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Monde - Récit

Tension, bluff et colère : retour sur un sommet européen marathon

Tension, bluff et colère : retour sur un sommet européen marathon

La chancelière allemande Angela Merkel, le président français Emmanuel Macron et le président du Conseil européen Charles Michel durant le sommet à Bruxelles, le 20 juillet 2020. Francisco Seco/AFP

Drôle de sommet : sans presse, sans contact, masqué. Mais après quatre jours et quatre nuits de discussions émaillées de coups de sang et de moments de bluff, les dirigeants européens sont finalement parvenus à s’entendre sur un plan de relance économique. Retour sur cette âpre négociation.

Vendredi

« C’est notre projet européen qui se joue là », lance le Français Emmanuel Macron à son arrivée à Bruxelles, pour le premier sommet physique post-coronavirus. Dans la salle du Conseil, à bonne distance les uns des autres, 24 hommes et 5 femmes masqués. Salutations à coups de coudes. Deux d’entre eux fêtent leur anniversaire : le Portugais Antonio Costa, 59 ans, et l’Allemande Angela Merkel, 66 ans – qui repart avec du bourgogne, des chocolats belges et un gâteau viennois (une « sachertorte »). Les délégations sont limitées à 5 personnes, contre une vingtaine habituellement. Et la salle désinfectée à fond.

Merkel s’attend à des négociations « très difficiles ». Le Néerlandais Mark Rutte, chef de file des États « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Danemark et Suède, rejoints par la Finlande), qui prônent un plan moins ambitieux, ne voit que « 50 % » de chances de succès. La journée débute sans accroc, en conclave, sept heures durant. Tout se corse au dîner, quand Rutte fixe une condition : les plans nationaux présentés par les États membres, en contrepartie de l’aide européenne, devront être approuvés à l’unanimité des 27. Un droit de veto. Sa position, jugée « très dure et peu constructive », hérisse ses homologues. L’intéressé décrira « une ambiance quelque peu fiévreuse ».

Samedi

Les « frugaux », inflexibles, agacent. « Chacun doit faire des petits compromis. Certains pays ne le comprennent pas », lance un diplomate. « Nous sommes dans une impasse », estime l’Italien Giuseppe Conte. Le président du Conseil européen, Charles Michel, médiateur du sommet, présente une proposition de compromis. Les gages aux « frugaux » sont réels, à commencer par un mécanisme, plus nuancé que ce que réclame Rutte, de contrôle des plans nationaux. Les leaders se succèdent toute la journée pour en parler avec Michel sur une terrasse au 11e étage du Conseil européen. À l’issue du dîner, Michel réunit Macron et Merkel avec les dirigeants des « frugaux » et de la Finlande. La réunion est « très dure ». Au point que le duo franco-allemand la quitte, laissant les autres dirigeants sur place. « Ils ne pouvaient pas accepter un manque d’ambition », explique-t-on côté français. La rumeur court que Macron a demandé à ce qu’on prépare son avion s’il décidait de rentrer à Paris. Un Néerlandais persifle : « J’ai entendu dire que Rutte a demandé à ce qu’on gonfle les pneus de son vélo. »

Dimanche

Merkel, pessimiste : « Possible qu’aucun résultat ne soit obtenu aujourd’hui. » Le Luxembourgeois Bettel renchérit : « J’ai rarement vu, en 7 ans, de positions aussi diamétralement opposées. » Les bilatérales se succèdent à nouveau. Au petit jeu de la négociation, tous les coups sont permis : certains dirigeants des frugaux vont voir ceux « du Sud pour les avertir que, faute d’accord, ils auront les marchés financiers contre eux lundi », raconte un diplomate. Convocation à 19h pour un dîner à 27 et un plaidoyer de Michel : « À travers une déchirure, présenterons-nous le visage d’une Europe faible, minée par la défiance ? » Le tour de table qui suit est tendu : Macron, irrité par trois jours de discussions stériles, fustige l’« égoïsme » des « frugaux », qui « mettent le projet européen en danger ». Il menace encore de quitter la négociation. Et va jusqu’à attaquer directement deux de ses homologues. L’un, Mark Rutte, a droit à une comparaison avec le Britannique David Cameron, toujours sur la ligne dure lors des sommets, ce qui n’a pas empêché le Brexit. L’autre, Sebastian Kurz, se fait secouer lorsqu’il se lève, en plein dîner, pour prendre un appel téléphonique. À son retour, selon une source européenne, il se dit « offensé » par le Français et joue « les vierges effarouchées ». Bientôt minuit : Michel interrompt le dîner pour 45 minutes. La pause durera 6 heures, rythmées par de nouvelles bilatérales. Une petite musique commence à monter : les « frugaux » seraient désormais divisés. Réponse immédiate : une photo à cinq, tout sourire, sur Twitter, bras de chemise, crackers et bol de cerises. Nouvelle convocation à 6h du matin. Michel annonce aux 27 une proposition révisée. Mais rendez-vous dans huit heures, le temps de dormir un peu. Il semble possible de s’entendre sur un plan comprenant une enveloppe de 390 milliards d’euros de subventions – contre 500 milliards initialement.

Lundi

Kurz quitte le sommet au petit matin en se félicitant d’« un très bon résultat ». Magnanime avec Macron : « Il est compréhensible que certaines personnes, lorsqu’elles ne dorment pas beaucoup, finissent par perdre leurs nerfs. » « Nous ne sommes pas ici pour être invités aux anniversaires des uns et des autres jusqu’à la fin de nos jours. Chacun est ici pour défendre les intérêts de son propre pays », déclare Rutte à la presse néerlandaise. Avant de balayer les critiques : « Je prends sur moi les commentaires. Je ne peux pas me laisser distraire par ça. » Macron, lui, se veut plus « prudent », mais admet que malgré « des moments très tendus », « un esprit de compromis est là ». Le soir, Charles Michel présente une ultime proposition.

Mardi

Tweet de Michel à 5h31 : « Deal! » Macron évoque une journée « historique ». Les leaders se succèdent, heureux et épuisés, en conférence de presse. Le marathon du sommet de Nice en 2000, quatre nuits blanches, reste à battre. À 25 minutes près.

Clément ZAMPA/AFP

Drôle de sommet : sans presse, sans contact, masqué. Mais après quatre jours et quatre nuits de discussions émaillées de coups de sang et de moments de bluff, les dirigeants européens sont finalement parvenus à s’entendre sur un plan de relance économique. Retour sur cette âpre négociation.Vendredi« C’est notre projet européen qui se joue là », lance le Français...
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