Extrait de la scène de la série syrienne où apparaît la photo de Rihab Allaoui.
Rihab Allaoui est morte deux fois. La photo de cette jeune femme décédée sous la torture en 2013 dans la branche 215 d’un centre de détention à Kfar Soussé, dans la banlieue de Damas, a été utilisée dans le 4e épisode d’une série télévisée syrienne, provoquant effroi et indignation dans les rangs de l’opposition. La série, intitulée Entretien avec M. Adam, narre les exploits d’un « spécialiste mondial de la médecine légale » appelé Adam Abdel Haq, incarné par l’acteur syrien Ghassan Massoud, connu pour avoir joué le rôle de Saladin dans Kingdom of Heaven en 2005. Diffusé à l’occasion du ramadan sur deux chaînes syriennes et une chaîne émiratie, ce feuilleton policier est certainement suivi par de nombreux téléspectateurs en raison des mesures de confinement. « Il semblerait que la production n’ait pas trouvé mieux que des photos des réalisations du régime assassin pour convaincre les téléspectateurs de la brutalité du système », a dénoncé une activiste sur les réseaux sociaux.
Dans l’une des scènes du dernier épisode diffusé lundi dernier, deux personnages discutent du cas d’une victime de meurtre non élucidé en feuilletant un dossier dans lequel apparaît la photo de Rihab, reconnaissable notamment grâce à la matricule 2935 et au numéro de la branche 215 écrite sur une feuille de papier posée sur son front.
Le cliché est en réalité issu des dizaines de milliers de photographies de victimes de la répression du régime, prises par « César », l’ancien membre de la police militaire syrienne qui avait fui le pays en emportant ces preuves en 2013. En mars 2015, après que les photographies du déserteur ont été publiées, une ex-codétenue reconnaîtra parmi les cadavres le bas de pyjama de Rihab Allaoui, qui sera ensuite identifiée par sa famille. Elle est la seule femme photographiée par « César » à avoir été formellement reconnue, et est, depuis, devenue une icône de la révolution dont le portrait a été brandi à plusieurs reprises lors des manifestations en faveur de la libération des prisonniers du régime. Originaire du rif de Deir ez-Zor, cette étudiante en génie civil de 25 ans est arrêtée à son domicile par les « moukhabarat » (services de renseignements) en janvier 2013, à cause de son activisme en faveur des déplacés de Homs. Elle sera notamment accusée de « terrorisme » pour avoir participé à l’enlèvement d’un officier. Dans une interview de 2015 au site d’information de l’opposition Deirezzor24, l’un des frères de Rihab raconte que l’Armée syrienne libre, avec qui la jeune femme collaborait au niveau de la distribution de soins et de médicaments, aurait demandé à sa sœur de contacter l’officier en question et de le faire venir dans une zone où se tiendra une embuscade. Après l’incarcération de la jeune femme et sa disparition des radars, ses proches seront extorqués de plus de 12 millions de livres syriennes en échange d’informations sur son sort, en vain. Un membre de l’armée en profitera même pour leur soutirer plus de 180 000 dollars pour libérer Rihab et l’emmener en Turquie. On leur dira ensuite qu’elle se trouve au Liban, et son frère, Hamza, passera plusieurs mois à sa recherche dans les camps de réfugiés, avant de comprendre l’escroquerie. Bien plus tard, la sécurité d’État annoncera aux Allaoui que Rihab est morte en détention suite à un accident vasculaire cérébral. Un classique.
Rihab Allaoui. Photo tirée de Twitter
Impunité totale
Alors que le procès d’Anwar Raslan, un ancien colonel accusé de crimes contre l’humanité et de torture, a débuté en Allemagne la semaine dernière, la photo de la jeune femme, prise par « César » et utilisée sciemment par la télévision gouvernementale syrienne, vient raviver les plaies. Bachar el-Assad lui-même a auparavant ridiculisé les dossiers « César », les qualifiant d’« allégations sans preuves », lors d’une interview accordée au magazine Foreign Affairs. Le régime a toujours soigné sa communication vis-à-vis de la scène extérieure, niant toutes les accusations à son encontre et se présentant comme un État moderne et civilisé, incapable de telles actions et devant protéger ses populations contre les groupes terroristes (il qualifie ainsi tous les groupes de l’opposition). Sur la scène interne, la communication a parfois d’autres objectifs comme celui de rappeler de quoi le régime est capable et jusqu’où il peut aller, en toute impunité, afin de dissuader les potentiels contestataires.
Cette scène pourrait participer de cette entreprise. Le régime syrien n’en est pas à sa première provocation du genre. D’autres images de victimes ont été utilisées dans des œuvres télévisuelles comme dans la série La tribune des morts, produite en 2013. Le père d’un jeune garçon prénommé Alaa Fawaz a raconté comment il est tombé nez à nez avec la photo de son fils en arrière-plan d’une des scènes de la série. L’enfant de 6 ans avait été tué par un éclat d’obus lancé par les forces progouvernementales à Sbeiné, dans la Ghouta orientale, quelques mois plus tôt, mais, dans la fiction, un des personnages explique que ce sont les « terroristes » qui l’ont tué.
Par ailleurs, plusieurs films et séries ont notamment tourné en ridicule les fameux Casques blancs, la défense civile (opposition), les accusant d’être à la solde de gouvernements étrangers souhaitant faire tomber le régime.
commentaires (7)
Quel paroxysme ? Il n' y a plus de limite dans ce pays quand un tyran a fait massacrer des centaines de milliers de gens innocents sous le couvert de les accuser de Daech et avec l' aide du Hezbollah . A ce massacre encore pire le départ de millions de personnes vers des des pays qui ne sont pas les leurs et qui huit ans après vivent encore dans des camps .Devant l' indifférence générale .
PROFIL BAS
17 h 13, le 30 avril 2020