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Idées - Point de vue

Chute de la livre : le pouvoir est démissionnaire

Chute de la livre : le pouvoir est démissionnaire

Une file d’attente devant un bureau de change, le 18 juin 2020. Joseph Eid/AFP

Depuis plusieurs semaines, les Libanais assistent, impuissants, à une rapide et brutale accélération de la chute du cours de la livre libanaise. Jeudi, le dollar s’échangeait au-delà de la barre des 7 000 LL selon le site lebaneselira.org, soit près de cinq fois le taux officiel. Et ce alors que les autorités monétaires, gouvernementales et sécuritaires avaient promis le 12 juin, face à la colère croissante de la population, de ramener rapidement ce taux en dessous de 4 000 LL.

Les mesures annoncées alors (injection de dollars dans le circuit économique et répression des bureaux de change) pour atteindre cet objectif étaient vouées à l’échec car fondées sur une approche de très court terme, sans la moindre vision ou volonté réelle des pouvoirs publics de freiner la chute libre de la monnaie et ses conséquences littéralement catastrophiques pour toute la société libanaise.

Colère légitime
Les tentatives de contrôle du marché effectif des changes et le gaspillage des maigres réserves en dollars en l’absence de plan de sortie de crise ne feront qu’en accroître les effets désastreux. La démission d’Henri Chaoul (membre du conseil de Kulluna Irada) de l’équipe de négociations avec le Fonds monétaire international confirme que les perspectives de concrétisation d’un plan de stabilisation macroéconomique et de restructuration de la dette publique, de la Banque centrale et du système bancaire s’éloignent. Un tel plan est une condition sine qua non pour stabiliser la livre. En réalité, ce sont les autorités qui ont démissionné de leurs responsabilités de sauvegarder l’intérêt général.

Les Libanais ont donc raison d’être en colère : cette crise monétaire s’inscrit dans le contexte d’une débâcle beaucoup plus vaste qui, jour après jour, ne cesse de menacer leurs emplois, leur épargne, leur pouvoir d’achat et leurs espoirs pour l’avenir du pays. Malgré une frustration sociale grandissante et l’implosion économique imminente, le système politique qui gouverne le pays n’a pas changé d’un iota ses habitudes : les nominations administratives (dans le secteur financier notamment) ont été faites sur une base clientéliste ; le Parlement continue de bloquer des réformes législatives essentielles ; et le gouvernement n’a pris aucune mesure témoignant de sa capacité à agir sur le cours des choses de façon cohérente et crédible ; quant aux autorités monétaires, elles s’entêtent dans le déni avec pour seul effet de reporter le coût de leurs erreurs sur une population exsangue.

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Il est de fait totalement irresponsable de continuer de faire croire aux déposants qu’ils peuvent encore être épargnés par les pertes colossales accumulées dans le système financier (la part du « trou » de la Banque centrale est supérieure à celle de la dette publique). Les dépôts en devises sont prisonniers d’un système bancaire qui cumule les mesures arbitraires et discrétionnaires avec la couverture d’autorités de régulation qui se sont affranchies de tous les standards internationaux de gouvernance du secteur. Il est temps de voir la réalité en face : les comptes en dollars américains n’existent presque plus et ont été remplacés par une monnaie qui n’a cours qu’au Liban, le « dollar libanais », dont la valeur ne cesse de se déprécier, comme en témoigne le coût croissant des opérations douteuses destinées à les convertir en véritables billets verts. Vouloir masquer cette réalité revient implicitement à reporter sur l’ensemble des Libanais l’absorption des pertes plutôt que de les répartir de façon équitable comme l’exigent les règles les plus élémentaires de gestion des crises économiques et financières.

Face à la crise, le Liban a plus que jamais besoin d’une vision économique et politique à même de rétablir la confiance dans le système, sécuriser les entrées de capitaux étrangers et gérer stratégiquement les quelques réserves de change qui subsistent. Or, il est désormais manifeste que la structure du pouvoir en place depuis la fin de la guerre de 1975-1990 n’est guère en mesure de fournir une telle vision et encore moins d’agir en conséquence. Seuls une transition politique et l’établissement d’un État civil fondé sur le respect des institutions et la défense de l’intérêt général, garanti par un système judiciaire indépendant, sont en mesure de redonner quelque espoir de ne pas sacrifier une nouvelle génération de Libanais.

Mesures calamiteuses
Les dernières mesures gouvernementales se sont avérées calamiteuses à plusieurs égards. Elles ont d’abord accentué de manière inacceptable l’épuisement des réserves de dollars du pays. En utilisant une partie des réserves restantes pour pomper des dollars sur le marché et abaisser artificiellement le taux, la Banque centrale a accru de fait les pertes des Libanais. Il est donc plus que jamais essentiel de procéder à un audit des comptes de la BDL, comme Kulluna Irada le réclame depuis le début de la crise, pour quantifier précisément les pertes et établir la valeur réelle des réserves de change restantes. Ces dernières devraient ensuite être gérées par une loi sur le contrôle des capitaux, dont l’adoption ne cesse de se faire attendre, qui donne la priorité à l’utilisation des devises pour les importations vitales dans les mois à venir. Et ce jusqu’à ce qu’un éventuel accord soit conclu avec la communauté internationale pour la mise en œuvre d’un plan de sauvetage plus vaste.

Ensuite, l’approche répressive adoptée par le gouvernement pour répondre à la spéculation s’avère contre-productive. En renforçant les mesures de police visant le marché noir et en plafonnant de manière importante et arbitraire les bénéficiaires potentiels des opérations de change, cette politique ne fera qu’exercer une pression haussière sur le taux de change tout en renforçant l’opacité du marché, avec les conséquences habituelles de cette culture du secret en matière d’inégalités sociales et d’inefficience économique.

D’autant que cette approche répressive comporte aussi un volet s’apparentant à de la censure. En demandant au ministère de la Justice de cibler les personnes accusées de répandre de fausses informations sur le déclin de la monnaie, le pouvoir ouvre la porte à de sérieuses entraves à la liberté d’expression tout en accentuant l’incertitude des citoyens sur la réalité des taux de change.

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En outre, le fait de présenter la dépréciation continue de la livre comme le produit de manipulations volontaires de la part de certaines forces d’opposition, étrangères ou internes, relève pour l’essentiel d’une manœuvre de diversion. Si certains tentent sans aucun doute de tirer profit de l’instabilité actuelle pour régler des comptes politiques, réduire le récit de la crise monétaire à cette dimension politicienne n’est rien de moins qu’une tentative de détourner l’attention de ses raisons principales. Perte de confiance des agents ; manque de liquidités en dollars ; augmentation rapide de l’offre en monnaie locale ; implosion de la livre syrienne ; mauvaise gestion continue des réserves de change et incapacité du gouvernement à mettre en œuvre les réformes nécessaires... La liste est longue.

Changer d’approche
Au final, cette approche à court terme accroît la facture des Libanais qui est déjà particulièrement lourde. Le gaspillage des dollars restants ne fait que réduire notre capacité à continuer de financer les importations essentielles au cours des prochains mois, notamment le carburant, le blé et les médicaments, menaçant de dangereuses pénuries dans un avenir proche.

À défaut d’une approche globale, fondée notamment sur une politique monétaire et budgétaire saine, le pire reste donc à venir. La dépréciation de la monnaie est due à une crise de confiance des acteurs, celle-ci ayant été continuellement sapée par les autorités. Elle résulte aussi d’un déséquilibre entre l’offre et la demande produit par des années de politiques budgétaires et monétaires catastrophiques, qui ont entraîné des pertes financières sans précédent, équivalant à plus de deux fois la taille de l’économie. À défaut de mesures drastiques immédiates, le Liban s’achemine inexorablement vers une détérioration exponentielle de la situation : épuisement des réserves en devises ; inflation galopante et effondrement économique encore plus grave que ce qui est actuellement prévu.

Par KULLUNA IRADA

Organisation non gouvernementale fondée et exclusivement financée par des Libanais résidant au pays ou à l’étranger

Depuis plusieurs semaines, les Libanais assistent, impuissants, à une rapide et brutale accélération de la chute du cours de la livre libanaise. Jeudi, le dollar s’échangeait au-delà de la barre des 7 000 LL selon le site lebaneselira.org, soit près de cinq fois le taux officiel. Et ce alors que les autorités monétaires, gouvernementales et sécuritaires avaient promis le 12 juin,...

commentaires (5)

Le aahed effectivement joue le rôle du bourreau qui exécute le Liban. Il n'a pas besoin d'être fort il faut tout simplement qu'il suive des ordres et bien mener la chute de la nation vers l'enfer!

Wlek Sanferlou

14 h 06, le 08 juillet 2020

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Commentaires (5)

  • Le aahed effectivement joue le rôle du bourreau qui exécute le Liban. Il n'a pas besoin d'être fort il faut tout simplement qu'il suive des ordres et bien mener la chute de la nation vers l'enfer!

    Wlek Sanferlou

    14 h 06, le 08 juillet 2020

  • LE POUVOIR DÉMISSIONNAIRE? Quel pouvoir? Les polichinelles au pouvoir font peur aux libanais en leur parlant de la peur du vide si jamais le président sera déchu par force ou le gouvernement chassé à coup de pieds. Mais est ce que le vide n’a pas déjà lieu et ce depuis plus de Plusieurs décennies. Le pays a été vide de toutes ses instances patriotiques, juridiques et financières, ils savourent le fruit de leur labeur en laissant les gens crever à petit feu pour leur imposer une dictature. ON SE RÉVEILLE. J’ai mal à mon pays.

    Sissi zayyat

    18 h 25, le 03 juillet 2020

  • Encore une promesse qui n'a pas été tenue: une police des prix. Pourquoi les produits achetés au taux de 1500 LL pour un dollar sont-ils revendus eu taux de 8000 LL/$? Pourquoi les produits libanais suivent-ils la même augmentation que les produits étrangers? Il y a là un vol manifeste dont l'Etat ne se préoccupe pas le moins du monde. Ce laisser-faire, d'une part, pénalise gravement les acheteurs, d'autre part, n;encourage pas à acheter libanais, ce qui devrait pourtant être dans la logique d'in gouvernement constitué de citoyens d'intelligence moyenne.

    Yves Prevost

    15 h 55, le 01 juillet 2020

  • UN MEGA BORDEL MAL GERE ! FAUT CHANGER DE MARIKA...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 10, le 27 juin 2020

  • Encore des gens qui se prennent pour des génies de l’analyse économique et financière pour proposer des solutions. Mais qu’avez vous fait pour nous éviter d’arriver à la situation actuelle : RIEN du tout. Alors de grâce taisez vous et allez étaler votre science et votre savoir dans les salons lors des soirées mondaines

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 57, le 27 juin 2020

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