Le député du Kesrouan, Chaouki Daccache (FL), s’est indigné hier d’une décision prise lundi par le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi, confiant à une commission le règlement, avant fin juin, d’un « conflit » au sujet d’un bien-fonds relevant du wakf maronite du vicariat de Jounieh, à Lassa (Jbeil). Il a considéré cette décision « plus proche de la loi martiale que d’un exercice démocratique de l’autorité judiciaire ».
M. Daccache s’est montré absolument « choqué » par cette décision, précisant que l’Église lui loue ce bien-fonds depuis 20 ans pour ses propres projets agricoles, et qu’il n’existe donc « aucun conflit » au sujet de ce bien-fonds dont l’Église maronite possède le titre de propriété. Il a ajouté qu’une frange d’habitants du village, se prévalant de la position dominante de leur communauté dans la vie nationale, cherche à s’arroger de force la propriété. Pour sa part, le comité des wakfs chiites de Lassa estime que les habitants de confession chiite sont victimes d’un plan d’éviction de la région.
Le terrain, d’une superficie de 47 000 mètres carrés environ, a été choisi par le député pour un projet social destiné aux petits agriculteurs touchés par la crise économique. Il met à leur disposition tout ce qui est nécessaire pour une production de pommes de terre, y compris le semis, et leur permet d’écouler leur production. Une partie des habitants de Lassa est associée à ce projet, dans lequel M. Daccache a engagé un capital substantiel. Toutefois, le 27 mai dernier, venus prendre livraison de leurs lopins, des agriculteurs chrétiens ont été attaqués et expulsés par un groupe d’habitants de Lassa.
La commission nommée par le ministre comprend le mohafez du Mont-Liban (président), le commandant de la place du Mont-Liban au sein des FSI, un délégué du vicariat maronite de Jounieh, un délégué du Conseil supérieur chiite et le président de la municipalité de Lassa.
Nommer une commission revient à considérer comme « nulle et non venue l’autorité judiciaire et celle de l’avocat général » qui ont confirmé le titre de propriété du bien-fonds, a tonné M. Daccache. Et d’exprimer sa « colère » qu’il se trouve, parmi les députés et ministres « qui prétendent avoir à cœur le droit et les intérêts de l’Église », des personnes prêtes à « affaiblir à ce point les droits et les faits », plutôt que de considérer cet effort coopératif comme un projet de bienfaisance, et de faire pression pour obtenir l’application de la loi.
Le double langage des pharisiens
« Les Libanais (…) sont fatigués de voir des pharisiens qui tiennent un double langage, a poursuivi M. Daccache. Renoncer à ses droits n’est pas une politique. Se soumettre à qui prévaut de sa force n’est ni sagesse ni souci de la convivialité. C’est tout à fait le contraire. C’est faire acte d’asservissement et de lâche servilité. Nous ne l’avons pas accepté sous la tutelle ; nous ne l’accepterons pas aujourd’hui. »
S’indignant d’une décision qui limite l’examen de la commission à un seul bien-fonds, « alors que des milliers d’autres sont contestés », M. Daccache a mis en cause, sans nommer quiconque, « une politique de grignotage, d’agression, de tromperie délibérée et de déformation des faits érigée en méthode d’action, à Lassa et ailleurs ».
Pour sa part, l’assemblée mensuelle des évêques maronites a dénoncé hier « la violence physique et verbale » qui s’est manifestée fin mai à Lassa, quand on a empêché, par la force, les agriculteurs de prendre possession des terrains relevant des wakfs maronites et définitivement cadastrés, à des fins de bienfaisance. Et d’exprimer l’espoir que les contacts entrepris aboutiront au respect des droits fonciers de chacun et à la fin « de l’agression ».
« Nous aurions souhaité que le communiqué des évêques maronites comprenne également la condamnation de la violation de la propriété d’autrui », a réagi de son côté le cheikh Abbas Zgheib, en réponse au communiqué des évêques, tout en assurant que « ce dossier (celui du bien-fonds 50) ne peut être réglé que dans le cadre des dispositions de la loi, de la sagesse, du mot aimable et la prévalence de langage de la raison ».
Mgr Andari : des fomentateurs de troubles
Pour sa part, le vicaire patriarcal maronite de Jounieh, Mgr Antoine Nabil Andari, a jugé regrettable que l’on conteste la priorité d’un terrain dûment cadastré, et que l’on temporise, au risque de compromettre le projet agricole à vocation sociale et d’en gaspiller les capitaux.
« J’accepte que l’on détermine officiellement les terrains non encore cadastrés de Lassa, mais pas celui du bien-fonds 50, un bien wakf dont nous possédons le titre de propriété », affirme en substance l’évêque, qui rappelle que des plaintes ont été déposées auprès de procureur général du Mont-Liban, Ghada Aoun, pour l’agression et les dommages occasionnés aux voitures des agriculteurs venus prendre livraison de leurs lopins. Selon Mgr Andari, près de 80 % des terrains de Lassa, et de nombreux villages de Jbeil ne sont pas encore cadastrés, sachant que l’ex-ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, a suspendu tous les travaux de cadastre en 2018.
Mgr Andari, qui précise que les maronites représentent le quart de la population de Lassa, met en cause des fomentateurs de troubles conduits vraisemblablement par un dignitaire chiite protégé, selon lui, par l’immunité que lui confère sa fonction religieuse. Et d’assurer que des contacts extensifs avaient été pris, avant le lancement du projet, pour lui assurer la couverture du Conseil supérieur chiite.
Les terrains de Lassa et d’ailleurs ont été acquis à la sueur de nos fronts et à grands frais par nos prédécesseurs, a conclu en substance l’évêque, mais il se trouve hélas un camp qui, se prévalant du rapport de force politique actuel, cherche à grignoter des espaces cédés jadis aux maronites, mais qu’il rêve de reprendre de force.
L'Irgoun et la Haganah n'ont pas agi autrement pour déloger les Palestiniens de leurs terres. Les occupants illégaux de terres du Wakf maronite à Lassa, ont chassé les agriculteurs venus prendre possession de la terre mise à leur disposition par le patriarcat maronite, à coups de bâtons et de couteaux. Ils sont venus à Lassa par des dizaines de mobylettes de la banlieue-sud... Aujourd'hui un ministre les renvoient devant une commission d'arbitrage pour justifier l'injustifiable. Où en est-on sur les rives du Golfe Persique ou au bord de la Méditerranée ?
17 h 36, le 04 juin 2020