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Lifestyle - Un peu plus

Et si le corona n’avait pas eu lieu ?

Lazy B, mai 2019. Photo M.A.

Et si nous étions dans une situation normale ? Si nous étions en mai 2020 comme nous étions en mai 2019 ? Si cette pandémie n’avait pas eu lieu ? Si la planète ne s’était pas cloîtrée, refermée sur elle-même. Si elle n’avait pas coupé les ponts entre deux rives, mais les avaient érigés. Si le confinement n’avait pas eu lieu, où serions-nous aujourd’hui ?

Tout dépend d’où l’on se trouve. Dans quel coin de la planète. Sur quel continent. Nous aurions continué à nous battre un peu partout. Nous battre pour sauver les Yéménites, les Syriens, les Kurdes, les Hongkongais, les migrants, les exclus, les laissés-pour-compte, les torturés. Nous serions en train de nous dresser contre le réchauffement climatique, la déforestation de l’Amazonie… Et chez nous, nous serions encore plus remontés contre ce régime qui continue, inlassablement et pernicieusement, de nous tuer à petit feu. Si le Covid-19 ne s’était pas abattu sur nous, les Libanais, nous serions tous retournés dans la rue. Nous aurions regagné les champs de bataille. Les places des grandes villes, les bords de mer où se noient à nouveau les déchets, la vallée de Bisri. Nous aurions sillonné le Liban du nord au sud, d’est en ouest, pour faire comprendre aux derniers réfractaires la nécessité de la thaoura. Ses exigences et ses demandes ; sa fonction vitale pour sauver ce qui reste de ce pays que nous avons maintes fois trahi. Parce que la crise économique nous aurait emportés dans les méandres de la faim, quoi qu’il arrive. Avec ou sans coronavirus. Parce que la corruption aurait continué de plus belle, que le féodalisme et le clientélisme seraient encore à la base de cette classe politique qui incarne si bien le mal. Nous aurions manifesté en plus grand nombre avec Tripoli qui meurt de faim. Tripoli, ville la plus pauvre du pays, abandonnée par ceux qui y sont nés et qui, aujourd’hui caracolant dans le hit parade des grands milliardaires de ce monde, la regardent crever dans l’indifférence la plus abjecte. Nous nous serions révoltés contre ce système gangrené. Nous aurions intenté des procès à la classe politique, aux banques. Nous aurions tout fait pour récupérer l’argent qu’ils nous ont volé et que les pauvres, à cause de la dévaluation de la livre, vont être obligés de rembourser. Nous nous battons un peu ; nous nous soulevons un peu ; aidons dans la limite de nos moyens mais nous sommes coincés. Coincés par la mobilisation générale qui s’étend jusqu’au 24 mai. Coincés par des réglementations qui nous empêchent de nous mouvoir et d’aller plus loin. Et au lieu de se prendre dans les bras les uns les autres afin de nous soulager de toutes ces peines qui nous sont infligées depuis des mois, nous avons pris nos distances tout en nous demandant comment nous allons nous relever de ce chaos innommable.

Si nous étions en mai 2020 comme nous étions en mai 2019, certains parmi nous auraient encore leur boulot. Les enfants seraient assis sur les bancs des écoles, les bacheliers auraient peut-être vu leurs rêves d’exil estudiantin exaucés, les jeunes, des perspectives d’avenir à portée de main. Les couples seraient en train d’organiser leur mariage, les autres seraient en train de préparer leurs vacances d’été. D’aucuns seraient en train de danser sur les tables, comme nous savons si bien le faire, ou en train de bavarder en terrasse, projetant une journée de plage ce week-end. Nous aurions peut-être eu des œillères, mais nous aurions été libres de nous battre ou pas. Nous aurions oscillé comme toujours, entre déni et réalisme, angoisse et joie de vivre. Nous aurions pris en main notre destin et celui de notre nation pour retrouver ce pays extraordinaire qui est le nôtre.

Mais ce n’est que partie remise. Le confinement prendra fin un jour. Et nos mains, gantées ou pas, s’entrelaceront à nouveau. Parce que nous ne sommes plus ni déraisonnables ni inconscients. Nous ne sommes plus dupes. Et qu’il y va de notre survie. De notre survie à tous. Nous sommes en mai 2020, et cette année qui a débuté sous les pires augures pourrait bien être celle de notre (re)naissance. Un enfantement, certes long et douloureux, mais un accouchement tout de même. La genèse d’un Liban nouveau, un Liban pluriel. Un Liban plus solidaire, plus uni. Parce que lorsqu’on a traversé ensemble d’aussi nombreuses tempêtes, lorsqu’on a croupi dans la boue d’une guerre des tranchées interminable, lorsqu’on s’est soutenus, épaulés, comme nous l’avons fait au temps du corona, nous ne pouvons qu’en sortir plus fort. Si Dieu le veut. Et si nous le voulons.

Et si nous étions dans une situation normale ? Si nous étions en mai 2020 comme nous étions en mai 2019 ? Si cette pandémie n’avait pas eu lieu ? Si la planète ne s’était pas cloîtrée, refermée sur elle-même. Si elle n’avait pas coupé les ponts entre deux rives, mais les avaient érigés. Si le confinement n’avait pas eu lieu, où serions-nous aujourd’hui ? Tout dépend...

commentaires (3)

Merci Medea de vos papiers, je vous lis régulièrement depuis Paris, mais le cœur toujours proche du Liban. Vos papiers respirent la vie, la saine colère, le désir du changement... C'est beau de retrouver cela dans le journalisme, oui disons le , il y a dans vos papiers, de la ferveur, de l'amour. Merci encore, l'un de vos inconditionnels lecteurs.

FRÉDÉRIC FARAH

09 h 54, le 23 mai 2020

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Commentaires (3)

  • Merci Medea de vos papiers, je vous lis régulièrement depuis Paris, mais le cœur toujours proche du Liban. Vos papiers respirent la vie, la saine colère, le désir du changement... C'est beau de retrouver cela dans le journalisme, oui disons le , il y a dans vos papiers, de la ferveur, de l'amour. Merci encore, l'un de vos inconditionnels lecteurs.

    FRÉDÉRIC FARAH

    09 h 54, le 23 mai 2020

  • Bravo medea et merci pour cette vitalite que tu transmit dans tes ecrits

    Dolly Talhame

    09 h 31, le 09 mai 2020

  • Bravo medea et merci pour cette vitalite que tu transmet dans tes ecrits

    Dolly Talhame

    09 h 30, le 09 mai 2020

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