Le point de vue de... Le point de vue de Youssef Mouawad

Bientôt septembre, bientôt 100 ans !

Il s’en est fallu de peu pour que le Liban n’existât pas ! Mais enfin il est là, il a survécu à toutes les embûches comme aux mauvais sorts qu’on lui a jetés. Mieux encore, il est à la veille d’une célébration centenaire.

Mais comble d’infortune, il n’y aura ni feux d’artifice, ni défilés militaires, ni opera-seria des Rahbani pour la circonstance, car commémorer la Proclamation de la Résidence des Pins du premier septembre 1920, peut se révéler périlleux ! Non point à cause de la pandémie, qui en fait est arrivée à point nommé pour servir de prétexte à l’annulation des festivités, mais pour la simple raison que célébrer le centenaire, c’est convoquer, pour une franche explication, les protagonistes de la guerre civile de 1975. Ces derniers ne sont-ils pas les descendants directs des unionistes (al-wahdawiyoun) et des libanistes (al-kayaniyun) d’il y a cent ans ? Ceux-là même qui constituaient deux camps opposés, celui des partisans d’une Grande Syrie indépendante régie par une monarchie chérifienne, et celui des indépendantistes, appelant à l’établissement d’un Liban élargi, détaché de l’hinterland et sous tutelle française !

Commémorer, c’est appeler les vétérans, avec armes et bagages idéologiques, à s’affronter derechef sur une question existentielle, celle de l’identité nationale et de ses contours (commémorer, c’est aussi rappeler Maysalun, la plaie sanglante du nationalisme arabe, le sacrifice héroïque de Youssef al-Azmeh et le retrait peu glorieux du roi Faysal). N’est-ce pas que le 13 avril 1975 (l’échauffourée de Ain el-Remmaneh) est l’aboutissement direct du premier septembre 1920, ou l’expression violente d’un retour du refoulé ? Car pour tout dire, les combattants chrétiens conservateurs – d’après la catégorisation plus ou moins adéquate du quotidien Le Monde pour départager les acteurs de notre conflit civil – furent en gros recrutés dans les rangs des ex-indépendantistes de l’époque du Mandat, comme leurs adversaires palestino-progressistes furent grosso modo mobilisés dans les milieux des ex-unionistes.

Deux photos et une frustration

Tout est affaire d’illustrations et d’imagerie : la photo du bus palestinien, mitraillé à bout portant, rescinde la photo représentant le général Gouraud en uniforme blanc, flanqué du patriarche maronite et du mufti de Beyrouth. Dire que cette photo-ci, prise sur le perron de la Résidence des Pins, représente l’unité des chrétiens et des musulmans sous l’égide de la France, est un abus de langage ; et la présence du chef religieux sunnite à la cérémonie ne constitue pas une preuve d’acquiescement de l’islam politique quant à la création du Grand Liban. Le cheikh Moustapha Naja était l’hôte des Français contre son gré, un peu comme lorsque le patriarche Élias Hoyek s’était, sous la pression des événements, rendu à Sofar auprès de Jamal pacha, le 21 juillet 1915.

Il faut bien l’admettre, et peut-être même qu’il y a eu prescription : le premier septembre 1920, les épousailles de la France et des maronites, si longtemps différées, furent célébrées en grande pompe à Beyrouth, sous l’œil dépité des unionistes ! Mais depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et la plupart des wahdawiyoun se sont, peu ou prou, ralliés à la nouvelle entité octroyée par la puissance mandataire. Ce ralliement fut ondoyant, au rythme de deux pas en avant, un pas en arrière. Mais au bout du compte, les quartiers Ouest ou la Haraka wataniya n’allaient plus vouer aux gémonies la province rebelle (al-liwa al-mutamarid) comme ils désignaient notre « patrie et la leur » ; ils allaient, par ailleurs, adopter sinon accepter, avec réticence, le cèdre, ce symbole longtemps honni du coup de force de septembre 1920 (cette constatation ne vaut pas pour certaines régions du Chouf). Mais il restait la frustration, un état d’esprit non formulé ou hautement proclamé qui, par un glissement sémantique, allait désormais épargner l’entité libanaise, et s’en prendre à l’occasion à ses promoteurs, ceux du « maronitisme politique » et de l’« isolationnisme ». Ce glissement si typique que l’on relève dans le discours politique prévalant durant le dernier conflit civil, mérite une recherche sérieuse.

Mais telle est la maison Liban, aux multiples splendeurs et demeures : on n’y résout pas vraiment les problèmes. On procrastine en attendant de faire mieux, et les vieux clivages confessionnels perdurent sous différentes appellations. Nos aïeux firent l’économie d’un affrontement en 1920, et nous le gardèrent en suspens ! Par deux fois, notre génération en fit les frais : en 1958 et en1975.

Alors une pensée pieuse pour eux, en ce temps de virus, « coronarien » fût-il, chinois ou iranien !

Il s’en est fallu de peu pour que le Liban n’existât pas ! Mais enfin il est là, il a survécu à toutes les embûches comme aux mauvais sorts qu’on lui a jetés. Mieux encore, il est à la veille d’une célébration centenaire.Mais comble d’infortune, il n’y aura ni feux d’artifice, ni défilés militaires, ni opera-seria des Rahbani pour la circonstance, car commémorer la...

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