Alors que le Festival de Baalbeck n’avait aucun espoir d’avoir lieu en cette année de crises, le chef d’orchestre libanais Harout Fazlian porte à Nayla de Freige, présidente du festival, un projet intéressant qui exige de tous de la solidarité et du travail collectif, mais surtout de la passion pour un Liban que tout le monde aime. Avec son aval, Fazlian rallie un orchestre de musiciens, plusieurs chorales et fait appel, pour la scénographie, à Jean-Louis Mainguy, grand nom dans le domaine de l’architecture d’intérieur au parcours riche.
« J’ai essayé de créer de l’émotion »
L’idée d’un concert unique qui exigeait, à cause de la distanciation et de l’absence physique de public, un programme télévisé appelé à attirer le maximum d’audience lui paraissait séduisante. « Cet événement a dépassé pour nous le cadre du Festival de Baalbeck, indique Jean-Louis Mainguy. Au-delà de l’événement majeur de l’été, c’était l’événement majeur du Liban qui fête son centenaire cette année. La recherche qui a été faite se basait donc sur une intention précise : appuyons-nous sur ce que nous sommes, parce que c’est la somme de tout ce que nous avons été, pour pouvoir nous lancer dans notre devenir. Ce n’est que ce retour aux choses essentielles qui peuvent être les témoins de ce que nous pouvons être. C’est sur ces bases-là que se profilaient nos recherches », confie-t-il.
Comme la musique classique est considérée parfois comme rébarbative pour les néophytes et est souvent liée à des événements douloureux, le scénographe a donc essayé de faire de ce concert quelque chose de plus attractif à l’œil. La musique demeurait le support essentiel mais l’image se devait, en plus, de raconter des histoires. « Lesquelles ont été imaginées au cours de l’étude de détails avec Harout et son équipe », confie-t-il. D’autre part, il fallait rendre le Festival de Baalbeck historiquement présent. Donc égrener l’ensemble de tous les grands événements, les grandes heures depuis sa création en 1956, voire avant car les premiers spectacles ont été imaginés en 1922 avec un corps de ballet et un autre en 1944. « C’étaient deux événements qui allaient devenir les prémices du festival, rappelle-t-il. L’historicité de la chose était importante. Sur les 242 spectacles du Festival de Baalbeck, on devait trier ce qui pouvait être représentatif d’abord pour l’œil local du spectateur et aussi à l’international, puisque le concert était suivi sur les réseaux sociaux et sur YouTube. On a dû choisir 96 événements majeurs avec six inserts entre chacune des 7 pièces musicales. Tout ceci a été fait dans mon bureau d’études. De plus, j’ai demandé à Harout de créer une musique en leitmotiv du premier insert jusqu’au dernier, une sorte de fil d’Ariane qui puisse nous rappeler le thème du temps qui passe. On pouvait avoir l’Ode à la joie de Beethoven de manière à ce qu’elle soit interprétée à chaque fois en 55 secondes selon un rythme, un tempo différent, mais que ce soit la même phrase musicale. Quant à la narration d’histoires, il fallait que le spectateur (chez lui) puisse aller au-delà du concert puisque la première pièce musicale était O Fortuna/Carmina Burana de Carl Orff qui est en soi une pièce mythique et assez symbolique, puisqu’elle parle de la roue de la fortune et de la déconfiture du pouvoir, ce qui est un peu notre histoire à nous aujourd’hui. Dans cette imagerie, l’idée du soleil (symbole du Festival de Baalbeck) était certainement présente. Troisième image importante qu’on devait refléter dans cette scénographie, c’est le temple qui se construit et se déconstruit. J’ai donc demandé à un cartographe 3D (Kabalan Samaha) de créer quelque chose sur ces trois idées mais qui suive également la musique. » « Enfin pour boucler la boucle, signale Mainguy, il y avait ce temple de Baalbeck qui était détruit. Sa reconstruction s’est faite par une reconstitution à travers toutes les gravures et les photos des missions archéologiques. » Jean-Louis Mainguy s’est appuyé sur le point de départ de la recherche archéologique et architecturale pour cribler le mur du temple de photos panoramiques. D’ailleurs, c’est la première fois que quelqu’un se penche sur la reconstitution de Baalbeck par l’image (elle avait été réalisée sur des maquettes, mais pas par images). « C’est là que la symbolique a joué, car au-delà de la musique et au-delà de l’image, il y avait un sens beaucoup plus profond. Comme si on était en train de redonner vie au temple. J’ai essayé de créer de l’émotion, confie-t-il. Si l’absence de public était un handicap pour les artistes, le silence qui existait entre chacun des morceaux était très puissant. Nous étions bien sûr dans le stress du direct. Mais une énorme charge d’émotion a habité le temple. Le handicap s’est donc transformé en vraie énergie positive. Ce concert demeurera dans les annales, car au-delà de tout, c’était en fusion avec quelque chose de très fort : la passion du Liban. Cette fusion, c’était un moment de communion. »
Gymnastique entre mesure et démesure
La scénographie de l’espace a toujours été la passion du jeune Jean-Louis Mainguy qui a d’abord fait du théâtre avant de se lancer dans des études d’architecte d’intérieur à l’ALBA. « Donner un volume, une texture, des couleurs, de la lumière, une sorte de vie qui sera vécue par le client même aux salles de spectacles, de conférences, qui sont des lieux de vie, me séduisaient, dit-il. Dans la scénographie du théâtre, il y a une démesure qui n’a rien à voir avec l’échelle humaine. Parce que ces scénographies n’appartiennent plus à la fonction immédiate, mais elles vont dans le lyrique, la fantaisie. C’est ce va-et-vient entre la mesure et la démesure qui a toujours été au centre de mon parcours. » Entre les décors de cinéma pour Maroun Baghdadi (Petites guerres) ou au théâtre pour Juin et les mécréants réalisé par Roger Assaf, ce va-et-vient entre le scénique d’une part et le vécu de l’autre a toujours été une gymnastique pour lui. « Garder la mesure est essentiel pour moi : comme étant l’échelle humaine d’un côté et celle du rêve de l’autre. »
À toute cette création artistique est venu s’ajouter le côté spirituel. À l’âge de 17 ans, Jean-Louis Mainguy se sent « appelé » au couvent des sœurs Clarisses. Mais c’est bien plus tard qu’il s’engage, dans l’Ordre de Malte. Quand vous faites partie du monde de l’art et que vous êtes dans la création, au sens le plus large du terme, en la servant, vous servez ainsi le Créateur.
« L’expression de la spiritualité à travers l’image de Dieu apparaît dans ce que nous faisons dans notre vie de tous les jours. » Il complétera ainsi ses vœux perpétuels dans l’ordre monastique de Malte à Beyrouth en 2014. Pour Fra’ (frère) Jean-Louis Mainguy, la vie est un cheminement qui tend vers l’essentiel et le détachement de toute matérialité. « Mais il faut être dans le devenir, dans l’immatériel où l’on intègre la spiritualité, car il y a une différence entre la dématérialisation due à la technologie et cet immatérialisme qui est la spiritualité. » Et de conclure en rebondissant sur Baalbeck : « En tant qu’œuvre architecturale, Baalbeck est l’apogée de la démesure. Elle est magnifiée pour faire habiter les dieux, mais elle a été faite dans la foi de ces dieux. Donc vous appartenez à la démesure de Dieu. Tout ce projet a été réalisé sans débourser aucun sou. Le brainstorming avec Harout Fazlian a nécessité seulement dix jours et il n’y a pas eu de répétition complète. » C’est certainement un acte créateur qui s’inscrit dans un mouvement d’amour spirituel.
Jean Louis Mainguy, Un Magicien de la Chorégraphie et de la Mise en Scene. Nous gardons tous en memoire le magnifique decor de scene lors du Concert de feue Montserrat Caballé a Beiteddine il ya pres d’une décennie. Ce qui a été effectue a Baalbek demeurera pour longtemps dans les annales de la Mise en Scene et du Palmares des Realisations de ce grand artiste.
08 h 55, le 28 juillet 2020