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Culture - Musique

Un « Bhebak ya Lebnan » qui brise le silence et l’isolement

Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, le chef d’orchestre André Hajj a dirigé l’Orchestre national libanais de musique arabe orientale interprétant la célèbre et émouvante chanson des Rahbani.

Capture d’écran de la vidéo de l’OOL interprétant « Bhebak ya lebnan » des Rahbani.

« La seule façon de mettre les gens ensemble, c’est de leur envoyer la peste », écrivait Albert Camus dont on célébrait, le 4 janvier dernier, le soixantième anniversaire de la disparition. À l’aune de la pandémie de la nouvelle « peste noire » (plutôt verte et à couronne, quand même) du XXIe siècle qui paralyse le monde entier, c’est bien la musique, « l’aliment de l’amour », selon Shakespeare, qui a été capable de rassembler, ne serait-ce que dans un espace virtuel, les habitants de notre planète malade mise en quarantaine « forcée ». Privés de concerts, les musiciens du monde entier ont décidé de déclarer la guerre au coronavirus... mais à leur manière.

Ainsi, à l’heure du confinement généralisé, de nombreux orchestres et chœurs du monde entier, dont l’Orchestre national de France et l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, refusant de se lamenter sur leur condition, ont tenté de briser le silence de l’isolement. Comment ? En reproduisant de célèbres morceaux enregistrés à distance par les divers instrumentistes et choristes avant que toutes les pièces de ce puzzle musical soient assemblées dans une seule et même vidéo. Le Liban n’a pas fait exception. Initiée par l’orchestre et le chœur du Collège Notre-Dame de Jamhour, cette superposition créative des voix a été reprise par les chorales de l’Université antonine et l’Université Notre-Dame, et plus récemment l’Orchestre national libanais de musique arabe orientale, plus communément appelé Orchestre oriental du Liban (OOL).

Contacté par L’Orient-Le Jour, André Hajj, l’un des chefs de l’OOL, affirme qu’en regardant les vidéos diffusées par les différents orchestres, cette « idée européenne » l’a intrigué sans pour autant « se pencher sur le comment des choses ». Deux jours plus tard, il reçoit un coup de fil de Lynn Téhini, conseillère au ministère de la Culture, lui proposant de réaliser un tel projet avec l’OOL. « C’est alors que le déclic s’est produit », s’enthousiasme Hajj, en ajoutant : « Je lui ai demandé de m’accorder 24 heures pour penser au choix de la chanson. Je n’ai pu dormir la nuit tellement je tournais et retournais l’idée dans ma tête. » Le chef d’orchestre libanais a finalement opté pour le célèbre chef-d’œuvre des frères Rahbani Bhebak ya Lebnan, immortalisé par la voix séraphique de Fayrouz. Un choix « bien étudié » car selon lui cette chanson « rassemble tous les Libanais et suscite l’intérêt des Arabes ».

Si au IVe siècle avant J.-C. la musique adoucissait les mœurs, comme le disait Platon, celle-ci adoucit surtout le confinement de nos jours. André Hajj explique à ce propos : « À travers ce projet, j’ai voulu transmettre deux messages. Le premier adressé aux Libanais pour leur demander de rester chez eux, justement, pour le Liban qu’ils aiment, alors que le second message est adressé aux pays arabes et occidentaux pour leur dire qu’il est vrai que le Liban est malade, mais il n’est pas mort. »

Le premier « essai », réalisé avec le premier violon Naji Azar et le percussionniste Ali al-Khatib et couronné de succès, a encouragé le maestro à poursuivre le même travail avec les 40 autres musiciens et choristes. Walid Nohra, ingénieur expert en technologies avancées, s’est chargé de compiler les différents enregistrements dans ce qui ressemble à un orchestre virtuel. Cette vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux et saluée par de nombreux Libanais, a toutefois soulevé de nombreux points d’interrogation, voire d’exclamation, dans le milieu musical professionnel, notamment concernant le rôle d’un chef d’orchestre dans une telle pièce montée, enregistrée en plusieurs temps et à distance. En fait, les vidéos réalisées jusque-là (à quelques exceptions près) par les autres orchestres, professionnels ou amateurs, ne mettaient pas en avant le chef d’orchestre qui, il faut le reconnaître, n’a aucun rôle à jouer, étant donné que tous les musiciens, un casque sur la tête ou des écouteurs dans les oreilles, suivaient le tempo du percussionniste ou du métronome et non pas les gestes d’un maestro. Ne paraît-il pas absurde de voir le chef libanais, pour une fois face à son public « virtuel » et non le dos tourné comme il l’est de coutume lors d’un concert en direct, agiter énergiquement ses mains, juste pour la forme ? Une question qu’un certain nombre de musiciens professionnels se sont posée, jugeant cette frime de la part des chefs d’orchestre comme quelque peu inappropriée.

Qu’en pense le président du Conservatoire national supérieur de musique du Liban et directeur artistique des deux orchestres libanais, Bassam Saba? Interrogé par L’OLJ, il ne semble pas très enthousiaste à l’idée de « suivre cette vague qui inonde les réseaux sociaux ». Il parle, toutefois, d’un « autre projet culturel, d’une perspective différente, concocté surtout et avant tout pour les étudiants du Conservatoire, mais aussi pour tous les Libanais ». Alors que réserve le directeur de la plus haute référence musicale du pays aux Libanais ? Attendons de voir. Et d’écouter !

« La seule façon de mettre les gens ensemble, c’est de leur envoyer la peste », écrivait Albert Camus dont on célébrait, le 4 janvier dernier, le soixantième anniversaire de la disparition. À l’aune de la pandémie de la nouvelle « peste noire » (plutôt verte et à couronne, quand même) du XXIe siècle qui paralyse le monde entier, c’est bien la musique,...

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