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Nos Lecteurs ont la Parole

Une confinée à Paris qui pense à ses compatriotes confinés au Liban

Attachée à mon pays natal et soucieuse de son devenir, je mène depuis 10 ans un travail de « Réflexion et dialogue avec les Libanais qui souhaitent s’exprimer sur les problèmes de notre pays » au travers d’un blog et de propositions sur les évolutions institutionnelles, culturelles, sociales, éducatives dont notre pays me semble avoir besoin urgemment (accessibles par tous sur le site LibanAvenir.wordpress.com).

J’y ai hélas constaté avec amertume l’immobilisme et la faillite de l’État libanais alors que son peuple, lui, est bien vivant, comme il l’a prouvé avec le soulèvement inespéré du 17 octobre. Tous unis, confessions, régions, classes sociales, pour dénoncer l’incompétence et la corruption des dirigeants du pays, réclamer leur démission et la restitution des fonds volés. Mais ceux-ci semblent encore et à nouveau inconscients de la gravité et de l’urgence de la situation, poursuivent tractations et calculs, tardant à répondre aux revendications des manifestants.

Aujourd’hui, face à la pandémie due au coronavirus ou Covid-19, ce virus mystérieux, inconnu jusqu’ici, nous avons, dans l’un et l’autre pays, fait la même démarche de prévention, celle du confinement, de la distanciation sociale et des gestes barrières. En attendant les avancées de la recherche scientifique qui a cours sous l’angle diagnostique, thérapeutique et vaccinal.

Le virus ne distingue, dit-on, ni les frontières, ni les couleurs, ni les religions, ni les comptes en banque…

En fait, cette égalité n’est que relative. La lutte contre le Covid-19 épouse le profil social de nos sociétés, conditions de vie de la population et densité des services de santé. Aussi, le confinement est-il inégalitaire et rappelle avec brutalité les inégalités de destin jusqu’à signifier pour certains un dilemme existentiel : la faim ou le coronavirus !

Ce confinement, décidé par les autorités publiques, a, dans l’ensemble, été accepté, vu la dimension tragique du moment, dans les deux pays où il existe cependant une forte tradition d’individualisme, un sens exacerbé jusqu’à l’anarchie des libertés personnelles, et où la défiance vis-à-vis des pouvoirs publics est vive.

Il s’est accompagné de similitudes dans les comportements humains, forcément contradictoires, devant un tel traumatisme, en majorité de solidarité, face à d’autres, de profit par les appâtés du lucre.

Il s’est accompagné de variantes dans les réactions de leurs peuples respectifs, politisation du virus au Liban, radicalité vindicative en France.

Là s’arrêtent les points communs entre les deux pays. En France, la stratégie du déconfinement est en cours, avec les tâtonnements inévitables. Au Liban, c’est la crise socio-économique dans laquelle était plongé le pays et que le coronavirus est venu aggraver qu’il faut surmonter en premier, tout en préparant les mesures de redressement du pays, alors que ne cessent discorde et luttes pour le pouvoir !

Tout le monde va être confronté, après une crise sanitaire douloureuse, à une crise économique terrible, qui va nécessiter dans tous les pays des dirigeants à la hauteur, soucieux de leur peuple et de sa cohésion et conscients des dégâts sociaux que va provoquer la situation économique. Au premier rang, et plus que jamais, le Liban est concerné.

N’est-ce pas l’occasion d’un sursaut civique et moral pour sauver le pays ?

J’ai fait, quant à moi, le deuil de tout processus de sauvetage et de réformes de la part de l’équipe actuelle. Mais peut-on rester impavide face à cette situation ? Tristesse, colère, révolte vous envahissent. C’est pourquoi je me permets de lancer deux appels.

Le premier, à ceux qui ont transféré leurs milliards à l’étranger, rapatriez-les.

Il est indécent, voire obscène de les garder quand le pays et vos compatriotes se débattent face à l’épidémie et dans une pauvreté galopante. Pouvez-vous accepter qu’on ponctionne les dépôts d’épargnants qui ont travaillé toute leur vie et travaillent encore pour se prémunir contre la vieillesse, la maladie, les accidents de la vie, cherchant à combler les lacunes abyssales de la protection sociale au Liban ?

À quoi vous serviraient ces milliards quand vous serez de l’autre côté du Styx, à l’heure où, où que vous soyez, la mort, qui a perdu son côté abstrait des temps d’insouciance et de légèreté, rôde autour de nous tous et nous frôle ? Rapatriez-les ces milliards, faites-le anonymement même, vous ne perdrez pas ainsi la face. Mais à quels responsables – en qui on pourrait avoir confiance, capables d’en faire bon usage – remettre ces milliards éventuels, retournés au pays ?

Le second appel s’adresse à ceux qui se sont soulevés le 17 octobre et ont manifesté les jours et les mois suivants. Votre élan fut brisé en plein vol avec l’épidémie et les mesures de confinement. Vous qui devez être révoltés plus que jamais devant l’apathie de vos gouvernants, prenez les choses en main, poursuivez, mais cette fois-ci, passez des revendications aux propositions. Comme vous vous êtes rassemblés pour les premières, unissez-vous maintenant pour engager les secondes. Certes, il est plus facile de s’unir contre vos gouvernants que de s’unir pour. Il s’agit ici de s’unir pour jeter les bases de ces institutions auxquelles vous aspirez.

Vous, les jeunes qui avaient exprimé vos revendications, discuté, réfléchi et échangé avec des universitaires durant les manifestations, vous êtes capables de vous mobiliser avec une formidable vigueur ; vos gouvernants n’en ont pas suffisamment pris la mesure.

Faites de cette traversée du temps retrouvé l’occasion de travailler, réfléchir et étudier ensemble en vue d’objectifs communs autour de valeurs communes, bref, de construire. Et comme vous avez su utiliser les réseaux sociaux pour vous mobiliser, vous saurez utiliser la technologie pour discuter, débattre en prenant chaque sujet de vos revendications, l’un après l’autre, et en lui élaborant des solutions à l’exemple du site de délibération numérique créé à Taïwan.

Ce processus permettrait de repenser en profondeur les institutions et pourrait remplacer le vide de la pensée et de l’action qui a cours, bref réinventer le politique.

Pour conclure, les leçons possibles de l’épreuve que nous traversons, ne manquent pas. « Une épreuve, selon Jérôme Fourquet, politologue, qui, pour la première fois depuis longtemps, peut fabriquer du ciment social, stimuler le sentiment d’appartenance à une même communauté. »

« Toute crise ouvre des possibles, tant sur le plan politique qu’éthique », écrit le professeur en science politique Laurent Jeanpierre. Quels seront ces possibles ? Se réinventer ? Comment ? À vous de jouer, mes chers compatriotes.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Attachée à mon pays natal et soucieuse de son devenir, je mène depuis 10 ans un travail de « Réflexion et dialogue avec les Libanais qui souhaitent s’exprimer sur les problèmes de notre pays » au travers d’un blog et de propositions sur les évolutions institutionnelles, culturelles, sociales, éducatives dont notre pays me semble avoir besoin urgemment (accessibles par tous...

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