Des propos virulents lancés récemment sur un groupe WhatsApp par la procureure générale du Mont-Liban, Ghada Aoun, à l’encontre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ont accru la tension qui prévaut depuis plus de deux mois entre les deux parties du fait que le projet de nominations judiciaires prévoit la révocation de Mme Aoun de son poste et sa désignation à un poste de conseillère auprès de la Cour de cassation. Attribuant cette décision « injuste » et « politisée » à la lutte qu’elle mène contre la corruption, la magistrate n’avait alors pas hésité à estimer dans les médias qu’elle avait « un goût de revanche ». Mme Aoun avait annoncé dans ce cadre avoir remis sa démission au président de la République, Michel Aoun, dont elle est proche, s’attirant des critiques selon lesquelles celle-ci doit été présentée au CSM en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.
Il y a dix jours, c’est contre le CSM que Mme Aoun a tiré à boulets rouges, lui reprochant de n’avoir pas réagi face à « l’humiliation, l’atteinte à la dignité et (au) chantage » qu’elle estime avoir subis lors d’un sit-in organisé la veille devant son domicile. Des contestataires du 17 octobre, dont elle avait poursuivi l’un d’eux pour avoir émis un chèque sans provision, s’étaient en effet rassemblés devant sa maison et avaient proféré des insultes à son encontre via des mégaphones. « La protection des magistrats constitue le dernier souci du Conseil supérieur de la magistrature, dont chacun des membres a un agenda défini », a accusé Mme Aoun, dans un message sur un groupe WatsApp composé de juges, exprimant le souhait de voir les membres du CSM démissionner. « Je suis visée à nouveau », a-t-elle déploré, estimant que « ce ciblage est dû à des motifs politiques ou à l’ouverture de dossiers de corruption ».
La tutelle syrienne
Sur un autre plan, le refus du CSM de prendre en considération les remarques apposées au projet de nominations judiciaires par la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a conduit la procureure du Mont-Liban à pousser l’attaque jusqu’à comparer le contexte au sein du corps de la magistrature à celui qui prévalait lors de la tutelle syrienne. « Nous allons bientôt regretter l’ère de la tutelle syrienne », a-t-elle lâché sur le même groupe WhatsApp. Contactée par L’Orient-Le Jour, une source judiciaire proche de Mme Aoun accuse « des magistrats à qui manque le sens moral » d’avoir fait fuiter ces propos, alors que la conversation était censée se confiner dans un cercle fermé. La source ne cherche pas à amortir l’impact de la réflexion de la procureure. « Tout comme sévissaient à l’époque Ghazi Kanaan et Rustom Ghazalé (anciens chefs de renseignements syriens), un homme est à présent le décideur des permutations judiciaires. Chaque juge qui aspire à un poste doit le solliciter pour voir sa demande satisfaite », martèle la source précitée, qui n’en dira pas plus sur l’identité de l’individu auquel elle fait allusion.
Jugeant les propos sur WhatsApp comme « non éthiques », le CSM a réagi en convoquant jeudi Mme Aoun. Tous les membres du Conseil ont participé à la séance, y compris Bourkan Saad, qui est en même temps chef de l’Inspection judiciaire, organisme de contrôle composé de magistrats nommés par le Conseil des ministres. Des informations médiatiques ont fait état de mesures disciplinaires prises à l’encontre de la procureure, mais, interrogée par L’OLJ, une source proche de celle-ci indique que la réunion s’est soldée par « des excuses à l’adresse de quiconque pense avoir été lésé ».
Du côté du CSM, une source confirme que Mme Aoun n’a fait l’objet d’aucune mesure et qu’elle s’est engagée à « respecter à l’avenir les règles déontologiques ». Cette source relève que Souheil Abboud, président du CSM, est indisposé par les agissements de la procureure, d’autant qu’ils sont « récurrents » et « s’étalent sur les réseaux sociaux » en dépit de l’obligation de réserve que doit observer un magistrat. Selon la source précitée, l’Inspection judiciaire, seule habilitée à prendre des mesures à l’encontre d’un magistrat contrevenant, avait été informée par le CSM des déclarations antérieures de Mme Aoun, mais n’avait pas entrepris de procédure. Pour qu’un juge fasse l’objet de mesures disciplinaires, il faut que cet organisme de contrôle mène une enquête propre à lui faire saisir le Conseil de discipline, dont les membres sont nommés par le CSM. Ce Conseil mène alors un « procès », à l’issue duquel le juge concerné est soit innocenté, soit soumis à un blâme ou à un abaissement d’échelon, ou encore à une éviction avec ou sans indemnités de fin de service.
Un décret indivisible
Ce que considère Mme Aoun comme « une rétrogradation » dans sa carrière semble figurer parmi les raisons retardant la signature du décret de nominations par le président Aoun. On attribue au chef de l’État son mécontentement à l’égard des permutations du CSM concernant des juges qui lui sont proches. Des sources de Baabda font toutefois observer que le décret de nominations n’est pas encore parvenu au chef de l’État en tant qu’un tout indivisible et que, par conséquent, il ne l’a pas examiné pour décider s’il veut ou non le signer. On rappelle dans ce cadre que vers la mi-avril, la ministre de la Justice avait divisé le projet du CSM en nominations civiles et pénales, d’une part, et militaires, de l’autre. Mme Najm avait approuvé et signé les premières et déféré les autres à la ministre de la Défense, Zeina Acar. Par la suite, celle-ci a mis de côté la prérogative dont elle se prévalait de proposer elle-même les noms des juges militaires, demandant toutefois au CSM de réduire le nombre de juges militaires à 12, conformément au nombre légal requis par le cadre, plutôt que, comme le prévoyait la mouture originale du projet, de déléguer 18 juges au tribunal militaire. Mme Najm a affirmé avant-hier que le CSM lui avait fait parvenir un additif au projet. Selon une source informée, l’additif comporte une nouvelle liste de juges militaires réduite à 12 noms, 5 autres de la liste précédente devant rejoindre des postes judiciaires et le sixième ayant atteint l’âge de la retraite. La même source affirme que Mme Najm compte rassembler en un seul projet de décret les nominations qu’elle avait séparées, et ce en vue de l’acheminer prochainement au président Aoun.
commentaires (7)
Hémiha haramiha. No way out. Les pourris de ce pays le tiennent par tous les bouts et on parle de réformes et de restructurations. Tous à la poubelle, il nous faut une nouvelle équipe qui les traduit tous en justice sans aucun état d'âme et sans négociation avec leurs protecteurs qui pourrissent et polluent ce pays tellement ils sont malhonnêtes et vont dans le sens du saccage tout en prônant la vertu et la bonne foi. Des qu’on touche à un corrompus d’un bord tous les autres corrompus montent sur leurs grands chevaux pour redorer son image. Un vrai souk de P....
Sissi zayyat
11 h 27, le 31 mai 2020