Le 11 mai dernier, le président de l’Association des banques (ABL), Salim Sfeir, assurait que les établissements de crédit continueraient d’effectuer les virements ordonnés par leurs clients au Liban pour payer les frais d’études, de logement et de vie de leurs enfants étudiants à l’étranger. Un engagement exprimé à l’issue d’une réunion ministérielle consacrée à cette question, alors que le pays traverse une grave crise économique et financière, doublée d’une dépréciation de la monnaie et en marge de laquelle les banques ont imposé, de manière informelle et illégale, d’importantes restrictions à leurs déposants, notamment sur les transferts vers l’étranger.
Le gouvernement s’en était saisi face à la grogne croissante de nombreux parents au cours des semaines précédentes, reprochant à leurs banques de leur avoir refusé de manière injustifiée certaines opérations entrant dans ce cadre. Certains litiges ont même fini devant les tribunaux. Cette vague de réclamations ne s’est toujours pas apaisée, selon plusieurs sources au sein des établissements, dont une à l’ABL qui indique qu’elle représente une « importante partie » des « 40 à 50 » requêtes quotidiennes qu’elle enregistre en moyenne sur son service d’assistance temporaire en service depuis environ un mois. « Nous agissons vite, en contactant la banque concernée pour comprendre les motifs du refus et vérifier s’il est injustifié ou excessif. La plupart du temps, une solution est trouvée », assure la source précitée.
Ces derniers jours, les réclamations sur ce point, qui apparaissent notamment sur les réseaux sociaux, semblent toutefois avoir augmenté. « Il a fallu plus d’un mois pour qu’un virement à mon fils étudiant en Europe soit effectivement autorisé », déclare un Libanais qui souhaite garder l’anonymat. Une femme, elle, souligne que sa banque lui fait de plus en plus de misères quand elle veut envoyer de l’argent à sa fille, étudiante à Montréal.
« On entend effectivement de plus en plus de plaintes ces dernières semaines, mais cela ne concerne pas tous les établissements », note un banquier sous couvert d’anonymat.
En fonction des cas
Contactées, plusieurs banques assurent ne pas connaître ce type de difficultés, tandis que d’autres n’ont pas répondu. « Nous validons toutes les transactions qui sont justifiées par des documents attestant de la réalité de l’engagement et de son caractère récurrent. Les procédures prennent parfois un peu plus de temps en fonction des cas », indique une des sources interrogées. Même discours au sein d’un autre établissement, qui reconnaît toutefois l’existence de « désaccords » lorsque les clients veulent « modifier certains paramètres de transferts mis en place dans des proportions très inhabituelles ou excessives ». Toutes les banques contactées emploient peu ou prou la même procédure. L’éligibilité du client est déterminée par deux paramètres. « Il doit posséder un compte en devises au sein de sa banque et il faut que son enfant ait été inscrit avant le 17 octobre 2019 dans un établissement d’enseignement à l’étranger », note une des banques. « Pour ceux inscrits après cette date, les demandes sont acceptées au cas par cas », ajoute-t-elle sans plus de détails.
« Les familles qui possèdent en revanche des comptes spéciaux alimentés en » fonds frais « ne doivent en principe se voir opposer aucune limite par leur banque », relève une autre source interrogée. Le secteur a consacré en novembre dernier les « fonds frais » en devises, déposés ou transférés depuis l’étranger sur des comptes spéciaux et qui ne sont soumis à aucune limite, un principe surligné par la BDL dans une circulaire d’avril (n° 150). À l’opposé, les comptes en « dollars libanais » désignent ceux sur lesquels les banques ont appliqué le plus de restrictions. Une fois la demande acceptée, « la banque demande généralement au client de répartir chaque mois les virements : les frais d’études sont versés à l’établissement d’enseignement concerné, les frais de logement au propriétaire et les frais de vie à l’étudiant », enchaîne un des établissements contactés. « Pour le loyer, le contrat suffit et pour les frais de vie nous restons sur une moyenne convenue avec le client en fonction de son historique sur une certaine période. Quand il n’y en a pas, parce qu’il s’agit par exemple d’un premier enfant qui va étudier à l’étranger et qu’il a été inscrit avant le 17 octobre, nous fixons les paramètres avec le client », détaille encore l’établissement. « Une fois que les virements sont mis en place, il n’y a en principe plus d’incident possible, même quand les montants fluctuent jusqu’à un certain point », ponctue une troisième source. Les banques ne sont enfin censées appliquer aucun plafond annuel, celui de 50 000 dollars évoqué en janvier par l’ABL et la Banque du Liban n’étant toujours pas entré en vigueur, faute de loi instituant un contrôle des capitaux.
Typologie des litiges
Les banquiers interrogés énumèrent plusieurs types de litiges liés à des demandes refusées au client. « Les banques refusent généralement les demandes réclamant que tous les virements soient effectués sur le compte de leur enfant, celles qui exigent que tous les frais universitaires de l’année soient transférés en une seule fois ou encore les hausses disproportionnées des montants envoyés, comparé à l’historique », énumère un des banquiers. Un autre cite le cas de clients qui effectuent des virements pour les mêmes motifs à partir de plusieurs banques différentes où ils ont des comptes. Il y a aussi le cas des familles qui veulent envoyer leurs enfants à l’étranger l’année prochaine et qui se voient essuyer un refus.
Aussi rodées soient-elles, les habitudes prises par les banques pour tenter de répondre aux besoins de la majorité de leurs clients dans le contexte actuel ne font que contourner deux problèmes centraux et fondamentaux : le fait que ces restrictions sont illégales tant que le Parlement ne les a pas entérinées et le fait qu’elles ont été imposées parce que les liquidités disponibles des établissements du pays ne leur permettaient plus de fonctionner comme auparavant. « Certains établissements font face à un assèchement de leurs liquidités déposées auprès des banques correspondantes en raison du prolongement de la crise, d’autres gèrent au mieux ce qui leur reste », indique une source. « La BDL a quasiment arrêté d’injecter des devises sur le marché local depuis fin août dernier », relève un des banquiers. Il souligne en outre que les banques accusent d’importantes pertes suite au défaut en mars de l’État libanais sur ses obligations en devises (eurobonds) ; à leurs placements à la BDL que les réserves en devises de cette dernière ne peuvent pas couvrir ; et à la hausse annoncée de créances douteuses (difficiles à mesurer, les banques n’ayant toujours pas publié leurs résultats financiers de 2019).
Les avis sont partagés concernant la responsabilité de ces pertes, certains experts considérant que les banques ont failli en ne protégeant pas suffisamment leurs déposants du risque. D’autres pointent du doigt les pressions politiques et la communication opaque de la BDL comme causes premières de la crise actuelle.
Dans un cas comme dans l’autre, la situation semble bouchée. « Il n’y a pas d’amélioration possible à attendre tant que le Liban n’a pas décroché une aide financière externe, réorganisé son secteur financier en adoptant notamment un contrôle formel des capitaux et en recapitalisant les banques en difficulté », lâche un des banquiers. Le verrouillage du pays depuis mi-mars en raison de l’épidémie de Covid-19 a également contribué à aggraver la situation, en réduisant à néant la fréquentation touristique, également source de devises. « En attendant, nous essayons de servir tous nos clients dans les limites de nos possibilités », conclut-il.
Il faudrait peut-être songer également à permettre aux familles qui ont leurs comptes en devises de pouvoir convertir une somme équivalente aux écolages libanais au taux du marché? Sinon ce sera deux poids deux mesures... d’autant plus que la seconde catégorie a l’avantage de permettre aux fonds de rester dans le pays...
11 h 02, le 02 juin 2020