La mort hier matin d’un manifestant de Tripoli, Fawaz Fouad Samman, 26 ans, visé dans la nuit de lundi à mardi par un tir à balles réelles lors d’échauffourées entre les contestataires et l’armée libanaise, suscite des interrogations légitimes. Interrogations qui viennent s’ajouter à la colère sourde des révolutionnaires après l’enterrement de celui qu’ils considèrent désormais comme un « martyr de la révolution ». Qui a tué ce jeune mécanicien, père d’une fillette de deux ans et qui n’était pas armé, assure sa sœur Fatima sur les réseaux sociaux? Y a-t-il aujourd’hui une volonté politique de réprimer dans le sang la contestation qui reprend du poil de la bête, face à la chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise ? Ce tir à balles réelles est-il délibéré ou doit-il être considéré comme une simple bavure ? L’armée libanaise, accusée par les manifestants d’avoir tiré, réussira-t-elle à conduire une enquête indépendante pour juger le responsable ?
Ouverture d’une enquête
Après un premier communiqué qui dénonçait les violences des manifestants à Tripoli et accusait des « éléments infiltrés » d’avoir fermé les routes, brisé les façades des banques, avant d’y mettre le feu, et blessé quelque 54 militaires par des jets de pierres notamment, la Direction de l’orientation de l’armée publiait hier en début d’après-midi un second communiqué exprimant « son profond regret pour la mort d’un martyr durant les manifestations de la veille ». Dans un message de condoléances à la famille du défunt, elle affirme « avoir ouvert une enquête sur l’incident ». Elle rappelle toutefois son « respect de la liberté d’expression, à condition que celle-ci ne prenne pas la forme d’actions de vandalisme contre les biens publics et privés ». Il faut dire que les contestataires avaient fustigé la troupe sur les réseaux sociaux, affirmant que « la mission dont elle était impartie de distribuer des aides à la population ne lui donnait pas le droit de tuer ».
Commentant l’incident, une source militaire responsable fait part de son scepticisme, quant à l’origine du tir. « Plusieurs zones d’ombre entachent l’affaire, d’autant que les soldats chargés d’empêcher les émeutes ne sont pas armés de balles réelles, mis à part un ou deux éléments, par mesures de précaution », affirme-t-elle. « Il n’y a aucune volonté de tirer ou de tuer, et certainement pas d’ordre dans ce sens au sein de l’institution militaire », insiste-t-elle, rappelant que la mission de la troupe en cas de manifestation est « d’empêcher la fermeture des routes et les atteintes aux institutions publiques et privées ». Même son de cloche de certaines parties proches du Sérail, qui assurent que « le droit de manifester est un droit sacré, garanti aussi par le Premier ministre Hassane Diab ». « Par contre, il n’est pas permis de bloquer des routes ou de saccager les biens publics et privés. »
La troupe confrontée à une population excédée
L’analyse d’une source militaire informée mais à la retraite est tout autre. « Sans être tacite, la volonté délibérée du pouvoir de réprimer la contestation populaire existe bel et bien », estime-t-elle. « Et face à une population excédée, qui voit son pouvoir d’achat baisser tous les jours avec la dépréciation de la livre, l’institution militaire porte aujourd’hui une lourde responsabilité, car les risques de bavures sont particulièrement élevés », observe-t-elle, tout en partant du principe qu’aucun dirigeant « ne peut prendre la responsabilité de donner l’ordre de tirer ». Chargée par le Conseil supérieur de la défense de soutenir les Forces de sécurité intérieure lorsque celles-ci sont débordées, « la troupe est confrontée à Tripoli à une situation particulièrement sensible ». Dans cette grande ville du Nord, « la population principalement sunnite est en mal de leadership », fait remarquer la source. Elle est « déçue par l’ancien Premier ministre Saad Hariri et voit comme une trahison l’alliance de l’actuel chef du gouvernement Hassane Diab avec le tandem chiite Hezbollah-Amal et le Courant patriotique libre, alliés de l’Iran contre l’Arabie saoudite ».
Le plus grave est qu’avec la pression économique, « la population de Tripoli, connue pour être la plus pauvre du Liban, a réellement faim ». Elle vit aussi comme une injustice le manque d’infrastructures et de projets de développement dans la ville. C’est ce qui a poussé les contestataires de Tripoli, principalement des jeunes, à recourir à « l’anarchie ». Car, assure la source, « les casseurs ne sont pas des éléments infiltrés, mais bien des protestataires qui n’ont d’autre moyen pour exprimer leur désapprobation que la fermeture de routes et le saccage d’établissements bancaires ». Et « face à ce peuple qui souffre, les autorités n’ont qu’une réponse : la répression ». À l’échelle régionale, la source reconnaît par ailleurs que tout ce qui se passe actuellement au Liban s’inscrit dans une volonté américaine d’arracher le pays à l’emprise iranienne. « L’administration Trump met la pression maximale, et le peuple libanais en subit les conséquences. »
""Y a-t-il aujourd’hui une volonté politique de réprimer dans le sang la contestation qui reprend du poil de la bête, face à la chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise ? Ce tir à balles réelles est-il délibéré ou doit-il être considéré comme une simple bavure ? L’armée libanaise, accusée par les manifestants d’avoir tiré, réussira-t-elle à conduire une enquête indépendante pour juger le responsable ?"" Trois questions se suivent et la réponse est : ce n’est pas une simple méprise. Pauvreté extrême, confinement et surtout le Ramadan, trois conditions de vie pour dénoncer la mort du jeune homme à balles réelles. Fawaz comme Alaa abou Fakr en novembre sont accusés de bloquer la route ! Je ne comprends pas, alors que l’armée a fraternisé avec les révolutionnaires, et les forces de l’ordre étaient sympa. Je ne comprends pas..................
11 h 12, le 29 avril 2020