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Économie - Focus

Le casse-tête des restaurateurs libanais face aux défis du déconfinement

La filière ne peut compter que sur le marché local pour tenter de se relancer pendant le déconfinement.

Une terrasse ouverte la semaine dernière dans le quartier de Badaro, à Beyrouth. Photo M.A.

« Ouvrir, mais à quel prix ? » Cette formule employée par plusieurs restaurateurs contactés par L’Orient-Le Jour résume le mieux la situation extrêmement compliquée dans laquelle se trouve la filière.

Déjà affaiblis par les répercussions de la crise économique et financière qui ravage les entreprises depuis au moins l’été dernier, à commencer par la chute de la valeur de la livre libanaise, et premiers acteurs à avoir dû se plier aux mesures de confinement décrétées par les autorités pour lutter contre le Covid-19, les gérants de restaurants, snacks et autres établissements récréatifs qui assurent des services de repas ne sont en effet pas au bout de leurs peines.

Une partie d’entre eux est enfin autorisée à ouvrir leurs portes depuis que le gouvernement a donné son feu vert à un déconfinement progressif il y a deux semaines. Mais tous n’ont pas pu profiter de cette fenêtre de reprise – qui pourrait en outre être suspendue (voir page 3).

Taux de remplissage

À Sodeco, près du centre de Beyrouth, seul un quart des restaurants ont accueilli des clients ce week-end par exemple. Une proportion qui s’est vérifiée dans d’autres quartiers, mais pas dans les centres commerciaux, qui ne sont toujours pas autorisés à ouvrir. À Jbeil, c’est la quasi-totalité des établissements du vieux souk qui restent fermés jusqu’à au moins la semaine prochaine, sur ordre de la municipalité et seuls ceux situés dans les quartiers adjacents ont le droit pour recevoir les quelques clients déambulant dans les rues. Plus au nord, à Anfeh, seuls trois établissements sur les cinq qui bordent la célèbre plage rocheuse de la localité étaient autorisés à ouvrir la semaine dernière.

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L’assouplissement des mesures de confinement est pourtant loin de réellement soulager les restaurateurs qui en bénéficient, ces derniers jugeant certaines de ses modalités contre-productives. En effet, seuls les établissements ayant des locaux suffisamment grands pour permettre à leurs clients et leurs employés de respecter les mesures de distanciation sont autorisés à ouvrir. Ils ne peuvent toutefois pas dépasser 30 % de taux de remplissage, en attendant que ce ratio soit relevé à 50 % dans deux semaines. Les acteurs de la filière pestent également contre les horaires d’ouverture autorisés, incompatibles selon eux avec leur activité. « Les Libanais ont l’habitude de dîner assez tard, donc le fait que le couvre-feu commence à 21h (et qui est passé depuis dimanche à 19h, NDLR) ne nous aide pas », constate Aline Kamakian, propriétaire des franchises Batchig et Mayrig qui exploite plusieurs restaurants au Liban et à l’étranger.

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être dans un quartier fréquenté, la réouverture prend même des airs de traversée du désert. Plusieurs propriétaires de restaurants ont ainsi rapporté à L’Orient-Le Jour des taux de remplissage gravitant autour de 10 %, un ratio que confirme Tony Rami, président du syndicat des restaurants, cafés, boîtes de nuit et pâtisseries. « La crise a asséché les finances des gens, qui privilégient les dépenses essentielles aux loisirs », relève Aline Kamakian. « Une famille pourrait acheter de quoi cuisiner pour 2 ou 3 jours avec le montant qu’elle devrait débourser pur manger chez nous », concède une employée d’un snack pourtant populaire spécialisé dans le shawarma à Sodeco.

Circulaire n° 547

La situation est d’autant plus dramatique que les restaurateurs ne peuvent compter que sur le marché local pour tenter de survivre, l’Aéroport international de Beyrouth étant toujours fermé, souligne le secrétaire du syndicat des hôteliers, Wadih Kanaan, qui préside la commission dédiée au tourisme au sein du Conseil économique et social. L’instance a d’ailleurs hébergé un débat sur les problématiques liées au confinement et à la crise hier entre les représentants des filières du tourisme – dont Tony Rami justement – et le ministre chargé du secteur Ramzi Moucharrafiyé (voir encadré).

De nombreux restaurateurs considèrent l’ordre de fermeture qui leur a été imposé dès mars comme une double peine. Beaucoup d’entre eux ont continué de payer tout ou partie des salaires de leurs employés aussi longtemps que possible, autant par solidarité que pour pouvoir compter sur eux au moment de la reprise. Mais leur trésorerie a progressivement été rongée par la crise qui n’a cessé de s’aggraver depuis l’été dernier. « Dans d’autres pays, l’État ou les banques centrales ont proposé ou mis en place des mesures de soutien pour les entreprises des secteurs non essentiels. Au Liban, le seul mécanisme disponible a été mis en place par la BDL (…) mais les banques ne l’appliquent toujours pas », dénonce encore Aline Kamakian. Adoptée en mars, la circulaire n° 547 de la BDL permet aux banques d’accorder des prêts exceptionnels à 0 % et sans frais aux sociétés qui se sont retrouvées dans l’impossibilité de payer certains frais, dont les salaires, pendant la période allant de mars à juin (le délai d’application a été prolongé d’un mois quelques semaines après la publication du texte). Les remboursements peuvent ensuite être échelonnés sur cinq ans maximum.

Or, selon deux sources concordantes, certaines banques envisageraient de refuser d’appliquer le mécanisme pour financer les salaires, même si la BDL le prévoit. « Les banques qui défendent cette position considèrent qu’une entreprise qui n’a pas les moyens de payer ses salaires pendant le confinement est de toute façon perdue », affirme une des personnes interrogées. Contactée, une source à l’Association des banques du Liban assure qu’aucune décision commune en ce sens n’avait été adoptée et a appelé la BDL à fournir les précisions que réclament les banques pour pouvoir effectivement appliquer la circulaire.



La majorité des restaurants de Jbeil n’ont pas encore été autorisés à ouvrir. Photo P.H.B.

Observer le marché

Mais encore plus que le confinement, ce sont bien les répercussions dramatiques de la crise que traversait le pays avant même que le Covid-19 ne frappe à sa porte qui causent le plus de tracas aux restaurateurs. « La filière est particulièrement pénalisée par la dépréciation de la livre par rapport au dollar et l’incertitude qui règne concernant l’évolution du taux livre/dollar à court terme », déplore Aline Kamakian. Une conjoncture désastreuse qui a d’ailleurs poussé certains restaurateurs à rester fermés parce que « ça leur coûte finalement plus cher d’ouvrir ».

Si la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar subsiste encore pour certaines transactions, c’est le taux du marché noir, toujours supérieur à plus de 4 000 livres en ce début de semaine, qui est répercuté par la quasi-totalité des acteurs économiques du pays, dont les fournisseurs des restaurateurs. Cette crise de liquidités a de graves conséquences sur l’activité des restaurateurs. « Les prix des ingrédients ont augmenté dans des proportions affolantes, vu que les fournisseurs calculent leurs prix en fonction du taux du marché noir », explique encore Aline Kamakian. « De plus, l’écrasante majorité des fournisseurs exige désormais d’être payée en espèces, et en dollars », poursuit-elle.

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Le phénomène n’épargne d’ailleurs aucune catégorie d’établissement, qui se retrouvent tous obligés à supprimer certaines spécialités de leurs cartes soit parce qu’elles ne sont plus assez rentables, soit parce qu’elles deviennent tout simplement trop chères. « Un restaurateur qui augmente ses prix en temps de crise finit par faire fuir ses clients, même si le marché lui impose de le faire », analyse Tony Fiani qui gère avec son frère le Snack Jules, installé depuis les années 1990 à Adonis, dans le Kesrouan. Si l’établissement a récemment rouvert ses portes, son menu a été révisé en fonction des circonstances. « Nous ne servons plus que des sandwichs à base de poulet, parce que c’est la seule viande dont les prix n’ont pas excessivement augmenté, sans doute parce qu’il y a plus de production locale », relève Tony Fiani. Son frère Jules indique par exemple avoir dû retirer un simple sandwich au jambon et au fromage parce que les prix des ingrédients avaient été multipliés par un facteur allant de 2 à 2,5 et qu’il n’y a pas d’équivalents locaux. « La restauration est d’ailleurs le secteur dans lequel l’on se rend le plus compte que le Liban ne produit finalement pas grand-chose, à part des légumes », souligne Aline Kamakian. Les deux frères projettent de leur côté de poursuivre leur activité avec leur carte réduite, le temps de « jauger le marché ».

Enfin la volatilité de la livre pose autant de problèmes que sa dépréciation. « Les restaurateurs peuvent faire des efforts un temps, mais ils ont besoin de visibilité. Or les prix des ingrédients évoluent chaque jour avec le taux, ce qui rend leur position intenable », martèle Wadih Kanaan, qui rappelle que la filière doit généralement faire agréer ses prix par le ministère du Tourisme. Il espère enfin que les revendications transmises au ministre du Tourisme hier inciteront le gouvernement à prendre des mesures de soutien concrètes pour l’ensemble du secteur.

Selon une étude publiée en 2019 par l’Autorité de développement des investissements au Liban (IDAL), le Liban est le 2e pays du Moyen-Orient en termes de contribution du tourisme et des transports dans le PIB (19,1 %, derrière la Jordanie à 19,2 %).

« Ouvrir, mais à quel prix ? » Cette formule employée par plusieurs restaurateurs contactés par L’Orient-Le Jour résume le mieux la situation extrêmement compliquée dans laquelle se trouve la filière.Déjà affaiblis par les répercussions de la crise économique et financière qui ravage les entreprises depuis au moins l’été dernier, à commencer par la chute de la...

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Essayez d’interdire la cigarette dans les lieux publics de loisirs : restaurants - bars - cafés etc...

Karam Mireille

01 h 10, le 12 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Essayez d’interdire la cigarette dans les lieux publics de loisirs : restaurants - bars - cafés etc...

    Karam Mireille

    01 h 10, le 12 mai 2020

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