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Nos Lecteurs ont la Parole

Quand il ne reste que le silence...

Aujourd’hui, c’est déjà l’été. Oui... déjà. Le soleil tente de se frayer un chemin entre d’autres courbes universelles ascendantes : celles de la pauvreté, de la famine, des guerres civiles et du racisme. Il essaye de nous indiquer la route à suivre pour préserver une paix difficile à trouver mais si facile à perdre. Face aux spectres de tous les tyrans invisibles, il nous murmure de mesurer nos mouvements au mètre près tout en calculant nos propos à la lettre près.

Deux mètres de distance et des milliers de secondes de réflexion. Voilà deux des nombreux termes de l’équation qu’il nous reste à résoudre partout, à égalité, pour nourrir et guérir les habitants d’une planète qui ont de plus en plus faim et de plus en plus mal. À nous de ne pas diviser les peuples, les religions, les races, les âges, afin de garder une humanité. Une et une seule. Finalement, Pythagore avait peut-être raison. « Tout est nombre », nous disait-il, même si les entiers se perdent aujourd’hui sans compter chez les irrationnels. Des entiers décimés qui tentent de vider de leur sens nos concepts de liberté, d’égalité et de dignité, partout, sans discrimination. Oui... dans tous les pays de la planète, un mètre ou un mot de travers et c’est la déroute absolue. Face à l’autre, encore loin, « personne de couleur », « noire », « blanche », « pauvre », « riche », « privilégiée », « défavorisée », « intègre » ou « corrompue », « count to ten before you speak », leur dit-on. Mais à force de compter, les retenues deviennent nombreuses. Et après toutes ces soustractions, il ne reste que le silence comme solde de tout compte. Le silence pesant des mots que l’on n’ose plus prononcer de peur d’offenser. Le silence découragé de conflits que l’on n’arrive plus à arrêter alors que l’on s’était tous promis de vivre en paix. Le silence éphémère qui précède la colère. Le silence de la consternation qui annonce toutes les révolutions.

Dans ce chaos sonore, les enfants décident de se mettre au piano parce que « la musique adoucit les mœurs ». Et puis on déchiffre la partition avec eux : beaucoup de noires et de blanches qui se promènent tout en haut et tout en bas, séparées dans des cases et des temps, révolus, perdus ou suspendus.

« Maman, on a un autre problème... une note blanche vaut deux notes noires. » L’étonnement équivaut à un silence à trois temps, celui de deux enfants et du parent à court d’arguments. On s’accroche alors à nos notes car on craint qu’elles aussi ne soient emportées par le vent, au grand désespoir de Clark Gable et de Vivien Leigh provisoirement « censurés » le 10 juin dernier, ou pire, guillotinées, comme Christophe Colomb, le même jour à Boston, plus de cinq siècles après sa découverte de l’Amérique.

Derrière cette partition, se cache encore notre espoir de réussir à libérer pacifiquement ces notes de leur case : les blanches, les noires mais aussi toutes celles que l’on arrête encore injustement à chaque barre de reprise, parce que certaines clés s’entêtent en canon à leur reprendre leur sonorité. Des notes de plus en plus graves déterminées à surmonter les désaccords pour être elle aussi portées par la prospérité. Des notes, ni noires ni blanches, mais dont l’intensité démesurée s’inscrit depuis longtemps dans la durée. Des notes qui trouvent leur rythme entre la guerre et la paix : les notes de notre Moyen-Orient, quelles que soient nos nuances et l’instrument qui nous permet encore d’exister.

Après un long soupir, un quatre mains réussit à ressusciter la solidarité de toutes ces notes, sans demi-mesure, grâce à deux générations réunies. La complémentarité est la clé de la partition de la paix, au sol. Oui... malgré toutes leurs différences, leurs silences et leurs temps forts, elles finissent par vivre en harmonie. D’un commun accord, elles laissent toutes celles longtemps injustement oubliées ou mises de côté tout simplement, exister. Et nous de constater qu’Edgar Varese dans sa conception du son « as living matter » ne s’était pas trompé : « Le destin de la musique est de conquérir la liberté. » Aujourd’hui, déterminés à célébrer la Journée mondiale de la musique, les musiciens des rues sont partis reconquérir leurs libertés dans les parcs, sur l’herbe, « en vert » et contre tout. Ils se sont mis à jouer et tout à coup, le temps d’une mélodie, le temps d’un instant au-dessus de tous les temps, grâce à toutes ces notes réunies, plus personne n’avait faim, plus personne n’avait peur, plus personne n’était dans une colère « noire ». Parce que plus personne ne comptait les mètres, les lettres et les maux, que Covid ne comptait plus, et qu’au bout du compte, toutes les vies comptaient enfin.


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Aujourd’hui, c’est déjà l’été. Oui... déjà. Le soleil tente de se frayer un chemin entre d’autres courbes universelles ascendantes : celles de la pauvreté, de la famine, des guerres civiles et du racisme. Il essaye de nous indiquer la route à suivre pour préserver une paix difficile à trouver mais si facile à perdre. Face aux spectres de tous les tyrans invisibles, il nous...

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