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Société - Focus

Bécharré, un modèle de lutte contre le coronavirus ?

Seule localité du Liban à s’être imposé un isolement total, la bourgade, qui a été un foyer du Covid-19, se dirige aujourd’hui vers un déconfinement progressif.

Les rues vides de Bécharré durant la période d’isolement. Photo Antoine Amriye

Il a fallu vingt-deux jours pour que Bécharré, ancrée sur le flanc de la Vallée sainte de la Qadicha, à quelque 1 500 mètres d’altitude, gagne une réputation de bourgade modèle dans la lutte contre le coronavirus. Seule localité du Liban à s’être imposé un isolement total, Bécharré se dirige aujourd’hui, prudemment, vers un déconfinement progressif.

Depuis la détection du premier cas de coronavirus dans le pays, le 21 février, la municipalité de Bécharré a vite réagi en prenant des mesures drastiques dans une perspective préventive. Un bureau de gestion de crise a été immédiatement créé par l’union des municipalités, et des points de contrôle ont été installés à l’entrée de chaque village au sein du caza de Bécharré. Entre les villages voisins, les voitures ne pouvaient plus circuler sans qu’elles ne soient stérilisées sur les points de contrôle et sans que la température des passagers ne soit prise, et leurs noms et adresses enregistrés.

Malgré la vitesse de la réaction des autorités locales, la pandémie n’a pas épargné cette localité du Liban-Nord. Après un premier cas de contamination qui s’est déclaré le 24 mars, les chiffres se sont mis à vite grimper. Pour une bourgade comptant 5 000 habitants en hiver, l’apparition de soixante-dix cas porteurs du virus n’a pas manqué de susciter une certaine peur et beaucoup d’interrogations. Les autorités locales ont dû alors recourir à une solution drastique : isoler la localité du reste du caza et, par conséquent, du reste du pays.

Moins d’un mois après cette décision, environ vingt-cinq cas de guérison totale ont été enregistrés et une quinzaine de personnes atteintes du virus attendent de se faire tester une seconde fois pour confirmer leur guérison, après avoir été testées négatives une première fois. Au cours de cette période, seuls deux nouveaux cas ont été enregistrés (parmi le corps soignant) et un seul décès, celui d’un nonagénaire qui souffrait déjà de plusieurs maladies. Eddy Lozom, directeur de l’hôpital gouvernemental de Bécharré, affirme à L’Orient-Le Jour qu’aucun nouveau cas ne devrait être enregistré dans la localité d’ici à la fin mai.



À l’entrée de la localité, la police municipale avait établi un barrage durant toute la période d’isolement.

Un isolement total

Du 12 avril au 2 mai, Bécharré a donc été totalement isolée de son entourage. Dans la localité qui bénéficiait déjà d’un calme et d’une sérénité caractéristiques des villages libanais haut perchés, le silence était roi. Sur les points de contrôle installés aux entrées de la ville et désormais surveillés, les véhicules qui se présentaient se faisaient de plus en plus rares.

Les seules personnes qui s’y aventuraient étaient des patients qui devaient impérativement se faire traiter à l’hôpital gouvernemental, le seul de tout le caza. Malgré le cas exceptionnel que ces patients présentaient, ils étaient tout de même appelés à coordonner à l’avance avec la municipalité pour que l’autorisation d’entrer leur soit accordée immédiatement sur le point de contrôle, à moins que leur cas ne soit urgent et donc imprévu. Les autres personnes qui pouvaient entrer étaient les fournisseurs de produits alimentaires. Les véhicules devaient déposer leurs marchandises dans des garages transformés en entrepôts. Une fois désinfectés, les produits étaient distribués aux magasins et aux supermarchés.

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À l’intérieur même de la localité, la circulation était réduite à presque zéro. Les habitants ne sortaient plus de chez eux. Comme les habitants de tous les villages libanais où les vieilles armoires sont toujours remplies de provisions, les habitants ne se sont nullement rués sur les supermarchés. Pour Lina Stéphan, mère de famille, la vie a surtout changé pour les enfants qui ne pouvaient plus jouer dehors avec les voisins. « Nous ne sortions que très rarement, souvent chez le vendeur de fruits et de légumes, ou alors pour acheter un sac de pain de l’épicerie », explique-t-elle.

La place de l’église Saint-Saba, patron du village, restait déserte. L’église, construite au cœur de Bécharré, non loin du souk qui naguère regorgeait de vie, ne recevait plus les fidèles. « De tous les changements qui ont secoué la vie des habitants, ce sont les églises vides qui ont marqué le plus les Bécharriotes », note Freddy Keyrouz, président de la municipalité.

Pour remédier à la situation, Peter Jabbour évoque un retour à la terre comme passe-temps et moyen de défoulement. « Avec mon épouse, nous n’avons plus quitté Bécharré depuis plus de deux mois, raconte cet habitant. La dernière visite que nous avons rendue à mes beaux-parents qui vivent à Sabtiyé (Metn) nous semble aujourd’hui remonter à la nuit des temps ! » Malgré l’isolement total, les habitants de Bécharré disent avoir de la chance de vivre dans un endroit où il est toujours possible de respirer, même dans les situations les plus difficiles et les temps les plus incertains.



Vérification de la température d’un passager.

Un modèle réfléchi

Pour MM. Keyrouz et Lozom, il n’y a pas un ingrédient secret qui a permis à Bécharré de contrer le virus. Il s’agit plutôt d’un modèle mis en place où tout est réfléchi. « L’isolement à lui seul ne suffit pas pour contrer le virus, tout comme la réalisation d’un grand nombre de tests PCR n’est pas à elle seule une solution », affirme M. Lozom.

À Bécharré, sur une population de 5 000 habitants, plus d’un millier de tests PCR ont été réalisés. Selon M. Lozom, le dépistage est réussi non seulement grâce au nombre de tests, mais surtout grâce à la traçabilité des personnes suspectées de porter le virus.

« Lorsque le ministère de la Santé a effectué 250 tests aléatoires, aucun résultat ne s’est avéré positif », relève M. Lozom avant de poursuivre : « Par contre, sur les cent tests que les autorités locales effectuaient régulièrement, des dizaines de personnes s’avéraient être porteuses du virus. » Pour le directeur de l’hôpital gouvernemental de Bécharré, il s’agit de faire tester les « bonnes personnes », celles qui sont le plus à risque de se faire contaminer au virus. « Suivant la stratégie de traçabilité, les personnes testées sont celles qui étaient en contact avec des porteurs du virus et donc suspectées de le porter elles-mêmes », ajoute-t-il. Ces mesures ont permis aux autorités locales d’imposer le confinement total à des immeubles où se trouvent des personnes contaminées afin de limiter autant que possible la propagation du virus dans la localité.

La gestion de la ville a également subi des changements. Même la collecte des déchets n’y a pas échappé. Selon M. Keyrouz, des poubelles spéciales ont été installées dans les quartiers touchés par l’épidémie. Les déchets des personnes contaminées étaient collectés dans des camions-bennes à part.

Depuis une semaine, Bécharré s’ouvre timidement sur ses alentours, et le déconfinement est en marche. Mais dans une localité où des frères habitent chacun un étage d’un même immeuble et où les familles ne déjeunent jamais seules, les habitants apprennent, tant bien que mal, à respecter la distanciation sociale.

Il a fallu vingt-deux jours pour que Bécharré, ancrée sur le flanc de la Vallée sainte de la Qadicha, à quelque 1 500 mètres d’altitude, gagne une réputation de bourgade modèle dans la lutte contre le coronavirus. Seule localité du Liban à s’être imposé un isolement total, Bécharré se dirige aujourd’hui, prudemment, vers un déconfinement progressif. Depuis la détection...

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Le type de la municipalité qui prend la température (photo), est il aussi un modèle pour le pays (pas de protection)

Roger Xavier

12 h 12, le 09 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Le type de la municipalité qui prend la température (photo), est il aussi un modèle pour le pays (pas de protection)

    Roger Xavier

    12 h 12, le 09 mai 2020

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