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Culture - Le grand entretien du mois

« J’aimerais bien jouer et avoir pour metteur en scène Alain Plisson »

90 ans, et tout le temps du monde pour faire tous les métiers qu’il chérissait. D’abord journaliste, critique de cinéma, professeur titularisé de théâtre, animateur radio et de programmes télé, responsable d’un ciné-club et conférencier, mais c’est surtout l’acteur et le metteur en scène que nous avons rencontré. « Il aime jouer et faire jouer, il est exigeant et passionné, possède une intelligence scénique, peut être colérique (uniquement avant les premières) tout en étant très tolérant et patient. Il a une capacité à décrypter les caractères et les personnalités. » Ce sont par ces termes que les acteurs d’Alain Plisson décrivent leur metteur en scène préféré. Alain Plisson a toutes ces qualités, mais ce qu’il a surtout, c’est un secret. Celui de l’éternelle jeunesse. Dans l’énergie de son timbre, dans la clarté de ses yeux, dans la musicalité de son rire, jusque dans sa démarche. Il a tout vu, tout vécu, n’a rien oublié et surtout pas l’essentiel : être heureux de vivre !

« J’aimerais bien jouer et avoir pour metteur en scène Alain Plisson »

Alain Plisson, sage comme une image... mais pas sur scène ! Photo DR

Alain Plisson, racontez-nous vos origines...

Je suis né à Alep en 1929 où mon père s’était installé pour des raisons professionnelles. La rencontre de mes parents à Alexandrette (sud de la Turquie), où ma mère est née, tient du roman-photo. Mon père, en route pour Alep, s’arrête donc en chemin à Alexandrette. Un après-midi qu’il se promenait dans la ville, il entend chanter : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine et malgré vous, nous resterons français. » C’était ma mère, à qui on avait appris à l’école des chants patriotiques français. Elle était élève à l’établissement Saint-Joseph de l’Apparition et je soupçonne les religieuses françaises à cette époque d’avoir servi d’espionnes contre l’Empire ottoman. Sidéré, mon père demande à rencontrer la jeune fille à qui appartenait cette jolie voix, car ma mère avait une très jolie voix. Et voilà comment Clémentine Sader, fille de Michel Sader, rencontre Robert Plisson. Ils se marient et embarquent pour Alep où mon père avait été chargé de mettre en place toute l’infrastructure du parc automobile. Lorsque nous quittons Alep pour Damas, j’avais 3 ans. Je rentre en maternelle, ensuite à l’école où je continue mes études jusqu’à l’âge de 7 ans, période à laquelle on emménage enfin à Beyrouth. Mon père n’avait plus d’attaches en France. Il avait perdu toute sa famille.

À quoi ressemblait le milieu dans lequel vous avez grandi ?

Je suis né dans une famille portée sur le spectacle. Ma mère adorait le cinéma. Quand j’avais 7 ans, elle m’entraînait dans les salles, ma tante nous accompagnait toujours et quand une scène d’amour occupait l’écran, beaucoup moins audacieuse que celles du cinéma d’aujourd’hui, on me demandait de me cacher sous prétexte que la scène était violente et risquait de perturber mon sommeil de petit garçon sage. Alors je plongeais dans les jupes de ma mère ou de ma tante et je répétais inlassablement : « C’est fini ? C’est fini ? » Pour finalement ressortir ma tête tout en sueur. J’ai aussi le souvenir de la musique comme compagne quotidienne. Ma mère et ma tante ont grandi chez les religieuses qui inculquaient aux élèves l’amour de la musique et des arts en général et leur apprenaient à jouer d’un instrument. Ma mère jouait de la mandoline et ma tante du piano, et toutes les deux chantaient. Il y avait toujours un fond de musique à la maison.

Est-ce qu’Alain Plisson était polisson ? Quel enfant était-il ?

On aurait tendance à imaginer que j’étais un enfant indiscipliné, un peu chenapan ou polisson, vu mon tempérament fougueux, mon énergie sur scène et ma réputation de luron joyeux. Mais, étrangement, j’étais un enfant très sage. J’ai grandi entouré de femmes. Ma mère, ma grand-mère et ma tante (qui n’était pas mariée à l’époque) m’ont toutes les trois élevé. J’ai évolué à l’ombre des robes et des jupons. Et il y en avait toujours une pour me cajoler, me dorloter ou me bichonner. Ma mère était la plus sévère, c’était celle qui me gâtait le moins, mais j’avoue avoir eu une enfance très protégée.

Votre plus beau souvenir d’enfance ?

L’Exposition universelle des arts et des techniques appliqués à la vie moderne se tenait à Paris au mois de mai de l’année 1937, et ma mère insistait pour y aller. Mon père qui ne refusait rien à la jeune fille qui chantait « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » lui avais dit : emmène les enfants et vas-y. Pour un enfant de 7 ans, prendre le bateau, voguer pendant 6 jours, arriver à Marseille, prendre le train et débarquer à Paris, n’était pas une aventure mais un voyage interstellaire. On s’installe chez les parents de ma mère qui habitaient la France et je découvre, émerveillé et heureux, Paris, la capitale du monde. Notre séjour dura deux mois et c’était pour le petit garçon que j’étais la plus belle des expériences.

Quel élève étiez-vous ?

J’ai été scolarisé au Collège de la Salle qui est devenu plus tard le Mont la Salle. J’avais une bande de copains dont il reste un seul survivant, nous n’étions pas téméraires et nous avions des parents très stricts, avec la messe tous les dimanches. Je servais la messe et j’étais enfant de chœur. En souvenir de ma mère, je suis resté fidèle à ces principes, je suis croyant : Dieu existe, l’enfer existe ! Mais j’étais un élève diffèrent des autres. J’avais de très bons résultats scolaires, sauf que j’avais la réputation d’être un anticonformiste. Déjà passionné de cinéma, je cherchais toutes les semaines à voir les films proscrits par l’école pour laquelle le moindre petit « je t’aime » à l’écran faisait du film une œuvre scandaleuse. Et moi, je ne voulais rien rater.

Le cinéma a occupé une place importante dans votre vie, bien avant le théâtre...

Du temps où nous habitions Damas, mes parents avaient pris le pli de nous emmener passer les étés au Liban et ma mère avait découvert un hôtel qu’elle appréciait particulièrement, tenu par des Égyptiens à Souk el-Gharb. C’était devenu une tradition qui, une fois installés au Liban, a perduré. Aley était le village le plus proche et jouissait d’une vie nocturne grâce à ses restaurants et ses salles de cinémas. Cela me convenait très bien. Mes parents me donnaient 50 piastres la semaine pour argent de poche. Cela suffisait pour me payer l’entrée au cinéma et le taxi service aller-retour.

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Après avoir fait mes calculs, je trouvais que cela ne me convenait pas. Un film par semaine était insuffisant pour le petit garçon assoiffé d’images et d’histoires que j’étais, surtout que les bandes-annonces me donnaient envie de voir tous les films. Pour économiser, je décide alors de faire l’un des deux trajets à pied, de Souk el-Gharb à Aley... La sucette que je mettais en bouche couvrait tout le temps de la traversée. C’est ainsi que je pouvais voir deux films la semaine. Toute ma culture cinématographique date de cette époque-là.

Quelle a été votre première expérience théâtrale, et fut-elle déterminante pour suivre la voie que vous avez choisie ?

À l’âge où il a fallu choisir une carrière, je m’inscris à la faculté de droit. Le théâtre n’était pas du tout une option. J’avais certes, comme tous les élèves, tenté l’expérience à l’école, où j’avais incarné tantôt le meunier couvert de farine tantôt le pécheur qui pleurnichait et invoquait la Vierge Marie (ma tante et ma mère en étaient sorties bouleversées), mais on m’avait bien expliqué que je n’étais pas fait pour le théâtre. Mais il y a dans la vie une sorte de fatalité à laquelle on n’échappe pas. Nous sommes tous destinés à accomplir une chose à laquelle nous ne pensions pas forcement au départ. Ma fatalité avait un prénom : Yolande. Elle a débarqué un jour et m’a lancé : « Alain est-ce que tu voudrais faire du théâtre? » Je chantais un peu, j’avais une belle voix et quand il y avait un solo, c’était à moi qu’on le donnait, mais du théâtre, je n’en avais jamais fait sérieusement. La mère de Yolande était française et travaillait pour des œuvres de bienfaisance et elles me proposaient toutes deux de participer à l’aventure. Nous répétions durant des mois pour nous produire une seule fois. Cela avait suffi pour que j’abandonne le droit. Mais pas assez pour faire du théâtre.

C’est à ce moment de votre vie que vous avez entamé une carrière de journaliste ?

Un jour, je suis abordé par un groupe de jeunes gens de la faculté de droit responsables du bulletin de fin d’année. Ils me proposaient de participer à l’édition et d’écrire un papier humoristique. Comme je savais que j’allais épingler tout le monde, il me fallait trouver un pseudonyme. C’est ainsi que je suis devenu : « La lapine bègue », une sorte de folle déchaînée qui tapait sur les professeurs et les étudiants. Et lorsque L’Orient, qui n’était pas encore L’Orient-Le Jour, s’est fait interdire d’articles politiques en raison d’un article qualifié de subversif de Georges Naccache, le journal est suspendu pour une durée de trois mois. Nous sommes au début des années 50. On me convoque au journal et Clovis Rizk me reçois pour me dire : « Nous savons que la lapine bègue, c’est vous. Est-ce que vous seriez disposés à venir participer à un journal de mondanité ? » Voilà comment j’ai écumé tous les sujets idiots : des concours de beauté à la cause des chiens écrasés, en passant par les jardins d’enfants. J’ai fait mon apprentissage d’écriture journalistique. J’ai appris à être concis et précis. J’ai travaillé pendant trois mois gratuitement mais j’étais très heureux. Au moment de nous séparer, Clovis Rizk me convoque pour me dire : « Tu es fait pour le journalisme, je vais te trouver un poste dans un revue de cinéma qui s’appelle Écran d’Orient. » Je me présente chez les pères jésuites en charge du Centre catholique pour le cinéma. Je n’en suis plus sorti qu’après avoir scandalisé les jésuites qui se sont presque évanouis face à une couverture de Martine Carol dans Caroline chérie avec pour titre : « 10 amants et un seul amour ». La revue s’est vendue, l’acquéreur a voulu me garder. Mais d’employé, j’étais devenu en 1958 copropriétaire. Voilà comment le journalisme et le cinéma sont entrés dans ma vie par la même porte. Plus tard, je suis chargé d’animer une émission consacrée au cinéma pour Télé Liban de 1962 à 1972, Présence du cinéma. Sans oublier le premier ciné-club de Beyrouth en collaboration avec la cinémathèque française (Henri Langlois) de 1955 à 1975 et dont j’étais le membre fondateur.

Et le théâtre ?

Je continuais longtemps à jouer les amoureux transis et les fiancés évincés. J’étais fatigué des jeunes filles enamourées et en pâmoison. Lorsque je suis sauvé par l’École des lettres qui venait d’être créée au Liban et qui voulait valoriser les bons textes et les bonnes pièces. Les étudiants se tournent alors vers un théâtre de qualité et vers des textes de fond. On me proposait des rôles intéressants, alors que jusque-là je jouais l’idiot amoureux. J’avais déjà entamé mon éducation théâtrale grâce à mes voyages réguliers en France où j’avais eu la chance de voir tout ce qu’un amoureux de théâtre rêve de voir : j’ai assisté à la création du Diable et du bon Dieu de Jean-Paul Sartre, Le balcon de Jean Genet, Deux sur la balançoire de Luchino Visconti, les pièces d’Eugène Ionesco, d’Arthur Miller et de Peter Brook. J’ai vu sur scène Pierre Brasseur, Jean Marais, Maria Casarès, Annie Girardot et tant d’autres monstres des planches. Je me lançais enfin pour des pièces intéressantes, comme Il ne faut rien jurer de Musset. Entre-temps, les jeunes prennent en charge le Théâtre de Beyrouth, mis à leur disposition par Saïd Sinno. C’était l’époque où Roger Assaf était étudiant. Arlequin valet de deux maîtres de Carlo Goldoni sera mon premier grand rôle. Je remplaçais Nicolas Zapataeif, qui exigeait d’être rémunéré. Et comme la production n’avait pas les moyens j’ai dû assurer le rôle. J’ai eu 15 jours pour apprendre le texte, c’était un véritable cauchemar, un rôle très physique pour moi, où durant une semaine je devais me faire masser. Le décor n’était pas très approprié, il s’est écroulé au fur et à mesure de la représentation.

J’ai aussi contribué à l’existence d’un théâtre d’amateur français et libanais et sérieux grâce à Roger Assaf. Je jouais dans les pièces de Gabriel Boustany. Je ne jouais plus que du libanais, mais en langue française jusqu’à Aladin in memoriam qui a été le dernier spectacle avant que la guerre n’éclate.

Et ce déclic pour la mise en scène, il s’est fait quand ?

La guerre éclate. De 1976 à 1982 tout est suspendu. En 1982, je suis invité aux États-Unis par l’ambassade américaine pour un tour organisé, à la découverte du théâtre américain. Je devais représenter le Liban. Ce voyage a été la raison pour laquelle j’ai basculé d’acteur à metteur en scène. J’ai sillonné les USA et visité 12 villes, pour terminer mon séjour à New York où j’ai fais un passage à l’Actors Studio et retrouvé Helen Stewart (elle avait joué Médée à Baalbeck), qui m’annonce qu’un groupe de Libanais est de passage à New York, pour assister à La conférence de oiseaux, mise en scène par Peter Brook. C’était Nidal Achkar et son mari Fouad Naïm. Le soir de la première, j’ai pleuré tout le long du spectacle. C’était l’Orient dans toute sa splendeur et son authenticité. À la sortie, Peter Brook, le metteur en scène, demande à rencontrer ce monsieur qui a pleuré du début jusqu’à la fin. L’entretien allait se terminer par une promesse. Il me promet le texte en français à condition de l’adapter au Liban. Je n’avais jamais fait de mise en scène, je n’avais fait que sautiller sur scène, mais il insistait. Vous êtes un metteur en scène et vous ne le savez pas encore. C’était ma deuxième Yolande !

De retour à Beyrouth, j’entame ma première mise en scène, L’autre Don Juan, d’Eduardo Manet, au théâtre de Beyrouth.

Est-ce que le théâtre vous suffisait pour gagner votre vie ?

Sûrement pas. Je me tourne vers l’enseignement. De 1989 (année de sa fondation) à 2004, j’enseigne à l’Iesav (Institut des études scéniques et audiovisuelles). Le point de départ avait été le Beirut University Collège (BUC), où l’on m’avait désigné en 1986 pour prendre en charge la section théâtre. Je devais enseigner en anglais et j’accepte le défi. Je débarque dans cet établissement et je suis sidéré par le profil des étudiants : des jeunes gens barbus et tatoués ! Et lorsque l’un d’entre eux demande à fumer durant le cours, je lui propose au lieu d’une cigarette de prendre la porte. Il n’en fera rien et s’avérera être mon meilleure élève. À la fin du premier semestre, nous réalisons The Crucible d’Arthur Miller et pour le deuxième semestre, La conférence des oiseaux. Merci, M. Brook ! Ce fut un grand moment dans ma carrière.

C’est quoi la recette pour faire un bon acteur et pensez-vous que pour réussir dans ce métier le talent suffit ?

Pour être un bon acteur, il faut d’abord et surtout de la sensibilité afin de réussir à être le personnage, à s’oublier dans une large mesure, pouvoir se mettre dans la peau d’un autre et se poser les bonnes questions pour comprendre qui vous êtes sur scène. Mais le talent ne suffit pas. Il faut ajouter à cela la chance.

Votre plus beau souvenir de scène.

Tous, mais uniquement un seul mauvais. Je devais monter la pièce de Charles Hélou à la salle Montaigne, La vérité au bout du fusil. Un soir, après les répétitions, je me rends compte que j’avais oublié mes lunettes. J’arrive et la salle était occupée. Je suis obligé de rentrer dans le noir, monter sur scène à tâtons pour arriver jusqu’à ma loge, et au moment de ressortir, je rate une marche et atterris sur la régie. Double fracture suivie d’une intervention. J’ai joué avec ma jambe dans le plâtre, que j’ai caché dans un bas de laine noire, et le plus beau compliment que l’on m’a fait ce soir-là était : « M. Plisson, je vous félicite je n’ai jamais vu quelqu’un boiter aussi naturellement. »

Est-ce que vous êtes superstitieux et avez-vous un rituel avant chaque première ?

Non, pas du tout, j’utilise la couleur verte à volonté. L’acte théâtral est basé sur la spontanéité et la superstition bloque cette spontanéité. Même si on a répété un texte durant des mois, il suffit quelquefois d’un geste ou d’un mot improvisé sur scène pour tout modifier, dans le bon sens évidemment !

Vous préférez jouer ou mettre en scène ?

J’aimerais bien jouer et avoir pour metteur en scène Alain Plisson.

Alain Plisson, racontez-nous vos origines...Je suis né à Alep en 1929 où mon père s’était installé pour des raisons professionnelles. La rencontre de mes parents à Alexandrette (sud de la Turquie), où ma mère est née, tient du roman-photo. Mon père, en route pour Alep, s’arrête donc en chemin à Alexandrette. Un après-midi qu’il se promenait dans la ville, il entend...

commentaires (2)

Alain, Tu as tout le profil d'un One Man Show, Pourquoi n'essaierais -tu pas?

Serge Séroff

03 h 33, le 26 juin 2020

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Commentaires (2)

  • Alain, Tu as tout le profil d'un One Man Show, Pourquoi n'essaierais -tu pas?

    Serge Séroff

    03 h 33, le 26 juin 2020

  • Quel plaisir de replonger dans cette belle époque et de suivre le parcours d’Alain Plisson... « Ah ya zaman, ya Loubnan... » Merci. J’ajouterai, toutefois, qu’ayant été la fille d’un vétéran correcteur de L’Orient et de L’Orient-Le Jour, il aurait été souhaitable de relire votre article, parsemé de fautes d’orthographe! Bien vôtre SdeC

    De Chadarévian Simone

    15 h 41, le 22 juin 2020

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