Se dirige-t-on vers un retour à la case départ en matière de nominations ? Des milieux politiques se sont posé la question à la lumière du jugement rendu hier par le Conseil constitutionnel (CC). En effet, sur un recours présenté par le chef de l’État, Michel Aoun, le CC a invalidé la loi prévoyant un mécanisme bien défini pour la nomination des fonctionnaires de première catégorie, adopté par le Parlement le 28 mai dernier. Le texte en question confiait à un comité, formé du président du Conseil de la fonction publique, du ministre d’État pour le Développement administratif et du ministre concerné, la tâche d’interviewer les candidats à une fonction de première catégorie et d’en présélectionner trois. Le ministre concerné devrait par la suite remettre au Conseil des ministres les noms de candidats admis, parmi lesquels le fonctionnaire devait être choisi. Aux yeux du président Aoun, cette démarche allait à l’encontre de la Constitution, d’où sa demande de l’annuler.
Pour rappel, le président lui-même avait plaidé pour qu’un texte de loi définisse le mécanisme de nomination des fonctionnaires de première catégorie afin de lui donner un caractère contraignant. Le bloc de la République forte, parrainé par les Forces libanaises, avait saisi au vol cette demande et présenté une proposition de loi allant dans ce sens. Un texte auquel le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, n’avait pas tardé à exprimer son opposition, faisant savoir que son parti compte présenter un recours en invalidation contre le projet de loi, dans la mesure où il va à l’encontre de la Constitution, notamment en ce qui concerne le rôle du ministre et ses prérogatives en matière de nominations (articles 64, 65 et 66). Une démarche que le président Michel Aoun a fini par adopter.
Quoi qu’il en soit, après avoir demandé la suspension de l’application de la loi en question, le 9 juillet, le CC a décidé hier, à l’unanimité de neuf juges présents (Élias Bou Eid s’étant absenté pour des raisons de santé), d’abolir la loi.
Une source informée confie dans ce cadre à L’Orient-Le Jour que le texte comprend de « flagrantes » entorses à la Constitution, notamment aux articles 64, 65 et 66. Ceux-ci accordent au Conseil des ministres la prérogative de nommer les fonctionnaires au sein des administrations et d’accepter leur démission conformément aux textes de lois en vigueur, notamment au code de la fonction publique de 1959. L’article 66 précise, d’ailleurs, qu’il revient au ministre de diriger son administration. Il en est responsable devant la Chambre des députés.
À la faveur de cette logique, des proches du dossier estiment que la loi invalidée hier empiète sur les prérogatives du ministre concerné, impliquant le ministère d’État pour le Développement administratif, alors que cela ne figure pas dans les textes constitutionnels. Dans les mêmes milieux, on fait également savoir que la loi invalidée hier va à l’encontre d’une décision émise le 29 septembre 2001 par le CC. Ce texte stipule, en substance, qu’il ne faut pas limiter les prérogatives du ministre et du Conseil des ministres en matière de nomination, « notamment quand il s’agit de sujets essentiels tels que définis par la Constitution ».
En face, dans les milieux hostiles au pouvoir en place, on tient à rappeler que la démarche de nominations telle que prévue dans la loi élaborée par le vice-président des FL, Georges Adwan, garde au ministre le privilège de proposer les noms au gouvernement. Mais elle fixe les modalités de désignation des fonctionnaires. Il s’agit donc d’une façon de mettre fin à la logique de partage du gâteau et au clientélisme, ajoute-t-on dans ces milieux.
Sous un angle politique…
Au vu du contexte dans lequel elle est intervenue, la décision du CC est à analyser sous un angle éminemment politique. Et pour cause : à travers cette décision, le tandem Baabda-CPL a marqué un point face à ses adversaires, notamment les FL, dont le bloc parlementaire a présenté la proposition de loi et avec qui les rapports sont totalement gelés depuis des mois. Toutefois, May Chidiac, ancienne ministre d’État pour le Développement administratif, qui avait œuvré pour la mise en application d’un mécanisme de nominations, assure à L’OLJ que les FL continueront d’œuvrer à l’adoption d’une démarche axée sur les seuls critères du mérite et de la compétence, loin du pouvoir discrétionnaire des partis politiques. Soulignant qu’elle n’est pas étonnée par l’invalidation de la loi, elle ne cache pas ses craintes quant à un partage d’influence dans la prochaine phase.
A contrario, la présidence de la République est naturellement satisfaite de la décision du CC. Interrogé par L’OLJ, Salim Jreissati, conseiller du chef de l’État, explique que « la sentence du CC a été très amplement justifiée et motivée. Elle a porté sur tous les recoins de la loi en question, qui a été invalidée à cause des liens de connexité entre ses divers articles ». Et d’ajouter : « Le CC a dit son mot. Et ses décisions sont contraignantes pour toutes les instances de l’État, y compris les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. » M. Jreissati a, sur le fond, déploré que « des gens se désistent de plus en plus de la Constitution et de l’accord de Taëf, alors qu’ils en étaient “les instigateurs”, pour élaborer une loi qui va à l’encontre de la Constitution ». « C’est ce que le CC a rappelé de la façon la plus solennelle qui soit », a-t-il conclu.
PAS D,ESPOIR DE CHANGEMENT. ILS BROUTENT TOUS LA MEME HERBE.
20 h 50, le 23 juillet 2020