Samer al-Ameen et le masque démasqué

Samer al-Ameen est au design ce que le hakawati est au café, un conteur émérite qui transforme la banalité en fascination. Ce créateur discret renifle le zeitgeist comme personne. Il vient de lancer une série de masques qui, loin de les masquer, révèlent nos sentiments et nos émotions du moment.

Les masques de Samer al-Ameen « Face/on ». Photo DR

Formé à la LAU en publicité et arts plastiques, al-Ameen s’engage clairement dans la voie subtile de la communication visuelle qui confère à l’image et à l’objet la fameuse valeur de mille mots et au-delà. Après avoir prêté son talent à plusieurs agences prestigieuses, il crée son propre studio en 2006. Il y donne libre cours à sa perception et son interprétation du dialogue le plus juste entre les marques et leur public, qu’il s’agisse de textile, commerce, immobilier, banque, joaillerie ou alimentation. En 2012, il pousse encore plus loin son émancipation en se consacrant à ses propres lignes de design et signe sa première collection d’objets irrigués de sens. Ressentant le besoin de se focaliser sur de nouvelles compétences, il entreprend en 2014 un master en design industriel à la Scuola Politecnica di Design de Milan. En 2016, il installe un studio à Milan à partir duquel ses productions essaiment, d’expositions personnelles en expositions collectives, de Beyrouth à Bâle, à Dubaï et Paris. Caractérisé par une économie d’effets et des messages aussi concentrés que puissants, son travail fait mouche. Il séduit l’industrie avec des objets à la croisée de la tradition et de la modernité, comme cette chaise Khaizaran inspirée du célèbre modèle Thonet, ou ces meubles qui font revivre les « motifs oubliés de l’Alhambra » ou encore des luminaires.

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En août dernier, dans le cadre de l’initiative Minjara, dont l’objectif est de ressusciter les métiers traditionnels de Tripoli, en particulier la marqueterie et la menuiserie, il réalise en collaboration avec les frères Okajian, une famille spécialisée dans la menuiserie architecturale et le meuble sur mesure, une installation intitulée Nostalgia que le public a pu découvrir sur le site de la Foire internationale de la capitale du Nord. La nostalgie dans cette œuvre sensible fait revivre les traditions tripolitaines à travers un paravent marqueté de grandes feuilles de bananier de couleurs vives (la banane et les agrumes font partie des cultures propres aux villes du littoral libanais), ainsi qu’un trolley épuré, inspiré des charrettes des marchands ambulants, en bois vert agrémenté d’un plateau miroir noir et de roues à rayons de cuivre.

Les masques versions femme de Samer al-Ameen « Face/on ». Photo DR

La couleur de vos sentiments

Cela pour dire que le choc mondial occasionné par la pandémie de Covid-19 ne pouvait laisser indifférent ce créateur réactif, autochargé de la mission d’intégrer les problématiques de son époque pour en restituer des réponses intuitives, simples et réjouissantes. C’est ainsi que, réfléchissant à la contrainte du masque et craignant par-dessus tout que celui-ci vienne effacer tout ce à quoi il dédie son art et qu’on pourrait résumer par la communication, il livre une série paradoxale de masques révélateurs . À la manière des bouddhas multifaces, al-Ameen offre à chacun la liberté d’exprimer ses émotions et ses humeurs. Décrivant sa série Face/on, il souligne : « Ceci n’est pas un simple masque, c’est une forme d’expression et de communication. Avant même l’acte de porter un masque de protection, il semble que nous en ayons toujours porté des variantes, nous présentant sous certaines facettes qui masquent notre vérité. En ces temps révélateurs, entre crises et confinement, le moment est venu de tomber le masque, de montrer nos vraies émotions, être soi-même et laisser le monde extérieur lire nos sentiments. » « Comment vous sentez-vous ? » ajoute le designer, comme un pied de nez au courtois mais si indifférent « Comment allez-vous ? ». Une vraie question à laquelle il apporte une vraie réponse. Vos expressions, sourires ou rictus, sont exprimées dans le pop acidulé des lithographies warholiennes, noir sur couleur primaire, celle, au choix, qui reflète au plus près ce que vous n’avez plus envie de cacher.

Pour toute information :

www.designitaly.com