
La lainerie de Farid Kamel à la Quarantaine a été dévastée par l'explosion du 4 août au port de Beyrouth. Photo P.K.
A 48 ans, l'industriel Farid Kamel est contraint pour la deuxième fois de reconstruire son usine, située à la Quarantaine. Cette lainerie-tannerie qui a vu le jour en 1890, trois ans après l’inauguration du port de Beyrouth a été restaurée, fermée et rouverte à plusieurs reprises depuis la guerre du Liban. "En 1976, en 1978 et en 1981, mon père avait été obligé de fermer durant des semaines et des mois à cause des combats. En 1990, pendant la guerre entre Michel Aoun (qui était à l’époque commandant en chef de l’armée et Premier ministre par intérim) et Samir Geagea (chef des Forces libanaises), l’usine a entièrement brûlé", raconte Farid Kamel qui avait décidé de reprendre l’entreprise familiale en 1995, de la rebâtir, la moderniser et la transformer en lainerie exportant ses produits vers une cinquantaine de pays, la plupart européens.
"Depuis que j’ai pris la relève, il y a eu l'opération israélienne les Raisins de la colère en 1996, puis la guerre de 2006 (entre Israël et le Hezbollah, ndlr). A ce moment-là, nous avons dû arrêter de travailler, l’activité du port était bloquée. Puis en janvier 2008, nous avons été impacté par l'attentat perpétré au passage d'un convoi de l’ambassade des États-Unis, du côté de la Quarantaine. Un de mes ouvriers syriens a été tué, et nous avons dû reconstruire en raison des dégâts matériels. Aujourd'hui, avec la double explosion au port de Beyrouth, le cauchemar recommence. Mais en pire", poursuit-il.
Farid Kamel dans son usine, avant l'explosion.
Le 4 août dernier, Farid Kamel venait de sortir de son usine quand le port de Beyrouth a explosé. Il se trouvait alors au volant de sa voiture, au niveau du fleuve de Beyrouth. Il a rebroussé chemin pour revenir à la Quarantaine. "Tout avait volé en éclats, il fallait marcher sur les décombres et les bris de verre", se souvient-il. Les dégâts ne sont pas que matériels. "Un de mes employés a failli perdre une main. Un autre, un Syrien, est mort sur le coup", lâche-t-il. "Après avoir travaillé toute la journée, il a voulu se reposer sur l’un des lits mis à sa disposition. Le mur s’est effondré sur lui…" Abdel Mouïne, 23 ans, travaillait depuis 9 ans dans l’usine de Farid Kamel. Il a été inhumé par ses camarades dans la Békaa. Il y avait quatre autres employés dans la lainerie au moment de l’explosion. Ils ont repris le travail aujourd’hui, mais demeurent en état de choc.
Toutes les maisons soufflées
"Plusieurs machines, dont certaines très modernes, avaient été achetées récemment et doivent être réparées. Il faut remplacer aussi tous les hangars soufflés par l’explosion ou endommagés par les bris de verre. Il faut surtout poser avant l'hiver l’énorme quantité de vitres cassées", dit-il. Il a estimé que ces réparations lui coûteront plus de 300.000 dollars. On ignore si l'assurance couvrira ces pertes. Mais aujourd'hui, le problème auquel M. Kamel est confronté, de même que les centaines de propriétaires d’ateliers et d’usines qui se trouvent dans le secteur de la Quarantaine, ou les centaines de familles dont les maisons ont été endommagées, est le manque de liquidités, les restrictions bancaires draconiennes, dans un Liban en crise depuis un an, ou encore la forte dépréciation de la livre.
Si aucune estimation précise n'est encore donnée, il va assurément falloir des millions de dollars pour que les usines et ateliers de la Quarantaine se remettent à fonctionner. "Cela fait une semaine que nous dégageons des décombres. Nous avons repris le travail progressivement. Là, j'essaie de voir si nous allons pouvoir reprendre les exportations par avion. J'ai une commande à livrer à Helsinki", explique Farid Kamel.
Les dégâts ne touchent pas que son usine. "Dans l’explosion, ma sœur et mon frère ont perdu leur maison, mes beaux-parents, ma belle-sœur et mon beau-frère aussi. Ils habitent tous entre la rue Sursock, Sofil et la montée Akkaoui. J’ai d’ailleurs un appartement dans un immeuble des années 20 dans ce secteur. Il est entièrement soufflé et la locataire a été grièvement blessée. Je regarde autour de moi, je vois des amis qui ont été touchés dans leur chair par l’explosion. Alors je me dis que nous avons eu beaucoup de chance", ajoute-t-il.
Aujourd'hui, plus que jamais, ce père de trois enfants, dont l’aîné est âgé de 16 ans, a peur pour l’avenir. "Nous n’avons jamais vu ça durant toute la guerre. Nous avons lutté, nous nous sommes battus pour rester dans ce pays et là en quelques secondes, la moitié des quartiers chrétiens de Beyrouth ont été anéantis et tout a été perdu. Pour les chrétiens du Liban, c’est le coup de grâce", estime-t-il.
"J’aime le métier que je fais. J’ai essayé autant que j’ai pu de construire quelque chose dans ce pays. Mais là, c’est vraiment trop. Je suis sûr qu’aussitôt que je le pourrai, je délocaliserai mon industrie vers un autre pays", dit-il résolu. Puis, il ajoute triste : "Je me demande qui d’entre nous restera encore au Liban".
Mon coeur saigne pour les victimes triste pour tous les efforts de generations de ma famille qui ont lutte pour une vie digne mais j ai un degout profond pour la classe dirrigeante irresponsable qui se lave les mains de toutes ces tragedies qu ils nous imposent et qui ont de plus la pretention immonde de nous menacer
10 h 15, le 17 août 2020