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Lifestyle - La Mode

Les conseils de Christian Daccache pour éviter le « hors-sujet »

Après des études d’entrepreneuriat et un mastère en gestion de marques de luxe, Christian Daccache fait ses armes dans le département des relations publiques du groupe Chalhoub à Dubaï, dirige la communication de Céline pour LVMH au Moyen-Orient et ouvre à Beyrouth sa propre agence de conseil, « Bureau des créateurs ». Il nous confie sa vision de la consommation et de la communication à la lumière de la crise du Covid-19.

Christian Daccache, fondateur de l’agence de conseil Bureau des créateurs. Photo Charbel Saadé

Que font aujourd’hui les jeunes marques et les marques établies, au Liban et dans la région, pour une mode solidaire ?

L’industrie de la mode, frappée comme les autres de plein fouet par le tsunami Covid-19, commence maintenant à comprendre de quoi il s’agit et à envisager les premières prochaines étapes. Les différents acteurs de l’industrie, à commencer par de nombreuses marques, ont compris que l’unité, la solidarité et la responsabilité sont absolument incontournables pour s’attaquer aux ravages du Covid-19. Que ce soit en produisant des équipements pour les hôpitaux, en promouvant le rester-chez-soi ou en braquant les projecteurs sur les jeunes talents, frappés de plein fouet par la crise. Certains, comme Bureau des créateurs, apportent leur soutien par des séances de consultation gratuites, axées sur ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire, et comment planifier le court et moyen terme.

En ces temps où la communication est à la fois primordiale pour continuer à exister et dangereuse en raison d’une tendance au rejet de la consommation « superflue », qu’elle soit de luxe ou de masse, quelle est la nouvelle stratégie dans ce domaine ?

Je suis convaincu que les marques et les autres acteurs de la mode ne devraient pas arrêter de communiquer, mais que le fond et la forme de leur message devraient changer. L’heure n’est plus à la promotion du produit ni au harcèlement du consommateur avec pour seul but de vendre et de se singulariser. Il est impératif, aujourd’hui, que chacun mette son talent, les différents outils dont il dispose (plateformes, moyens financiers et connexions) pour aider les autres et constamment rappeler les nouvelles règles sociétales imposées par cette sinistre pandémie.

Il existe de nombreuses nouvelles manières de communiquer : avec de l’humour – un ingrédient indispensable aujourd’hui –, sur les réseaux sociaux, via des campagnes de promotion et de donation, en insistant sur le développement durable et le respect de l’environnement, etc.

La discrétion, l’humilité, la compassion et l’unité sont à mon sens les nouveaux mots-clés que l’industrie devrait privilégier.

Quelles sont les voies explorées pour l’« après » par les divers labels dont vous gérez la communication ?

Chaque marque, chaque agence sont en train, très activement, de se chercher, de chercher des réponses et des armes efficaces en ces temps inédits. Je ne pense pas qu’il y ait de réponses définitives, mais j’entrevois des chemins à suivre qui font sens. Le plus important est que chaque marque commence à numériser tout ce qu’elle a à offrir, qu’elle renforce et enrichisse, intelligemment, sa présence et ses contenus sur les réseaux sociaux et au cœur des médias en ligne : podcasts, plateformes de streaming, émissions télé, galeries d’art virtuelles, sessions en direct de leurs ateliers, défilés virtuels, etc. À Bureau des créateurs, nous redoublons d’efforts pour réussir à promouvoir nos marques avec un moindre coût pour elles et pour nous. Ainsi, nous avons été les premiers dans la région à lancer un showroom virtuel grâce auquel les acheteurs peuvent placer leurs commandes. Il faut absolument innover. Et être pionniers…

Pensez-vous que la tendance à envisager la mode dans un environnement multidisciplinaire (musique, déco, arts) va s’accentuer ?

Oui. Elle devrait le faire, et elle le fera. Notre devoir, nous communicants et PR, est de trouver d’autres façons d’atteindre et de convaincre les consommateurs. Une des solutions-clés est que les différentes disciplines fusionnent dans ce sens : pourquoi ne pas diffuser un défilé de mode dans une galerie d’art, créer des costumes pour la scène ou même des playlists de défilés sur les plateformes musicales ? ... Je pense que la mode va devoir se réinventer dans les années à venir, main dans la main avec d’autres disciplines, pour renforcer son audience d’une manière plus organique et plus concrète. Ce n’est évidemment pas un nouveau concept, loin de là, mais je pense que cela doit se développer et s’inscrire dans la durée.

Quelles sont les applications les plus efficaces pour communiquer sur la mode aujourd’hui ?

Par expérience, je dirais Instagram surtout. Mais je continue très fermement à croire, pour la crédibilité et l’image, dans les journaux et les magazines de qualité. J’ai toujours conseillé un mélange des deux aux jeunes créateurs que je représente. Un subtil dosage entre légitimité et surexposition s’ils veulent grandir sainement et durablement.

Les influenceuses ont-elles encore de l’influence ?

Aujourd’hui encore, et notamment dans notre région, oui. Au Liban, pour une certaine frange de notre société, cette influence a diminué, voire disparu. Toutefois, pour les marques et les designers que Bureau des créateurs représente, les influenceuses restent une des voies les plus rapides et les plus efficaces si l’on veut qu’un talent soit connu par le plus grand nombre et si l’on veut booster les ventes.

Mais tout cela pourrait être impacté par la pandémie : les influenceuses devraient trouver d’autres manières de préserver leurs abonnés puisqu’elles ne peuvent plus se contenter aujourd’hui de mode et de conseils beauté. Elles aussi doivent innover si elles ne veulent pas se retrouver hors sujet et si elles veulent garder la confiance de leurs fans.

En vous basant sur les données et comportements actuels, comment imaginez-vous les tendances de la consommation à la sortie de la crise sanitaire ?

La consommation sera probablement l’une des principales victimes du Covid-19. Le comportement des consommateurs, après des crises tels la pandémie du SARS, les attentats du 11 septembre 2001 ou la crise financière de 2008, ne s’est normalisé qu’au bout de six mois, voire deux ans. Deux scénarios se présentent, une fois cette pandémie contenue : soit les gens seront affamés de normalité et d’un retour à l’avant-Covid-19, ce qui les pousserait à consommer frénétiquement, soit ils auront compris que tout a changé et que c’est une nouvelle ère. Ils ne voudront alors consommer que ce dont ils ont réellement besoin et investir que dans des classiques intemporels. Cela dit, je ne pense pas que les populations dans divers pays et villes agiront toutes d’une manière uniforme. Dans tous les cas, je crois que les marques devront redoubler de prudence : celles qui le peuvent devraient stocker, mais les jeunes labels, pour le moment, devraient privilégier l’économie et le contrôle de leurs dépenses.

Quels sont les risques pour les jeunes créateurs aujourd’hui ?

J’espère sincèrement que ceux qui faisaient face à de nombreux problèmes (grosses dépenses, mauvaise gestion...) avant la pandémie ne se trouveront pas obligés de mettre la clé sous la porte. En revanche, les marques qui contrôlaient leurs dépenses et géraient intelligemment leurs budgets devraient rester solides durant toute la crise, surtout si elles ont réagi rapidement. Il n’empêche qu’aucun acteur de la mode, quel que soit son statut, ne sortira indemne de cette crise.

Quels sont leurs atouts ?

Le fait qu’ils aient relativement moins de dépenses, leur degré de durabilité naturelle en tant que slow fashion et leur liberté dans le contrôle de leur marque.

Comment assurer leur avenir et le consolider ?

D’abord, et au moins pendant la crise, il faudrait qu’ils coupent dans leurs dépenses et évitent tout investissement inutile, tant au niveau des coûts de production que dans les quantités ou le nombre de salariés. Il faudrait aussi qu’ils ne produisent que ce qui est nécessaire, idéalement seulement quand la totalité de la commande est prépayée. Naturellement, je recommande qu’ils s’activent et innovent sur les plateformes numériques dans le but, toujours, de booster leur audience grâce à ces nouvelles façons de communiquer et de faire du PR que j’évoquais plus haut.


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