Malgré une économie qui agonise sous les coups conjugués de la Covid-19, de la chute des prix du baril de brut et des sanctions américaines, Téhéran s'apprête à livrer des cargaisons d’essence et de produits pétroliers à Caracas. Cinq tankers iraniens voguent ainsi depuis quelques jours vers les Caraïbes vénézuéliennes. Selon le ministre vénézuélien du Pétrole, Tareck el-Aissami, le premier d’entre-eux est entré samedi dans les eaux du pays, escortés par des navires militaires.
Cette tractation entre deux des bêtes noires de Washington - membres de l’OPEP et soumises à des sanctions américaines - pourrait être perçue comme une provocation par les Etats-Unis dont les mesures punitives contre les deux pays visent, entre autres, leurs industries pétrolières respectives.
La Maison-Blanche avait annoncé début avril une plus grande surveillance du crime organisé dans la zone des Caraïbes en y déployant notamment des navires de combat. Pour l’agence de presse iranienne Fars, proche des ultraconservateurs, il y aurait suffisamment d'éléments aujourd’hui attestant une présence navale américaine dans l’éventualité d’une « confrontation avec les pétroliers iraniens ». Les autorités vénézuéliennes répondent à cette menace en bombant le torse. Lors d’une rencontre avec le haut commandement de l'armée, Nicolas Maduro a ainsi dévoilé que des exercices militaires avaient eu lieu jeudi dans l'île de La Orchila, au nord de Caracas. Un jour auparavant, son ministre de la Défense, Vladimir Padrino Lopez, avait déclaré qu’une fois entrés dans la zone économique exclusive du pays, les tankers iraniens seraient « escortés par des navires et des avions des forces armées ». Dans la même veine, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammed Zarif, s’est alarmé le 17 mai, dans une lettre adressée au secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, contre toute action de la marine américaine dans les Caraïbes qui viserait à perturber la livraison du pétrole iranien, qualifiant une telle action d’« illégale » et l’assimilant à « une forme de piraterie».
Quant aux Américains, ils restent, pour l’heure, sur la réserve. L’amiral Craig Faller, à la tête du commandement sud des États-Unis dans les Caraïbes, s’est contenté d’une déclaration timorée, exprimant simplement les « inquiétudes » de son pays devant les activités iraniennes dans cette région.
Dans le collimateur de Washington
Si les sanctions unilatérales américaines ont largement contribué à exclure Caracas et Téhéran du système financier global, cette marginalisation ne les a pas empêchés de négocier directement entre eux, hors des canaux financiers internationaux. Plusieurs déclarations récentes d’officiels américains suggèrent que le Venezuela paye l’Iran en or pour soutenir son secteur énergétique.
Les États-Unis ont beau dénoncé cette coopération, il est difficile d’imaginer en quoi elle pourrait concrètement les menacer. L’alliance qu’exhibent Caracas et Téhéran semble davantage relever du symbole, tant les deux pays sont aujourd’hui confrontés à d’immenses difficultés intérieures. L’Iran a connu une contraction de près de 10% de son économie en 2019, une situation qu’a aggravée la pandémie du coronavirus. Les sanctions américaines ont apparemment entravé l’importation de produits médicaux et humanitaires. Quant au Venezuela, s’il possède les réserves de pétrole les plus importantes au monde, la production est en chute libre. Or la principale faiblesse de l'économie du pays est sa dépendance à l’or noir. Les revenus pétroliers avaient permis à Hugo Chavez de financer de vastes programmes sociaux qui avaient, indéniablement, fait baisser le taux de pauvreté jusqu’en 2010. Mais la chute des cours à partir de 2014 a mis fin à ces avancées sociales, et la situation économique s’est considérablement dégradée. Il faut, entre autres facteurs, y ajouter une politique qui rejette les investissements étrangers et une corruption quasi institutionnalisée.
Les sanctions américaines imposées depuis août 2019 s’inscrivent dans la continuité de l’embargo financier mis en place sous l’administration Obama à partir de 2015 et se révèlent catastrophiques pour un pays qui importe presque tout ce qu’il consomme. Il doit en plus composer avec une crise politique sans précédent depuis que Juan Guaido s’est proclamé en janvier 2019 président par intérim du Venezuela et qu’il a été reconnu comme tel par une cinquantaine de pays, et d’abord par les États-Unis. Selon les Nations-Unies, plus de 5 millions de Vénézuéliens sont aujourd'hui réfugiés, migrants ou demandeurs d'asile.
Lutte contre l'impérialisme
Depuis l'avènement d’Hugo Chavez au pouvoir en 1999, les liens entre Caracas et Téhéran se sont renforcés, galvanisés par l'hostilité que leur vouaient les administrations Clinton et Bush. Un peu plus d’un mois après la prise de fonction du nouveau président, les deux pays ont signé un mémorandum de coopération bilatérale. En 2005, alors qu’il reçoit son homologue iranien Mohammed Khatami, Chavez déclare que « l’Iran a tous les droits, comme de nombreux autres pays, à développer son énergie atomique, à poursuivre ses investigations dans ce domaine ». Au cours de ce voyage, plus d’une vingtaine d’accords bilatéraux ont été signés dans des domaines aussi divers que le pétrole, la finance, les transports ou les technologies. Une liaison aérienne hebdomadaire est ouverte en 2007 entre Caracas et Téhéran avec escale à Damas.
Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, les deux leaders se sont rencontrés plus d’une vingtaine de fois, ont multiplié les projets et n’ont cessé de poser sur la scène internationale en couple anti-impérialiste, exprimant régulièrement l’estime mutuelle qu’ils se portent.
Lorsqu’il succède à Chavez en 2013, Maduro entend poursuivre la politique de son prédécesseur vers l’Iran, d’autant plus que le pays est de plus en plus isolé dans l'arène politique mondiale - malgré le soutien de la Russie et de la Chine - et en faillite financière. Au sein de l’OPEP, l'Iran et le Venezuela ont fait front contre l’Arabie saoudite - partenaire de Washington et ennemi juré de Téhéran - en maintenant une stratégie des prix hauts.
De nombreux Vénézuéliens sont originaires du Liban et de Syrie et une partie d’entre eux est sensible au discours « anti-impérialiste » et pro-iranien des autorités. Les pourfendeurs de l’alliance irano-vénézuélienne ont d'ailleurs regulièrement alimenté les rumeurs sur la présence au Venezuela d'unités du Hezbollah, surtout après la nomination en janvier 2017 de Tareck el Aissami comme vice-président (poste qu'il conserve jusqu'en juin 2018). D’origine libano-syrienne, ce dernier est accusé par Washington d’avoir coordonné des trafics de drogue avec la Colombie et le Mexique et d’entretenir des liens avec le parti de Dieu.
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Qui se ressemblent s’assemblent rien de nouveau sous le soleil. Des voleurs des pilleurs et des dictateurs sont toujours d’accord pour aboyer contre les constructeurs, les libérateurs et les défenseurs des droits de l’homme. Espérons que notre peuple se réveillera avant. Sinon La gueule de bois risque d’être fatale.
Sissi zayyat
19 h 57, le 26 mai 2020