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Culture - La compagnie des livres

Lina Abyad, tous ces étés passés avec des auteurs...

C’est une gourmande, une dévoreuse de romans qui, lorsqu’elle aime un livre d’un auteur, se plonge totalement dans son univers en s’attelant à la lecture de ses œuvres complètes... En été seulement. Car le reste de l’année, cette metteuse en scène prolifique, docteure ès théâtre de la Sorbonne et professeure associée de théâtre à la Lebanese American University (LAU), s’immerge surtout dans des textes dramaturgiques et des travaux de recherche nécessaires à ses cours. Du coup, durant les vacances, c’est vers des choix plus personnels, des histoires qui lui parlent du monde, mais aussi beaucoup d’elle-même qu’elle se tourne avidement, confie-t-elle à « L’OLJ ».

Lina Abyad, tous ces étés passés avec des auteurs...

Lina Abyad, metteuse en scène prolifique et lectrice boulimique. Photo DR

Le livre, pour vous, c’est… ?

C’est un objet qui, en même temps, isole du monde et ouvre sur le monde. Je pense à cette phrase d’Etel Adnan : « Regarder la mer, c’est devenir ce que l’on est. ». Pour moi, le livre c’est un peu l’horizon, la mer… J’ai l’impression que lorsque je lis, je me découvre. Je découvre des désirs, des sentiments, des monstres, des êtres qui sommeillent en moi. Et ça m’aide à comprendre qui je suis, mais aussi ce qui m’entoure. Je trouve qu’il y a un parallèle très fort entre le livre, la mer et l’horizon.

Comment est née votre passion de la lecture ?

Elle est née avec la guerre en 1975. On était enfermés dans l’appartement sans pouvoir bouger ni rien faire. J’ai donc pioché dans la bibliothèque de mes parents. Et là, je suis tombée sur La Peste d’Albert Camus. C’est un roman qui m’a énormément marquée. J’avais l’impression qu’il m’ouvrait sur le monde tout en me renvoyant à l’univers dans lequel je vivais, à cette guerre inexplicable et extrêmement violente qui, comme la peste, nous dévorait de l’intérieur. Ce livre a été pour moi une passion fulgurante. Je n’ai pas pu le reposer avant de l’avoir terminé. Il a beaucoup marqué mon rapport à la lecture, que ce soit dans la dévoration, cette façon gourmande avec laquelle je lis, ou cette conviction ancrée en moi que les livres nous expliquent le monde.

Vous souvenez-vous de votre histoire préférée lorsque vous étiez enfant ou d’un texte qui a provoqué un déclic chez vous ?

En fait, enfant, je ne lisais pas du tout. J’étais un garçon manqué, une hyperactive qui sautait, courait, avait besoin de dépenser énormément d’énergie. Je regardais avec admiration mes parents et ma sœur lire, mais moi je ne lisais pas. Par contre, je me souviens des histoires terrifiantes de loups, de puits, de nuits et d’enfants perdus que nous racontait la gouvernante le soir, avant de dormir…


Lina Abyad, fan absolue du chat botté des « Contes » de Perrault. Photo DR


Roman, essai, biographie, histoire ou encore théâtre… Quel est votre genre favori ?

Je dirais que c’est le roman. Les textes de théâtre restent toujours liés, pour moi, au travail. J’en lis rarement par pur plaisir. Car il faut toujours que j’essaie de comprendre comment la pièce est structurée, comment les personnages et les thèmes se développent, comment je pourrais la mettre en scène… Et même si j’ai souvent fait des adaptations sur scène à partir de romans, ces derniers sont en général toujours une découverte, du plaisir d’abord…

Comment choisissez-vous vos lectures ?

Je demande souvent aux gens qui m’entourent ce qu’ils sont en train de lire. J’aime beaucoup l’idée de « butiner », de parler de livres avec mes amis proches qui sont souvent de grands lecteurs, de glaner leurs conseils de lectures, d’échanger avec eux autour d’un texte, d’un auteur, d’un roman lu et apprécié…

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Vous qui êtes parfaitement trilingue, avez-vous une langue préférée pour lire ?

Certainement le français. C’est la langue dans laquelle je suis le plus à l’aise. Mais j’ai aussi beaucoup développé ma lecture en arabe. Psychologiquement au départ, ça me demande un petit effort en plus pour m’y mettre, mais une fois la lecture entamée, je m’y plonge avec beaucoup de plaisir. J’apprécie de plus en plus, d’ailleurs, les romans contemporains arabes. Pour l’anglais, je suis plus dans l’interrogation de la langue. En fait, c’est l’envie de lire Rabih Alameddine dans le texte qui a été un déclic important. Je dirais, finalement, que chaque langue apporte des plaisirs et des défis de lecture différents…

Racontez-nous vos rituels de lecture, si vous en avez.…

Durant l’année académique, j’ai peu de temps pour des lectures personnelles. Je lis donc « utile », essentiellement pour faire des recherches pour des pièces de théâtre ou pour mes cours. Par contre, j’ai longtemps eu un rituel durant les vacances, celui de la lecture des œuvres complètes. Chaque été, je plongeais dans l’univers d’un auteur. J’ai ainsi eu l’été Dostoïevski, l’été Kafka, l’été Emily Nasrallah, l’été Alberto Moravia… Quand j’aime un auteur, je veux découvrir l’ensemble de son œuvre. C’est très agréable. C’est comme faire un voyage dans un pays, avec plusieurs stations, en explorant ses différentes régions…

Sinon, j’aime beaucoup lire le matin, tôt. Seul problème : comme la lecture est pour moi une activité dévorante, je ne peux plus m’en arracher. C’est pour cela que je ne lis pas du tout pendant l’année universitaire, par peur de ne plus pouvoir travailler. Pour Voyage au bout de la nuit de Céline, par exemple, je suis restée cloîtrée chez moi pendant 3 jours, j’ai même raté mes cours le temps que je le termine !

Avez-vous une citation littéraire fétiche ?

Il y a plein de phrases qui sont très fortes qui me reviennent souvent à l’esprit. Comme « Aujourd’hui, maman est morte » qui ouvre L’Étranger de Camus, qui est pour moi d’une violence inouïe. Mais c’est une citation d’Antonin Artaud qui me touche particulièrement : « Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé que pour sortir, en fait, de l’enfer. » Cette phrase, que j’ai lue en cours de philosophie, a résonné avec mon envie de faire du théâtre. Elle m’a beaucoup marquée, surtout que nous étions alors en pleine guerre civile. J’avais l’impression que je me destinais à un métier qui allait parler de la violence, de la tragédie, de l’injustice. Elle a eu une incidence forte sur mon travail, mes choix artistiques, mes engagements et la direction que j’ai prise dans mon métier d’artiste. Si je n’étais pas tombée sur cette phrase, peut-être que mon travail aurait été plus frivole, plus léger et paisible.

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Y a-t-il un livre ou un auteur qui vous a particulièrement déçue ?

Il ne s’agit pas d’un livre qui m’a déçue mais d’un auteur, Rabee Jaber, que j’ai essayé de lire à plusieurs reprises sans pouvoir pénétrer véritablement dans son univers. J’ai pourtant tous ses livres. Je suis fascinée par ses écrits, sa langue, ses idées… Cependant, je n’arrive pas à en décoder les mondes. Je suis quelqu’un qui me force parfois à lire, mais peut-être n’ai-je pas la maturité nécessaire pour ses livres. Ce n’est pas une déception à proprement parler, mais un rendez-vous raté plutôt.

En période de confinement, avez-vous lu plus que d’ordinaire ou différemment, sur tablette, par exemple ?

Pendant le confinement, j’ai eu l’impression que mon appartement s’était transformé en salle d’attente d’un hôpital. Tous les gens que je connaissais étaient sur le point de tomber malades et on était en attente de résultats. Donc je n’ai pas lu, je n’ai pas regardé de films, j’étais incapable de me concentrer sur quelque chose, même de beau, d’utile, d’agréable et de lumineux… C’était impossible. Là, ça commence à aller mieux. Je suis à ma seconde lecture. J’ai lu Avant que j’oublie, un roman sensible d’Anne Pauly sur le décès de son père. Et en ce moment, je lis Al-3aïla allati ibtala3at rijalaha (La famille qui a dévoré ses hommes), de Dima Wannous. Un roman absolument fabuleux dont j’ai beaucoup de mal à m’arracher pour faire quoi que ce soit d’autre. Je le recommande fortement d’ailleurs.

Quel personnage de roman auriez-vous aimé rencontrer en vrai ?

Ils sont nombreux ! Le médecin dans La Peste, par exemple ; certains héros de la mythologie grecque, comme Œdipe, Phèdre, Médée que je trouve fascinants. Mais plus encore, des personnages de contes de fées que je trouve extrêmement intrigants : Barbe-Bleue, la princesse au petit pois, la dame de Pique dans Alice au pays des merveilles. Mais celui que j’aurais adoré rencontré, moi qui aime tant les chats, c’est le chat botté (de Charles Perrault). Je trouve ce personnage tellement espiègle (rires).

Avez-vous l’impression d’avoir « déjà lu » ce que nous vivons actuellement ?

J’ai l’impression parfois que nous sommes comme ces personnages de Beckett dans En attendant Godot ou Fin de partie qui sont confinés dans une sorte de no man’s land, dans un espace et un temps détachés du monde et d’où ils sont sur le point de tomber… Comme eux, nous n’avons plus que des bribes de mémoire. Comme eux, nous sommes en train de tourner sur nous-mêmes, d’errer sans but, en étant incapables de maîtriser le futur, encore moins le présent…

Quelles sont les lectures que vous conseillez systématiquement à vos amis, vos proches ?

Surtout les histoires bouleversantes et drôles. Comme ce roman d’Anne Pauly que je viens de terminer. J’aime bien les livres qui aident à vivre et qui sont positifs dans le sens où ils expliquent un peu le monde.

Le top 6 des livres de Lina Abyad

Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline.

Œdipe roi, de Sophocle.

Learning English, de Rachid el-Daif.

Le livre noir, d’Orhan Pamuk.

Le Ravissement de Lol V. Stein, de Marguerite Duras.

Fin de partie, de Samuel Beckett.

Le livre, pour vous, c’est… ?C’est un objet qui, en même temps, isole du monde et ouvre sur le monde. Je pense à cette phrase d’Etel Adnan : « Regarder la mer, c’est devenir ce que l’on est. ». Pour moi, le livre c’est un peu l’horizon, la mer… J’ai l’impression que lorsque je lis, je me découvre. Je découvre des désirs, des sentiments, des monstres,...

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Êtes vous la même Lina Abyad du collège protestant promo 1977? Robert Moumdjian

Robert Moumdjian

05 h 39, le 31 juillet 2020

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  • Êtes vous la même Lina Abyad du collège protestant promo 1977? Robert Moumdjian

    Robert Moumdjian

    05 h 39, le 31 juillet 2020

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