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Nos Lecteurs ont la Parole

Nos chemins se séparent ici...

Non. Je n’arrive pas à pleurer. Le choc est encore trop grand. La rage criminelle. La rage d’un peuple anéanti, dévasté, meurtri, et qui ne voit plus une lueur d’espoir, lui qui a tant de fois symbolisé la résistance, la renaissance, la résurrection. Non. Je n’arrive pas à écrire. À exprimer l’atroce mélange de sentiments qui me déchire de dedans. Je ne trouve pas (plus) les mots. Un cocktail de tristesse, d’amertume, de rancœur, de désespoir, de lassitude. Une soif terrible de vengeance et de justice qui, je le sais au plus profond de moi, ne sera jamais assouvie. Mais aussi de la reconnaissance. Simplement de la gratitude envers Dieu qui a choisi de nous épargner, ma famille et moi, ce nouveau calvaire inimaginable que mon peuple a encore subi. Subir, c’est la force des Libanais, mais aussi leur destin. Le destin des milliers de victimes qui ont vu leur vie, leurs espoirs, leurs joies, leurs projets, leur présent, leur passé, et jusqu’à leurs corps se déchiqueter, exploser en mille morceaux qu’ils ne pourront jamais recoller, jamais. Oui j’ai eu de la chance. Ces trois secondes – les plus longues de ma vie – où j’empoignais mon fils de toutes mes forces en courant vers le seul refuge qui se présentait – la salle de bains– pendant qu’un souffle satanique me projetait vers l’avant, je ne les oublierai jamais. Ces trois secondes qui ont tragiquement scellé le destin de mon pays, mon peuple ne les oubliera pas non plus. La blessure est trop profonde, les dégâts irréparables. Avec le temps (beaucoup de temps), la pierre sera sans doute rebâtie, les routes reconstruites. Peut-être même, si la roue de la fortune se décide enfin à tourner, qu’une infrastructure digne de ce nom

(re)verra le jour. Mais les fissures de nos cœurs, rien ni personne ne pourra les combler. La plaie ne se cicatrisera pas. Même quand le jour viendra où les responsables paieront (dans ce monde ou dans l’autre), même quand nous ou nos enfants iront cracher sur leurs tombes et que nous maudirons à tout jamais leurs actes impardonnables, les stigmates resteront, souvenir indélébile de la douleur d’un peuple sans cesse destiné à souffrir et à se relever.

Liban je t’ai aimé. Malgré toutes tes infidélités. Mais aujourd’hui, c’est moi qui te suis infidèle. Je t’en veux. Je te hais. Je te rends responsable du désespoir de ton peuple qui a perdu tout espoir et n’a plus d’autre issue que de se réfugier dans des patries qui ne seront jamais les siennes. Tu as fait de ton peuple une nation apatride et orpheline de toute forme d’appartenance.

Liban, tu m’as déçue, encore et encore, un peu plus à chaque fois.

Nos chemins se séparent donc ici. Le jour où tu pourras enfin panser mes blessures et m’offrir autre chose que de la corruption, de l’avidité, de la cruauté, des montagnes de poubelle et de la détresse en tout genre, fais-moi signe. Avec un peu de chance, je trouverai en moi la force de te pardonner et envisagerai peut-être de te (re)considérer comme ma patrie.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Non. Je n’arrive pas à pleurer. Le choc est encore trop grand. La rage criminelle. La rage d’un peuple anéanti, dévasté, meurtri, et qui ne voit plus une lueur d’espoir, lui qui a tant de fois symbolisé la résistance, la renaissance, la résurrection. Non. Je n’arrive pas à écrire. À exprimer l’atroce mélange de sentiments qui me déchire de dedans. Je ne trouve pas (plus) les...

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