Les Zghortiotes qui s’apprêtent à rejoindre par vagues Ehden, leur village pour la saison estivale, doivent se préparer à une mauvaise surprise : le paysage si familier de la montagne de Saydet el-Hosn, surplombée par la célèbre statue de la Vierge, est désormais défiguré par une énorme cavité, sous couvert d’un permis de « bonification de terrains ». Un tel permis ouvre généralement la voie à une exploitation agricole, mais, selon un architecte sur place, il est peu probable que cela soit l’intention des propriétaires du terrain. Alors qu’un certain secret entoure ces travaux, une polémique secoue d’ores et déjà le village. L’affaire a été révélée par des habitants de Ehden, qui ont été surpris par les travaux d’excavation sur la montagne de Saydet el-Hosn.
Pour les Zghortiotes comme pour un certain nombre de Libanais, ce site est une forteresse avancée d’Ehden et du « pays maronite » dominant les plaines et la mer, tout au long de leur histoire agitée. La statue de la Vierge Marie qui culmine est la plus grande statue en granite de tout le Liban. La montagne de Saydet el-Hosn reçoit en outre des visiteurs de toutes les régions du pays et des quatre coins du monde.
Outré, un activiste local a pris une photo de la montagne défigurée et l’a partagée sur les réseaux sociaux. Dans la foulée de la polémique suscitée par ce cliché, il apprend que les propriétaires du terrain en question ont obtenu un permis de « bonification de terrains » délivré par le ministère de l’Agriculture. Interrogé à ce sujet par L’Orient-Le Jour, Boulos Douayhi, architecte et géographe originaire de Zghorta-Ehden, précise que l’endroit où les travaux sont entrepris est une zone classée forestière.
« Dans les zones forestières, ni la construction de bâtiments ni la bonification de terrains ne doit être autorisée », explique M. Douayhi. « Dans des cas précis, poursuit-il, il est permis de construire de petits bâtiments sur un espace ne dépassant pas 2,5 % de la superficie du terrain lorsque celle-ci est de 5 000 mètres carrés ou plus. » Or, selon l’architecte, le terrain où les travaux sont réalisés à Ehden ne dépasse pas les 900 mètres carrés.
Des « regrets » au ministère ?
Il estime également que plusieurs lois ont été enfreintes. « Selon la décision ministérielle numéro 731/1 sur les conditions requises pour l’obtention d’un permis de bonification de terrain, l’angle de la pente du terrain ne devrait pas dépasser les 45 degrés et les travaux ne devraient pas aller à l’encontre de la préservation d’un paysage naturel faisant partie d’un site de destination estivale », poursuit le militant. Selon lui, le terrain en question ne remplit ni ces conditions-là ni d’autres figurant dans le décret.
Un responsable du ministère de l’Agriculture ayant requis l’anonymat a exprimé à L’Orient-Le Jour son regret d’avoir octroyé ce permis de bonification de terrains. « Nous ne savions pas de quel terrain il s’agissait et nous n’étions pas informés de sa nature », déplore le responsable. « Le rapport qui nous a été remis se contente de nous indiquer que le terrain n’est pas planté d’arbres, ce qui est vrai », poursuit cette source. Si le ministère n’a pas d’informations précises sur le terrain, il est difficile d’imaginer que la municipalité de Zghorta-Ehden n’en connaisse ni le lieu ni la nature. L’OLJ a essayé sans succès de contacter le président de la municipalité de Zghorta-Ehden, Antonio Frangié, dont la signature figure sur le permis.
Pour M. Douayhi, mis à part le caractère illégal de la bonification de terrains dans une zone classée forestière, les travaux réalisés entretiennent le doute quant aux intentions des propriétaires. « Pour commencer, il n’y a pas d’accès à l’eau dans cette zone, ce qui rendra l’irrigation difficile », dit-il. « En plus, le fossé creusé dans le terrain ne prend pas la forme de terres agricoles, mais d’une cavité profonde dont la réalisation est beaucoup trop coûteuse pour ne servir qu’à une simple bonification de terrains », ajoute-t-il. Selon l’architecte, si les propriétaires entendent construire une maison sur le terrain plutôt que d’y aménager une exploitation agricole, ils devront soit le faire illégalement, soit obtenir une exception du Conseil supérieur de l’urbanisme.
commentaires (8)
S'ils pouvaient arrêter de "bonifier " le Liban et aller se faire pendre ailleurs, comme ce paradis serait beau et nous nourrirait tous.
Christine KHALIL
11 h 33, le 20 mai 2020