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Culture - Résistance en musique

« Tu m’as aimée en livres libanaises, mais moi je t’ai aimé en dollars ! »

Après le loufoque « Lira w Dollar », Hisham Jaber vient de lancer « Nachid el-Inhiyar » (« L’hymne de l’effondrement »), un cri de colère, un appel au secours citoyen et non partisan, témoignant de la politique de Metro al-Madina qui offre au public divertissement et réflexion.

« Tu m’as aimée en livres libanaises, mais moi je t’ai aimé en dollars ! »

L’hymne de l’effondrement existe et il est magnifiquement chanté par les artistes du Metro al-Madina. Photo DR

Le plan gouvernemental de déconfinement ne prévoit toujours pas l’ouverture des salles de théâtre comme celle du Metro al-Madina. Les habitués de ce lieu devenu incontournable de la scène underground arty de Beyrouth, ainsi que son directeur artistique et producteur Hisham Jaber, n’en comprennent pas les raisons et revendiquent le droit d’exister à nouveau. « Puisque les salles de sport sont ouvertes, pourquoi pas les théâtres ? » demandent-ils.

Metro al-Madina, avec son échantillonnage de programmes diversifiés tantôt recréant la mémoire d’un pays, tantôt fustigeant les failles politico-sociales, économiques ou judiciaires, a été, depuis sa création en 2012, le pouls de la ville, son cœur battant. Il est en quelque sorte le baromètre de son humeur. Si la ville est en fête, Metro l’est aussi, mais quand elle souffre, les blessures résonnent alors dans ce lieu convivial où chacun vient oublier le poids du quotidien. Des pièces comme celle de Ziad Itani W ma tallet Colette (« Colette n’est jamais venue ») et des concerts comme ceux du groupe El-Rahel el-Kabir (« Le grand disparu ») côtoient souvent et durant le même mois des revues musicales divertissantes ou encore des hommages aux grands poètes/artistes disparus.


Hisham Jaber avoue avoir traversé de multiples difficultés depuis la création de cette salle en 2012, mais « jamais comme maintenant ». « La crise économique ainsi que la pandémie du coronavirus ont eu gain de cause du Metro qui a dû fermer ses portes, bien que la tarification de la billetterie était quasi réduite. Or Metro vit uniquement de la billetterie. Cela fait plus de trois mois que nous suivons le rythme, au ralenti, de Beyrouth. Durant la révolution, entre deux représentations de Discothèque Nana, nous descendions dans la rue pour accompagner, coude à coude, nos compatriotes dans leurs revendications. Puis la pandémie et le confinement qu’elle a imposé ont surgi, et chacun s’est reclus chez lui. » L’isolement a toujours été perçu par les artistes comme une sorte de compagnon et de complice. Il est souvent source de créativité. Hisham Jaber en convient. « Le confinement n’est pas nouveau pour moi. Ma vie est rythmée par un aller-retour continu de la maison au Metro et vice-versa, confie le producteur. Nous continuions donc à travailler, à créer. Pour ma part, je continuais à écrire et à composer. Nous sommes une soixantaine à travailler dans ce cabaret et Metro n’a jamais lâché son équipe, ni financièrement ni moralement. Nous avons pensé pour la première fois demander un fonds d’aide à AFAC et à el-Mawred. Depuis peu, l’État a lancé un plan de déconfinement un peu incongru à mon avis puisque les salles de gymnastique et de jeux comme le Casino du Liban ont été rouvertes au public avant les salles de théâtre et de cinéma. Alors qu’une salle de gym pourrait être considérée comme un nid à microbes beaucoup plus qu’une salle de théâtre. Comme quoi, la culture passe en dernier lieu dans ce pays. »

L’équipe du Metro al-Madina interprétant la chanson « Lira w Dollar ». Photo DR

En attendant l’ouverture

Lancé par l’équipe du Metro pour la première fois en novembre 2019, le label Aghani Servicet était voulu comme un ensemble de chansons tirées de conversations entendues, quatre ans durant, dans le système de transport public de Beyrouth, et rédigées par Jaber avant les manifestations d’octobre 2019. Le producteur avait prévu que les changements sociopolitiques allaient engendrer d’autres chansons. En effet, une douzaine de nouvelles compositions satiriques sont sorties sous le label « Aghani Servicet/Zaman el-Enhiyar » (« chansons des taxi-services au temps de l’effondrement »), dont les sujets sont inspirés des manifestations, et prennent la forme de chansons d’amour. Dont Lira w Dollar, lancée sur les réseaux il y a près d’un mois. Avec la voix de Cosette Chedid, Ayman Sleiman sur le oud, Ahmad Khateeb sur le riqq, Deiaa Hamza à l’accordéon, Bashar Farran à la basse et Farah Kaddour jouant le bouzouki, la vidéo a été filmée sur la scène du Metro et l’on y voit les musiciens portant des masques. La musique classique et romantique de cette chanson contraste avec les paroles quasi absurdes et drôles qui comparent la crise financière du pays à une querelle d’amants. « Tu m’as aimée en livres libanaises, mais moi je t’ai aimé en dollars... Tu m’as traitée comme une banque traite un petit déposant… »

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Plus récent, Nachid el-Inhyiar (« L’hymne de l’effondrement ») est interprété par un collectif dont Yasmina Fayed, Sandy Chamoun, Farah Kaddour, Ayman Sleiman, Ahmad el-Khatib et Cosette Chedid. C’est une mélopée triste, mais non moins virulente et qui traduit la situation financière de tous les Libanais. « Nous aurions pu rouvrir le Metro le 8 juin. Mais le gouvernement en a décidé autrement. Il faudra attendre donc pour partager avec notre public le nouveau programme, très coloré malgré la grisaille », se désole Hisham Jaber. Entre-temps, la gérance du Metro a diffusé un sondage en ligne pour connaître l’avis de la « clientèle », car « c’est notre public qui décide des conditions de notre survie ». La majorité des 700 personnes sondées encourageaient la réouverture de Metro si toutes les mesures d’hygiène étaient prises.



Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il ne sera pas facile de faire taire la voix de Metro al-Madina. « Nous avons été à côté des révolutionnaires sans casser ni commettre des infractions, mais en assurant une présence positive et constructive, dit Jaber. Mais le jour où le peuple abandonnera cette révolution, qui est commune à nous tous Libanais, ou la distordra, alors je pense qu’il sera temps de nous casser. » Hisham Jaber n’est pas de ceux qui baissent les bras ni de ceux qui prennent la poudre d’escampette. « On a surmonté la vague de Daech et celle des attentats. Nous nous accrocherons à tout espoir de survie, quoi qu’il en coûte. Il suffit que le peuple continue de croire en notre travail et en notre vision pacifiste et non partisane du vivre-ensemble. Nous serons les derniers à quitter le bateau. »

Le plan gouvernemental de déconfinement ne prévoit toujours pas l’ouverture des salles de théâtre comme celle du Metro al-Madina. Les habitués de ce lieu devenu incontournable de la scène underground arty de Beyrouth, ainsi que son directeur artistique et producteur Hisham Jaber, n’en comprennent pas les raisons et revendiquent le droit d’exister à nouveau. « Puisque les salles...

commentaires (1)

Ouf, ce papier fait du bien dans cet océan de nouvelles alarmantes. La culture bâillonnée mais pas morte!

Marionet

08 h 05, le 13 juin 2020

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Commentaires (1)

  • Ouf, ce papier fait du bien dans cet océan de nouvelles alarmantes. La culture bâillonnée mais pas morte!

    Marionet

    08 h 05, le 13 juin 2020

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