
Poignée de main entre le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian (g), et le président libanais, Michel Aoun, le 23 juillet 2020 au palais de Baabda. Photo AFP / DALATI ET NOHRA
Le président libanais, Michel Aoun, et le Premier ministre, Hassane Diab, ont demandé l'aide de la France jeudi, en recevant le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, arrivé mercredi soir à Beyrouth dans le cadre d'une visite officielle de deux jours dans un pays qui connaît la pire crise économique de son histoire moderne.
"Le Liban vous considère comme un ami historique, et la France s'est tenue aux côtés du Liban lors des périodes difficiles, et je suis confiant qu'elle ne le lâchera pas aujourd'hui", a dit M. Diab devant le ministre français qu'il a reçu au Grand Sérail, selon des propos rapportés par notre correspondante Hoda Chedid.
"De nombreuses réformes"
La visite officielle de deux jours qu'effectue M. Le Drian intervient dans un contexte explosif au Liban, qui vit une crise marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie, une flambée des prix, des licenciements à grande échelle et des restrictions bancaires sur les retraits et les transferts à l'étranger. Près de la moitié de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté et 35% de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles. Le ras-le-bol a déclenché en octobre 2019 un soulèvement populaire inédit contre l'intégralité d'une classe politique accusée de corruption et d'incompétence, quasi inchangée depuis des décennies. Le pays, en défaut de paiement depuis début mars, a adopté un plan de relance fin avril et promis des réformes. Toutefois, des négociations initiées à la mi-mai avec le Fonds Monétaire international (FMI) pour obtenir une aide financière sont toujours au point mort.
"Nous avons accompli de nombreuses réformes et nous avons fait face à des difficultés. Nous avons prévu un plan chronologique pour le reste des réformes. Au sujet de celles qui ont trait à la conférence CEDRE, nous avons mis en place une commission ministérielle pour faire le suivi de ce dossier", a fait savoir M. Diab à son interlocuteur. "Nous voulons le soutien de la France dans le dossier de l'électricité, ainsi qu'en ce qui concerne le FMI", a-t-il encore ajouté, alors que le pays connaît un rationnement sévère du courant, ce secteur représentant l'une des plus grandes sources de pertes financières annuelles pour l'Etat.
"Le gouvernement a approuvé l'audit juricomptable de la Banque du Liban afin de dévoiler le fossé financier, ses raisons et les circonstances qui l'entourent, car nous tenons à la transparence. Cette enquête au sein de la BDL ouvrira la voie à d'autres audits au sein d'autres institutions", a en outre affirmé Hassane Diab, dans une volonté de mettre en avant ce que son gouvernement présente comme étant des réformes.
"Nous avons adopté il y a deux jours la mise en place de scanners aux frontières, au port et à l'aéroport de Beyrouth afin de contrôler les marchandises sur le plan douanier, ce qui rapportera des recettes considérables à l'Etat qui étaient jusque-là perdues", a en outre indiqué le Premier ministre libanais.
Abordant la question des plus d'un million de réfugiés syriens présents sur le territoire libanais après avoir fui le conflit qui ravage la Syrie depuis 2011, Hassane Diab a affirmé que "les communautés d'accueil des réfugiés commencent à ressentir le poids de la présence de ces réfugiés, et ces derniers commencent à se sentir mal à l'aise, et cela est dangereux, surtout à l'ombre des circonstances économiques et sociales qui touchent les Libanais ainsi que les déplacés syriens. Cela peut provoquer une nouvelle grande vague d'émigration libanaise, ainsi qu'un exode des déplacés syriens qui se trouvent au Liban, vers d'autres pays".
Aide aux écoles
Sur le plan éducatif, Hassane Diab a remercié la France pour le soutien qu'elle accorde à certaines écoles du pays. "Nous remercions la France pour sa volonté de soutenir certaines écoles, et nous espérons que ce soutien englobera les écoles publiques du pays". La visite de M. le Drian devrait être marquée par l'annonce d'un programme d’aide visant à sauver les écoles francophones du Liban. C’est vendredi matin, à l’école du Carmel Saint-Joseph à Mechref, que le chef de la diplomatie française tiendra une réunion sur l’éducation francophone avec les chefs d’établissements scolaires, avant de prononcer un discours dans lequel il révélera les détails de l’aide française aux écoles privées du pays à programme français, mais aussi aux écoles chrétiennes, qui traversent une crise aiguë.
Enfin, Hassane Diab a abordé le dossier de la frontière avec Israël. "Nous demandons à la France de se montrer compréhensive et de soutenir le Liban dans le renouvellement du mandat de la Force intérimaire des Nations unies (Finul) sans modification, afin de maintenir la sécurité et la paix internationales et permettre à la force onusienne d'appliquer la résolution 1701 qui engage le Liban". La Finul est chargée de faire respecter le cessez-le-feu en vigueur entre le Liban et Israël depuis 2006, date du dernier conflit entre les deux pays. Son mandat doit être renouvelé le 31 août et certains pays, comme les Etats-Unis et Israël, voudraient voir son champ d'action élargi à la surveillance de la frontière syro-libanaise et que lui soient attribuées des prérogatives plus vastes pour surveiller les actions du Hezbollah au Liban.
La présidence du Conseil a de son côté publié un bref communiqué dans lequel elle indique que "les discussions ont porté sur le travail du gouvernement, en particulier les réformes nécessaires pour mettre en pratique les décisions de la conférence CEDRE, en plus des négociations avec le Fonds monétaire international". "La réunion a également porté sur les problèmes économiques, financiers et sociaux auxquels le Liban est confronté et les efforts déployés par le gouvernement pour y remédier. Les interlocuteurs ont également fait le point sur le renouvellement du mandat de la Finul et sur le dossier des réfugiés syriens. Le Premier ministre Diab a également remercié la France pour le soutien qu'elle apporte au Liban", conclut le communiqué.
"Pas de plan d'aide"
Jean-Yves Le Drian a quitté le Grand Sérail sans faire de déclarations à la presse. Il a entamé sa visite officielle en matinée en se rendant au palais présidentiel de Baabda, à la tête d'une délégation composée notamment de l'ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, et du représentant du président Emmanuel Macron pour le suivi de la conférence CEDRE, Pierre Duquesne.
Selon un communiqué de la présidence libanaise, le chef de l'Etat a affirmé à M. Le Drian que "le Liban attend l'aide de la France dans le parcours des réformes et la lutte contre la corruption initiée depuis le début du mandat (...)". Le président Aoun a également estimé que "les relations libano-françaises, ancrées dans l'histoire, intiment une telle coopération dans l'intérêt des deux pays". Le chef de l'Etat a également évoqué avec son interlocuteur "les circonstances difficiles que traverse le Liban sur le plan économique, financier et sanitaire dues à la pandémie du coronavirus". Le président a également évoqué "les mesures de lutte contre la corruption, notamment l'adoption de la juricomptabilité et le contrôle comptable qui a dévoilé des dysfonctionnements dans les finances de l'Etat". Il a fait état de "difficultés et obstructions à la lutte contre la corruption", faisant assumer la responsabilité de cela à "de nombreuses personnes impliquées qui exercent des pressions pour mettre un terme à cette lutte".
Le chef de l'Etat a en outre estimé que la France a un "rôle très important dans le renouvellement du mandat de a Finul". La présidence a également annoncé que M. Aoun a transmis à son homologue français une lettre dans laquelle il le "remercie pour ses positions à l'égard du Liban et les initiatives qu'il a menées dans ce cadre". Le palais de Baabda a enfin fait savoir que M. Le Drian a transmis oralement à M. Aoun un message de la part du président Macron dans lequel ce dernier affirme que la France "se tient aux côtés du Liban dans ces circonstances difficiles". "Jean-Yves Le Drian a affirmé que son pays est déterminé à aider le Liban et attend la mise en place des réformes nécessaires dont il a besoin, et que les décisions de la conférence CEDRE sont toujours d'actualité et pourront être réactivées avec l'application des réformes dans lesquelles s'est engagé le gouvernement libanais lors de cette réunion", indique Baabda. Le chef de la diplomatie française a enfin indiqué, selon la présidence libanaise, que la France "a mis en place un plan d'aide aux écoles françaises et libanaises qui englobe plus de 40 établissements qui recevront une aide financière (...)".
Dans ce contexte, Jean-Yves Le Drian n'a pas évoqué de plan d'aide au pays du Cèdre lors de son entretien avec le chef de l'Etat, ont affirmé des sources anonymes proches de la présidence libanaise, selon notre correspondante Hoda Chedid. Toutefois, le chef de la diplomatie française a exprimé son "intérêt pour le Liban"."M. Le Drian n'a pas discuté d'un plan d'aide au Liban mais a exprimé son intérêt pour le pays et a assuré être prêt à le soutenir, soulignant que les aides prévues par la conférence CEDRE tiennent toujours et attendent la poursuite des réformes par le gouvernement libanais et la mise en application du plan de redressement, ainsi que les négociations avec le FMI", expliquent ces sources.
Jean-Yves Le Drian s'est également entretenu avec le président du Parlement, Nabih Berry, sans faire de déclarations à la presse à l'issue de l'entrevue. Il s'est ensuite rendu au palais Bustros où il a été reçu par son homologue, Nassif Hitti. A l'issue de cet entretien, le ministre français a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a lancé aux autorités du pays : "Aidez-vous, et la France et ses partenaires vous aideront".
"Le côté passif des autorités"
Le chef de la diplomatie française a ensuite visité à 16h le centre social de l'ONG Amel à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth. "Ce qui nous frappe le plus c'est le côté passif des autorités de ce pays", a-t-il lancé devant des journalistes, en visitant les locaux de l'ONG. "Il importe que ce pays retrouve la confiance de ses partenaires. Et aujourd'hui elle n'est pas là la confiance", a-t-il ajouté, assurant que "la dominante c'est le doute".
Il s'est ensuite rendu à Bkerké pour un entretien avec le chef de l'Eglise maronite, Béchara Raï.
Le patriarche maronite a salué "les efforts entrepris par le président français Emmanuel Macron et le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, rapporte un communiqué de Bkerké. Il a remercié la France pour le soutien qu'elle offre aux écoles catholiques et privées pour faire face à cette épreuve difficile". Mgr Raï a abordé "les circonstances libanaises et régionales qui l'ont encouragé à proposer un projet de neutralité afin de sauver le pays, d'autant plus que le Liban a historiquement été un pays neutre et que ses politiques neutres passées ont toujours aidé à prévenir les dangers militaires, politiques et économiques", poursuit le texte. "La neutralité nécessite la mise en place d'un État fort par ses institutions et son armée, afin de pouvoir résoudre les affaires intérieures et défendre la souveraineté et l'indépendance du Liban", a également souligné M. Raï. De son côté le ministre français a salué "l'initiative du patriarche, d'autant plus que la souveraineté du Liban à laquelle la France est attachée exige qu'il soit un pays neutre loin des conflits et des axes". "Le Liban a ce qu'il faut pour se relever", a-t-il conclu.
Par ailleurs, quelques personnes se sont rassemblées dans l'après-midi devant le siège de l'ambassade de France à Beyrouth pour protester contre "la politique étrangère de la France qui soutient le système de corruption", appelant Paris à ne pas fournir d'aide à la classe politique libanaise.
"Aujourd'hui, il y a un risque d'effondrement. Il faut que les autorités libanaises se ressaisissent, et je me permets de dire ici à nos amis libanais : +Vraiment, nous sommes prêts à vous aider mais aidez-nous à vous aider, bon sang !+", avait lancé le 8 juillet le ministre Le Drian devant le Sénat français.
Ah! cet homme n'aime rien autant que de serrer des mains l'air benoît, il pense que ça le met à égalité avec son interlocuteur, pauvre Liban, tu mérites tellement mieux.
21 h 35, le 23 juillet 2020