
Photo Ani du concert intitulé "Pour toi, Liban" organisé le 1er août 2020 à Nahr el-Kalb
Il a fallu plus d'une demi journée à l'association "Libanais et fier", qui organisait samedi soir un concert en hommage à l'armée libanaise qui fête ses 75 ans, pour réagir à la polémique qui s'est répandue, depuis l'événement, sur les réseaux sociaux. Une demi journée pour assurer qu'il n'y a pas eu "censure" d'une partie de la chanson Ya Beyrouth faisant référence à la révolution.
Lors de cet événement intitulé "Pour toi, Liban" organisé à Nahr el-Kalb sans public et retransmis par la quasi-totalité des chaînes de télévision libanaises, plusieurs chansons patriotiques ont été chantées, dont Ya Beyrouth de la chanteuse Majida el-Roumi, dont les paroles sont tirées d'un poème de l'écrivain syrien Nizar Kabbani. Mais au moment où la chorale devait entonner les paroles "La révolution naît des entrailles de la tristesse", les téléspectateurs n'ont entendu que le mot "révolution" suivi d'un fredonnement, en mode "lalalala", en lieu et place des paroles, à savoir : "La révolution naît des entrailles de la tristesse".
Dans le contexte de grave crise économique et financière qui sévit au Liban, et dans la sillage de la révolte contre la classe politique, accusée de corruption et d'incompétence, qui avait jeté des dizaines de milliers de Libanais dans la rue à l'automne dernier, est née une polémique qui s'est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Nombre d'internautes voyant dans ce "lalalala", une nouvelle atteinte à la dignité du peuple libanais. Symbole de l'émotion suscitée par l'affaire, le hashtag "La révolution naît des entrailles de la tristesse" était en tête dimanche sur Twitter des hashtag les plus utilisés au Liban, les internautes dénonçant un acte de "censure".
De "censure", il n'est pas question, a donc fini par indiquer l'association "Libanais et fier", dans son communiqué publié dimanche en début d'après-midi, invoquant un erreur technique. Dans son texte, l'association précise ainsi que la chanson a été interprétée avec la technologie de la double voix : une moitié de la chorale chantant les paroles et l'autre chantant une rythmique sonore. "Si le but était de supprimer un extrait de la chanson, il n'aurait pas été initialement inclus dans le répertoire lyrique", du concert assure l'association. L'association "condamne et s'étonne de la campagne malveillante et mensongère sur les réseaux sociaux destinée à nuire à son succès".
Plus tôt dans la journée, la chaîne locale LBCI avait rapporté que le commandement en chef de l'armée n'avait rien à voir avec cette modification des paroles de la chanson de Majida, ajoutant n'avoir rien demandé à cet égard. Dans des propos rapportés par le site de Radio Sawt Beirut International, le manager de Majida el-Roumi, Awad el-Roumi, avait, pour sa part, indiqué qu'il n'écartait pas des poursuites judiciaires contre les organisateurs du concert, soulignant que "personne n'a le droit d'altérer une chanson considérée comme un hymne par les Libanais".
#La révolution naît des entrailles de la tristesse
Le communiqué pourrait toutefois ne pas suffire à éteindre l'incendie, dans un Liban à terre et dont la population, qui subit une dépréciation violente de la monnaie nationale, une dégringolade terrible de l’économie, des restrictions bancaires, des coupures d'électricité, une hausse du taux de chômage et de pauvreté, est à fleur de peau. Nombre d'internautes ont ainsi accueilli avec des sarcasmes le communiqué de l'association.
Signe de la sensibilité de l'affaire, entre le concert et la publication du communiqué, nombre d'internautes, adhérant aux revendications portées lors de la révolution du 17 octobre, se sont insurgés contre ce qu'ils estimaient être un acte de "censure" à l'encontre de la contestation contre la classe dirigeante.
"Lors de la fête de l'Armée (ce soir), ils ont remplacé la phrase 'La révolution naît des entrailles de la tristesse' par des la-la-la. On en est là ?! Ils ont peur à ce point de l'idée et du mot révolution ? Et des entrailles de la tristesse (dans lesquels nous sommes aujourd'hui). Comment les choristes ont-ils accepté une telle modification des paroles d'une chanson ? Où est leur crédibilité artistique ?", a écrit le réalisateur Lucien Bourjeily, proche des milieux de la révolution.
"Ils continueront à essayer de réprimer, de museler et de tuer la révolution. Mais la révolution est une pensée, et une pensée ne se tue pas (...) Nous vaincrons", a-t-il écrit dans un autre tweet.
"Qu'est-ce que c'est pathétique et désespéré. Je n'arrive toujours pas à le croire. C'est comme lorsque Aoun a dit 'kouroud' à la place de 'jouroud'", a écrit l'activiste Gino Raidy sur Twitter, en référence à un lapsus du chef de l'Etat.
Lors de son discours en 2018 , au cours duquel il a nommé la nouvelle promotion militaire du nom de l'opération militaire "Aube des jurds" (arrière-pays, "jouroud", en arabe), contre les jihadistes du groupe Fateh el-Cham (anciennement Front al-Nosra), la langue du président Aoun a fourché et il a, de manière non-intentionnelle, rebaptisé l'opération "Aube des singes" ("qouroud", en arabe).
Le hasard et la technique ont bon dos. Est-ce qu'un seul libanais de bon sens peut croire que c'est par hasard que justement cette phrase a été évacuée.?
18 h 46, le 02 août 2020