 ans, rien ne semble sûr pour le futur. J’espère que les Libanais trouveront dans cette histoire millénaire une inspiration pour continuer. C’est important, aujourd’hui, de donner un peu d’espoir. »

« Les explosions du 4 août ont déclenché en moi une émotion très vive, et j’ai essayé de comprendre les fondements de ce ressenti si violent, qui est lié à l’histoire du Liban, à celle de Beyrouth et aux liens étroits qui nous unissent aux Libanais et aux Libanaises. Je me suis dit que l’histoire pouvait avoir son utilité ici, et nous avons commencé la saison de notre...

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