C’est arrivé assez rarement ces derniers mois pour être souligné : la livre libanaise a repris un peu de couleurs cette semaine face au dollar, comparé à son niveau de lundi. Une embellie qui reste pour l’instant anecdotique, tant que les dirigeants du pays n’ont pas lancé de réformes permettant d’entamer le redressement du pays en crise et de convaincre le Fonds monétaire international (FMI), avec qui il négocie depuis avril dernier, de les aider financièrement pour y parvenir.
Selon les sources habituellement contactées par L’Orient-Le Jour, le dollar se vendait un peu en dessous de 8 000 livres hier auprès des agents de change du marché noir, qui le revendaient légèrement au-dessus du même seuil, soit 7 900/8 200 livres le dollar à l’achat et à la vente à la mi-journée. Peu ou prou au même moment, le site Lebaneselira.org dévoilait une fourchette située entre 8 000 et 8 500 livres, tandis que le site businessnews.com.lb tablait vers la fin de journée sur des fourchettes encore plus basses, 7 500 à 7 550 livres le dollar à l’achat, contre 7 850 à 7 875 livres à la vente.
Liste des taux
Bien qu’il soit en baisse de plus de 1 000 livres en moyenne depuis lundi, ce taux reste toujours extrêmement élevé comparé à la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar qui n’est maintenue que pour certaines transactions. C’est par exemple le cas pour les mécanismes de subventions des importations de carburant, de blé, de médicaments, de matériel médical et de matières premières pour l’industrie pharmaceutique locale (circulaires n° 530 et 535 adoptées à l’automne 2019).
Le taux imposé par la Banque du Liban aux agents de change agréés, et qui est mis à jour quotidiennement, est, lui, toujours fixé depuis le 18 juin dans la fourchette de 3 850 livres le dollar à l’achat et 3 900 livres à la vente. Celui auquel les sociétés de transfert d’argent doivent convertir dans la monnaie nationale les montants en devises envoyés à leurs clients au Liban avant de les décaisser est toujours de 3 800 livres pour un dollar. L’application « Sayrafa », mise en service par la BDL pour permettre aux agents de change de tracer les transactions en devises, est de son côté « utilisée par une majorité d’agents », selon une source proche de leur syndicat contactée par L’Orient-Le Jour.
Enfin, le taux applicable pour les circulaires n° 148 et 151 adoptées en avril et qui permettent aux déposants de retirer, sous certaines conditions, leurs « dollars libanais » à un taux plus proche du marché est encore fixé à 3 850 livres pour un dollar. L’expression « dollars libanais » est utilisée par de nombreux experts pour désigner les dépôts des clients libellés dans cette monnaie et sur lesquels les banques ont adopté de nombreuses restrictions illégales, principalement parce qu’elles n’ont pas ou plus de liquidités nécessaires pour les couvrir. Les « dollars frais » désignent en revanche les montants déposés sur des comptes spéciaux définis par l’Association des banques du Liban (ABL) en novembre dernier – au moment d’harmoniser les restrictions bancaires – et dont la BDL garantit depuis avril le droit des clients à en disposer librement (circulaire n° 150).
S’il est difficile, en l’absence de données fiables et détaillées, d’expliquer les raisons de ce rebond de la livre, une source proche de la BDL évoque deux facteurs qui ont commencé à réduire l’écart entre l’offre et la demande de devises chez les agents. « Il y a d’abord le fait que l’aéroport a rouvert ses portes avec la fin du confinement (depuis le début du mois, NDLR), permettant à des expatriés libanais ou des étrangers de venir au Liban avec des devises en poche », expose-t-elle. L’influence de ce facteur a été soulignée lundi dans un rapport de Bank of America destiné aux investisseurs et détaillant la situation monétaire du Liban – L’Orient-Le Jour en a résumé certains éléments dans son édition de jeudi.
« Clientélisme »
« Il y a aussi le fait que la Banque centrale et le gouvernement ont amendé le mécanisme permettant aux importateurs d’acquérir des dollars auprès d’elle et via les banques à un taux de 3 850 livres en étendant notamment la liste des produits concernés, le fameux panier alimentaire élargi », poursuit-elle encore. Ce mécanisme a été initialement mis en place en mai pour tenter de limiter l’inflation sur certaines denrées alimentaires de base et des matières premières destinées à l’agriculture locale. Il a été étendu cette semaine, avec la promesse que la BDL injecterait les devises nécessaires dans le secteur bancaire pour rendre le mécanisme opérant. Il devrait être actif dès lundi, a indiqué cette semaine le ministre de l’Agriculture et de la Culture, Abbas Mortada.
Il reste que peu d’agents concernés pensent que cette mesure pourra apporter une solution durable à la crise, et critiquent amèrement un mécanisme qui accorde trop de pouvoir discrétionnaire aux ministères – Agriculture, Commerce et Industrie – qui participent à sa mise en œuvre. « Certains dossiers respectant les conditions fixées par l’exécutif et la BDL sont rejetés sans explication, et le seul recours possible est de faire appel au ministre concerné », regrette un importateur qui affirme avoir vu sa demande refusée. Il évoque « un processus qui encourage le clientélisme » et « qui permet à la classe politique d’avoir un droit de regard sur une importante partie des importations du pays, sans véritable garde-fou ». Une allégation difficile à vérifier en l’espèce, mais qui reste crédible.Un autre importateur pense pour sa part savoir que certains agents de change ont commencé à écouler une partie des dollars qu’ils gardaient en stock. « Cela fait trois semaines que je fais le tour des bureaux pour acheter des dollars au taux fixé par la BDL, sans succès. Hier, un agent agréé a enfin accepté de m’en vendre, mais à un taux aligné sur celui du marché noir », dénonce-t-il, assurant avoir refusé d’effectuer la transaction. Si la source proche du syndicat des agents de change assure de son côté que les acteurs de la filière respectent les mesures d’encadrement imposées – et qui limitent les ventes de devises à certaines catégories de transactions devant être justifiées, documents à l’appui –, il n’existe pour l’instant aucun moyen de pouvoir s’en assurer de façon formelle. Enfin, une source bancaire considère qu’il faudra attendre de voir dans quelle condition le mécanisme de subvention du « panier alimentaire élargi » sera mis en œuvre pour pouvoir anticiper l’évolution probable de la livre par rapport au dollar la semaine prochaine. « Mais il ne faut pas se leurrer : sans réformes de fond, la situation est vouée à rester précaire », conclut cette source, une analyse partagée par le FMI, les soutiens du Liban ainsi que la quasi-totalité des experts qui observent l’évolution de la crise économique et financière du pays du Cèdre.
commentaires (6)
Les bureaux de change ne devraient même plus exister. Leur agrément devrait être suspendu. Et la BDL voir avec les banques que faire avec les $$... si tous les clients disposaient de leurs $$ on en serait pas là...
Sybille S. Hneine
15 h 29, le 12 juillet 2020