Dans un contexte de vives frictions politiques auxquelles s’ajoute dans la rue l’exacerbation des tensions confessionnelles entre chiites et sunnites, et entre chiites et chrétiens, c’est l’apaisement au sein de la communauté druze qu’ont choisi Walid Joumblatt, leader du Parti socialiste progressiste (PSP), et Talal Arslane, chef du Parti démocrate libanais (PDL). Les deux dirigeants druzes devraient se réconcilier aujourd’hui sous la houlette du président du Parlement Nabih Berry, qui les a invités à se retrouver en sa présence à Aïn el-Tiné, à l’approche du premier anniversaire des affrontements de Qabr Chmoun (caza de Aley), le 30 juin 2019. Ce jour-là, deux partisans du PDL avaient trouvé la mort dans une fusillade impliquant des fidèles du PSP, pendant une tournée du chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, allié de M. Arslane.
En préparation de l’événement, Talal Arslane s’est réuni samedi à Khaldé avec plusieurs personnalités druzes de son camp, notamment Ramzi Moucharrafiyé, ministre des Affaires sociales et du Tourisme, Wi’am Wahhab, chef du parti Tawhid, les anciens ministres Saleh Gharib et Marwan Kheireddine, ainsi qu’avec le cheikh Akl non reconnu par l’État Nasreddine el-Gharib. Au cours de la réunion, les participants ont salué l’attachement de Nabih Berry à l’unité de la communauté druze et à la sauvegarde de la paix dans la Montagne. Hier, le conseil politique du PDL présidé par M. Arslane a jugé, dans le même esprit, que le chef du législatif œuvre pour « l’unité de la Montagne et de ses habitants, et le renforcement de la stabilité et la sécurité dans la région ».
Arslane : « J’aspire à des solutions radicales »
Selon nos informations, MM. Joumblatt et Arslane, qui se retrouveront ce soir à dîner à la table de M. Berry, semblent tous deux disposés à œuvrer à la réussite de la réconciliation. On apprend que les deux dirigeants seront accompagnés respectivement des anciens ministres Ghazi Aridi et Saleh Gharib.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Talal Arslane assure que les questions liées à la Montagne et aux druzes sont pour lui des questions cruciales. « La préservation de la dignité et des droits des druzes font partie de nos constantes », indique le chef du PDL, soulignant qu’il n’a jamais refusé une invitation à une rencontre qui serait liée à ces constantes. D’autant, estime-t-il, que « le vivre-ensemble dans la Montagne est un exemple du vivre-ensemble au niveau national ». Et de remercier M. Berry pour « sa main tendue » en vue de veiller à ces valeurs. « J’aspire à des solutions radicales et non fractionnées », ajoute M. Arslane, précisant que « ce ne sont pas les événements de Qabr Chmoun qui constituent le problème, mais plutôt les accumulations politiques ayant conduit à ces événements ». « L’essentiel est de nous mettre d’accord sur la nécessité de résoudre toutes les questions et de jeter les bases de leur résolution complète », dit-il, estimant que parmi les questions à traiter devraient figurer en priorité les droits des citoyens à la représentation politique. « La Montagne n’est pas la propriété ou le monopole d’un parti, d’un zaïm ou d’une personne », martèle-t-il à cet égard. Ne se faisant pas d’illusions quant à la possibilité d’un règlement des points de litige « en une heure seulement », il prône « un dialogue continu pour éviter à l’avenir des affrontements similaires à ceux de Qabr Chmoun », et indique qu’il pourrait proposer la création d’un comité de suivi qui témoignerait du sérieux de la réunion. Quant aux positions stratégiques de chacune des parties, si M. Arslane sait pertinemment bien qu’elles ne feront pas partie des questions à traiter, il souligne cependant l’importance d’un accord stipulant que les divergences ne doivent pas provoquer de discorde au sein de la communauté druze.
Le PSP veut « réguler » les conflits
Du côté du PSP, on souligne également l’importance de la rencontre prévue aujourd’hui. On estime dans ce cadre que la communauté est assez consciente de la nécessité de resserrer les rangs lorsque les dangers nationaux guettent. C’est pour cela que lorsque Nabih Berry est entré en contact avec Walid Joumblatt au sujet de cette rencontre, ce dernier a accueilli l’idée « à bras ouverts » et souhaité que la séance soit « productive », affirment des sources interrogées, révélant que l’entente est pour le chef du PSP « nécessaire ». Joint par L’OLJ, Walid Joumblatt n’a pas souhaité faire de déclaration avant la tenue de la réunion. Mais à en croire des sources qui lui sont proches, il semble qu’il ne transigera pas sur certaines questions comme celle du cheikh Akl. On sait que le cheikh Naïm Hassan, soutenu par M. Joumblatt, est reconnu par l’État, tandis que le cheikh Nasreddine el-Gharib est considéré par M. Arslane – et par Wi’am Wahab – comme le guide spirituel de la communauté druze. Or pour le PSP, le cheikh Hassan est le représentant religieux officiel des druzes, d’autant qu’il dirige les affaires de la communauté à partir de la Maison druze. Les sources précitées évoquent à cet égard une loi de 2006 ayant établi l’unicité de l’institution du cheikh Akl, et indiquent que le Conseil druze élu en vertu de cette loi avait désigné Naïm Hassan à la tête de cette institution. Pour ce qui est des wakfs druzes – une question constituant également une pierre d’achoppement dans les relations entre les chefs du PSP et du PDL –, les sources du parti joumblattiste estiment que même s’ils sont évoqués, ils ne devraient pas trouver de solution, d’autant que le Conseil druze gère ces wakfs selon le scrutin majoritaire légal. À noter que M. Arslane et certains de ses proches font partie du Conseil druze, mais n’y sont pas majoritaires.
Un cadre du PSP ayant requis l’anonymat estime que M. Joumblatt voudrait « réguler » les conflits, désirant lui aussi « modifier le langage utilisé ». Pour les divergences de fond, « les attitudes anti-Bachar el-Assad du chef du PSP et pro-Hezbollah de M. Arslane ne seront pas évoquées », indique ce cadre partisan, soulignant que « ne pas être du même bord ne doit pas se traduire en tensions interdruzes ». Il ajoute que les discussions devraient se concentrer sur « la suppression des séquelles des deux incidents de Qabr Chmoun et de Choueifate » (en mai 2018, un partisan du PSP, Ala’ Abou Faraj, avait été tué dans cette région lors d’échauffourées avec des partisans de Talal Arslane). Par « suppression des séquelles », le cadre précité fait référence à la nécessité de mettre fin aux litiges judiciaires en amenant les familles des victimes à retirer leurs plaintes dans le cadre d’accords avec les familles des auteurs présumés des actes reprochés.
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13 h 56, le 15 juin 2020