État d’urgence scolaire : 80 % des écoles privées catholiques, qui scolarisent près des deux tiers des élèves du privé au Liban, fermeront leurs portes l’année prochaine (2020-2021), faute de moyens de poursuivre leur mission éducative. C’est la véritable bombe lancée hier par le secrétariat général des écoles catholiques, présidé par le P. Boutros Azar, dans une lettre ouverte adressée au président de la République Michel Aoun. Ce développement, explique le P. Azar, est dû « aux difficultés économiques rencontrées par ces écoles et à la négligence de l’État ». La veille, le responsable des écoles catholiques était déjà monté au créneau et avait critiqué la « décision surprise » du ministère de l’Éducation, Tarek Majzoub, d’abolir les examens officiels et d’écourter l’année scolaire, une décision qui a été entérinée hier en Conseil des ministres. « M. Majzoub ne s’est pas concerté avec les écoles ou avec le syndicat des enseignants avant de prendre des décisions qui concernent l’intérêt et la sécurité des élèves », avait affirmé le père Azar.
Dans son message d’hier, le P. Azar a été au fond des choses. « C’est notre responsabilité pédagogique nationale qui nous pousse à vous adresser cette note, affirme la lettre ouverte, la plupart des écoles relevant de nos congrégations, soit pas moins de 80 % d’entre elles, se dirigent inéluctablement vers la fermeture en raison des difficultés économiques et de la négligence de l’État. De ce fait, ces écoles n’ouvriront pas leurs portes à la rentrée prochaine (2020-2021). »
Pour L’Orient-Le Jour, le P. Azar précise que par la « négligence de l’État », le secrétariat entend notamment la loi 46 /2018 qui a modifié la grille des salaires dans le secteur public et placé en grande difficulté tous les établissements scolaires, même les plus grands. Pour les établissements moyens et petits, notamment les écoles semi-gratuites subventionnées par l’État (qui n’a plus payé sa quote-part depuis 5 ans), le choix n’en était pas un : c’était la fermeture ou la ponction des salaires des professeurs.
« Je ne comprends vraiment pas cette négligence vis-à-vis de l’enseignement privé au profit de l’enseignement public. L’État devrait reconnaître que nous assumons un service public et subventionner l’école privée », souligne le P. Boutros Azar.
À ce fardeau salarial, est venue s’ajouter la dépréciation de la monnaie nationale, qui a appauvri tout le monde, ajoute en substance le responsable pédagogique. La fermeture des écoles après le soulèvement d’octobre puis celle que l’épidémie de coronavirus a imposée ont en outre démotivé les parents d’élèves, qui ont demandé une réduction des frais scolaires proportionnelle au nombre de jours de fermeture (40 % de l’année scolaire). Sachant que, selon une source fiable, en moyenne, seule la moitié des scolarités exigibles a été payée dans les écoles privées.
Des centaines de milliers d’élèves
« Du fait de cette fermeture forcée, poursuit le message du secrétariat des écoles catholiques, des centaines de milliers d’élèves se préparent à réserver une place dans les écoles publiques, tandis que des dizaines de milliers d’emplois seront perdus pour les enseignants, employés et personnel de ces écoles », ajoute l’appel qui se termine par cette mise en garde : « Ce que publient la Fédération des écoles privées au Liban et le secrétariat des écoles catholiques confirme que l’épreuve est générale dans le secteur de l’enseignement privé, qui assure la scolarisation de près des deux tiers des élèves du Liban (710 000 élèves, contre 260 000 dans le public). Cette perte va bien au-delà de la perte purement matérielle et peut être qualifiée de grande perte nationale qui s’ajoute aux autres grands déficits qui affectent le patrie ces derniers temps. »
Un certain nombre de grandes écoles bien établies échappent néanmoins à la perspective alarmante qui se dessine, et la fermeture de 80 % des écoles privées catholiques ne signifie pas nécessairement que 80 % des élèves de ces écoles devront s’orienter vers l’école publique. Selon des chiffres fiables, les grandes écoles qui règlent en totalité leurs salaires aux enseignants sont au nombre de 87 (sur un total de 1 556 écoles privées) et scolarisent un quart non négligeable de l’effectif scolaire total.
Pour L’Orient-Le Jour, une source haut placée au sein des congrégations religieuses responsables d’établissements scolaires qui a tenu à garder l’anonymat a mis en garde contre la mise en péril de l’un des joyaux culturels du Liban : le niveau d’éducation de sa population, élevé à la hauteur d’une mission sacrée.
Tableau noir pour l’école privée au Liban. Photo Terrasanta
Le cauchemar des enseignants
Le porte-parole d’un corps de 56 000 enseignants, Rodophe Abboud, président du syndicat des enseignants du privé, a dénoncé pour sa part, dans une conférence de presse hier, l’absence de concertations dans la décision du ministre de l’Éducation nationale d’écourter l’année scolaire (voir ci-contre). Il aurait préféré la prolongation de l’année, de sorte à priver les parents de tout prétexte pour ne pas régler l’intégralité des scolarités, une décision qui va se répercuter inévitablement sur la masse salariale destinée aux professeurs.Mais les appréhensions concrètes que, dans son point de presse, M. Abboud a manifestées pour les salaires de près de 13 000 enseignants du privé de quelque 200 écoles ont dû se transformer en cauchemar, après l’annonce du P. Boutros Azar.
Pour L’Orient-Le Jour, le dirigeant syndical s’est employé à énumérer les solutions possibles aux inextricables difficultés financières de l’école privée, dont il semble avoir pris conscience. Il a naturellement fait figurer au nombre de ces expédients le paiement par l’État de sa quote-part aux écoles semi-gratuites qui, en zone rurale ou en zone urbaine pauvre, assurent la scolarisation de milliers de jeunes élèves issus des milieux pauvres. Au nombre de 640, ces écoles emploient 6 000 enseignants.
Pour Rodolphe Abboud, il est également possible pour aider les écoles d’utiliser l’argent économisé grâce à la suppression des examens officiels à tous les niveaux académiques et techniques, et dont le montant serait d’environ 23 milliards de livres.
Même les subventions et aides destinées à la scolarisation des déplacés syriens pourraient venir en aide à l’enseignement privé menacé, ou encore le don de 200 000 dollars accordé au Liban par le pape François, à titre de bourses d’études, estime le dirigeant syndical, inquiet pour les dérobades qui pourraient se produire de la part de parents qui choisiront l’école publique, laissant à l’école privée leurs dettes impayées.
Conscient « des dangers et des risques de la situation », Rodolphe Abboud déplore « la rupture de la connexion écoles-parents ». « Désormais, dit-il, les parents vont se considérer libres d’aller vers l’enseignement public. L’État ne peut l’interdire. Certes, toute école a le droit d’engager des poursuites pour récupérer des impayés. Car, au final, ce sont des dettes. Mais qui va le faire ? »
En vérité je promet l'Enfer direct, sans même passer par la case Jugement Dernier, à toute la caste politico-religio-financière et à tous leurs encartés et larbins.
13 h 23, le 21 mai 2020