Une des rues commerçantes du centre-ville de Beyrouth au printemps 20202, qui a été déserté depuis le début de la crise qui a éclaté fin 2019. Photo : P.H.B.
Les organismes économiques, l’organisation patronale dirigée par l’ancien ministre des Télécoms Mohammad Choucair et qui compte notamment l’Association des banques du Liban dans ses rangs, a dénoncé hier avec fracas le plan de redressement adopté jeudi dernier par le gouvernement de Hassane Diab. Le plaidoyer à charge de l’organisation, publié à l’issue d’une réunion consacrée à l’examen des pistes envisagées par le gouvernement, reprend certains arguments déjà invoqués par d’autres instances représentatives du secteur privé qui se sont exprimées ces dernières semaines.
Outre l’ABL, l’association LIFE (Lebanese International Finance Executives) rassemblant des entrepreneurs expatriés dans le domaine de la finance, le Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais dans le monde (RDCL World, dirigé par Fouad Zmokhol) ou encore le RDCL Liban (une entité distincte présidée par Fouad Rahmé) ont déjà exprimé leurs inquiétudes respectives depuis avril. Comme l’ABL, les organismes économiques reprochent notamment à l’exécutif de ne pas avoir été consultés en amont de l’élaboration du plan, dont des versions intermédiaires ont filtré dans la presse depuis début avril, se targuant d’avoir « toujours été à même de fournir un avis objectif qui sert les intérêts du pays ».
« Destruction » de l’économie
Ils accusent aussi le gouvernement d’avoir mis en place un plan qui inclut de nombreuses mesures « destructrices pour l’économie » touchant notamment au respect de la propriété privée et au « régime d’économie libérale » consacré par la Constitution, tout en « acquittant » les politiques et les fonctionnaires « de toute responsabilité ». L’absence de « vision » pour relancer l’économie et améliorer l’environnement des affaires, l’imposition de nouvelles taxes et impôts ou encore la volonté de « confisquer une partie des actifs des Libanais » dans le cadre des chantiers prévus par le plan figurent également dans la liste de leurs arguments. Le seul point positif relevé par l’instance économique est que l’exécutif se soit décidé à demander l’aide du Fonds monétaire international – une requête officielle pour une assistance financière ainsi qu’une copie du plan ont été envoyées ce week-end à l’institution.En conclusion, les organismes économiques appellent le gouvernement à prendre leurs remarques en considération en amont des négociations qu’il doit mener avec le FMI et exhortent les députés à faire barrage à toutes les mesures « destructrices pour l’économie » que l’exécutif soumettra à leur vote dans le cadre de la mise en œuvre de son plan de redressement.Le Liban traverse la pire crise économique et financière de ces trente dernières années, ce qui s’est logiquement répercuté sur le secteur privé dans son ensemble.Sans constituer une stratégie détaillée de sortie de crise, le plan du gouvernement pose les bases d’une feuille de route qui ambitionne de remettre le pays sur les rails d’ici à cinq ans et de persévérer ensuite dans cette nouvelle voie. Outre les projets de réformes identifiés depuis des lustres (électricité, fonction publique, lutte contre la corruption, etc.), le plan se distingue en établissant un constat chiffré des pertes accumulées par le secteur bancaire et la banque centrale au fil des années et qui se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards et proposent une série de pistes pour redresser la situation.Si les solutions proposées concernant le secteur bancaire – qui doit combler un trou de plus de 80 milliards de dollars – ne sont pas définitives, la palette d’options disponibles en excluant un renflouement par l’État ou une atteinte en premier ressort aux petits déposants est très limitée et passe forcément par un passage à la caisse des actionnaires et des dirigeants des banques. Et comme cela ne suffira pas, une contribution d’une partie des déposants via un bail-in (la conversion d’une partie de leurs fonds en participation au capital de leur établissement bancaire) fait partie des autres mesures envisagées.
Avis du FMI
Des options que rejettent donc les organismes économiques, ABL en tête, mais aussi le RDCL World qui s’est insurgé contre cette batterie de mesures dans un communiqué hier, promettant que ses membres mettront tous les moyens légaux en œuvre pour se protéger. L’association a également craint que l’adoption de ce volet du plan ne favorise à terme le développement du marché noir. Il y a quelques semaines, le réseau Life avait pour sa part admis que le plan du gouvernement était abouti à plusieurs niveaux mais lui avait conseillé de considérer le bail-in comme une mesure de dernier recours devant être adoptée après que des garanties de transparence et d’efficacité eurent été données aux déposants mis à contribution. Courant avril, le RDCL Liban a pour sa part estimé que « ceux qui devaient payer étaient ceux qui avaient profité » d’un système qui a permis à certains de s’enrichir sur le dos de la dette publique, entre autres arguments.
S’il n’a pas encore directement répondu aux organisations du secteur privé, le gouvernement a présenté son plan définitif hier à des députés rassemblés à l’initiative de la commission parlementaire des Finances et du Budget. Ils ont pu poser leurs questions au ministre des Finances, Ghazi Wazni, ainsi qu’à celui de l’Économie et du Commerce, Raoul Nehmé. À l’issue de la réunion, le président de la commission, le député CPL Ibrahim Kanaan, a jugé que certaines données chiffrées du plan devaient être précisées, et que la mise en œuvre du plan nécessitait le vote d’une « dizaine de lois », entre autres remarques. La commission a d’ailleurs prévu de se réunir assez rapidement avec les organismes économiques pour poursuivre le débat sur le plan.
Il reste que l’avis du FMI devrait être décisif pour trancher le débat. Selon une source proche du dossier, le gouvernement a en effet finalisé son plan en tenant compte d’observations émises par l’organisation de Bretton Woods en cours de route. Selon la source, la probabilité que le FMI approuve le plan du gouvernement est « grande » et les signaux envoyés jusqu’ici dans la perspective d’un déblocage d’un programme d’assistance sont « positifs » même si rien n’est officiellement acquis.
La source précitée a en outre souligné que les mesures fiscales prévues dans le plan ne devaient s’appliquer « qu’une fois la croissance revenue », c’est-à-dire en 2022 au plus tôt selon les projections du plan, ce qui remet en question un des arguments invoqués par les organismes économiques. Elle a enfin précisé que l’audit de la Banque du Liban que l’État veut confier à KPMG, Oliver Wyman et Kroll devrait bientôt commencer, les négociations entre le gouvernement et ces trois sociétés internationales en étant au « dernier stade ». Elle a enfin expliqué l’absence de plan détaillé de la réforme du secteur de l’électricité dans le document final par le fait que le ministère de l’Énergie et de l’Eau était en train de poursuivre ses discussions avec deux des acteurs encore en lice pour la construction de nouvelles centrales, à savoir l’allemand Siemens et l’américain General Electric.
Les organismes économiques...vous voulez dire la Chambre de Commerce et d'Industrie?
19 h 27, le 05 mai 2020