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Culture - Musique

La mélodie du bonheur et la microparticule virale qui tue...

Dans un monde chamboulé par la pandémie de coronavirus, les concerts improvisés sur un balcon, du haut d’une grue ou dans l’intimité d’un chez-soi, pour soutenir et applaudir le corps soignant, mais aussi alléger les esprits, se multiplient de plus en plus. Petite tournée pour parler musique, amie, messagère et consolatrice des hommes. Ne dit-on pas qu’un peuple qui chante est un peuple debout ?

À l’initiative de l’ONG Ahla Fawda, un concert pour le corps soignant et les malades du Covid-19. Capture d’écran sur YouTube

Qui n’a pas été ému en voyant, sur les réseaux sociaux et à la télévision, le concert donné par l’ONG libanaise Ahla Fawda, avec la chanteuse Joy Fayad et le violoniste Olivier Maalouf, perchés dans la nacelle d’une grue, devant l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri, pour dire aux malades et aux soignants « vous n’êtes pas seuls » ?

Qui n’a pas versé une larme en voyant les images et en écoutant le concert pour Pâques « Musique pour l’espoir », d’Andrea Bocelli interprétant l’Ave Maria accompagné d’un organiste devant les sièges vides de la cathédrale de Milan ?

Qui ne s’est pas senti bouleversé par le jeu du grand violoniste français Renaud Capuçon dans un concert pascal à la cathédrale Notre-Dame de Paris en pleine restauration, un an après l’incendie qui l’a ravagée ? Ce même Renaud Capuçon qui, après avoir donné les belles sonates de Beethoven au Festival al-Bustan (heureux ceux qui ont pu applaudir à Beit-Méry ce menu si rarement donné, tout comme celui des sonates pour violoncelle du génie de Bonn interprétées par son frère Gautier Capuçon), s’était vu à Lausanne dans la situation d’un concert sans spectateurs. Image consternante et hallucinante d’une salle de 1 300 places vide à cause de la pandémie. Mais pour ne pas perdre une miette, la prestation est diffusée à la télé et à la radio.

Qui n’a pas eu la chair de poule ou applaudi tous ces artistes qui partagent en ligne chansons, ballades, arias, symphonies ou refrains, en direct de leur chez-soi ?

Si des ténors, des divas et différents instrumentistes sont montés au créneau – ou plutôt aux balcons– pour chanter dans des performances divergentes et contrastées, faisant l’éloge de la vie, de la solidarité humaine, défiant la solitude et la peur, c’est que ce langage universel et communicatif est à portée de main (et de voix !).

On connaît depuis la nuit des temps le pouvoir bénéfique de la musique. Mais dans les circonstances actuelles, elle devient en plus un appel au rêve, à la liberté, aux aspirations secrètes, à l’imaginaire, à l’attente, à l’optimisme, au bien-être même éphémère, aux lendemains meilleurs, aux nuits moins perturbées et aux aubes plus prometteuses…

Et dans cette mondialisation, ce grand village qu’est devenue la terre avec les technologies sophistiquées qui raccourcissent les espaces et abattent les frontières, la musique, par-delà ses multiples identités culturelles, fusionne avec tous les environnements, arrondit les angles et mixe joyeusement tous les genres et les styles… La musique, grande et petite, saine contagion, renforce, calme et unit !

« Bella ciao » et « Macarena » au balcon

Pas étonnant que sur les terrasses de la Bavière, dans la bourgade de Bamberg, la population ait entonné l’hymne Bella ciao pour sa voisine l’Italie plongée dans la tourmente et épicentre d’une pandémie qui fait des ravages. Comme pour conjurer et chasser ce ténébreux et tenace coronavirus...

Tandis que les transalpins, parfaitement conscients du drame qui les a subitement pris à la gorge et aux poumons – mais toujours volubiles, exubérants, fêtards –, lançaient les premiers, des fenêtres ou des balcons de leurs immeubles, le refus, en chansons lyriques ou de variété, de baisser les bras ou la voix ! Au programme, pas de requiem populaire grandiloquent plongé dans le noir comme pour une messe solennelle funéraire, mais des accents festifs liant en toute simplicité le bel canto de Verdi ou les cadences du crooner des années 60, Adriano Celentano…

De Florence à Milan, en passant par d’autres villes de la Botte, les musiques du monde se sont élevées en un bouquet odoriférant mais certainement farfelu. Si le ténor Maurizio Marchini a constellé la nuit avec une aria portée à l’éloge de la victoire, Nessun dorma de Puccini, tirée de Turandot (cette arrogante princesse pékinoise de glace), les feux d’un samedi soir endiablé à partir des balustrades illuminées se sont par ailleurs fiévreusement croisés dans un quartier de Palerme transformé en pétaradante discothèque...

La Macarena, tube incarnant plaisir, frivolité et insouciante infidélité, échappé aux olés du pays de la tauromachie, s’est donnée à cœur joie avec trémoussements chez les Turinois. Touchant la corde patriotique, l’hymne national Fratelli d’Italia, à Rome comme à Salerne, sur plus d’un registre, a été ardemment entonné…

Et la chaîne a déferlé, les maillons ont atteint aussi le Liban où les balcons ont dansé sur des musiques diverses dont l’incontournable tube égyptien de Hassan Chakouche, Mahragan bent el-Geran (Le festival de la voisine).

Salles vides pour performances prestigieuses

Derrière les fenêtres ou les balustrades des balcons, l’Hexagone suit la tendance et partage, par-delà de dynamiques Marseillaise, sérénades et aubades, où se toucher est strictement interdit. On met de côté les sérénades composées par Haendel, Vivaldi, Mozart, Schubert ou Sibelius et on oublie les amants de Vérone. Car les chants improvisés qui surgissent aujourd’hui en temps de pandémie sont nés d’un astreignant sentiment d’enfermement et d’internement. Ils s’érigent en un véritable divertimento populaire : ils sont l’expression spontanée d’un exutoire, d’un certain soulagement, d’un dérivatif, d’un besoin d’expression libératoire…

Une harpe devant le cadre d’une fenêtre, une fugue de Bach au violon ou au violoncelle. Sur les réseaux sociaux et diverses plates-formes grouillent et fleurissent déjà de très nombreuses ritournelles et fredaines de tous acabits, nationalités et couleurs… La contamination des tubes, surtout dans le domaine des variétés, sans grande profondeur ou sérieuse qualité musicale, vont des laïus « Comment se laver les mains » à l’injonction « Restez à la maison »… Entre plante de terrasse et parapet de balcon, un air de saxo dans la nuit, quelques notes d’une complainte grattées par un guitariste juché sur les ardoises d’un toit. Le monde écoute, non comme dans une salle de concert mais en pensant à l’incertitude des moments à venir où, brusque perte de repères, tout a basculé…Aujourd’hui avec le chaos et le dérèglement systématique dus au Covid-19, la musique, authentique calmant social, se saisit de plus d’un étendard pour soulager stress, douleur et surtout angoisse. On s’y réfugie, en termes de conjuration, un peu comme dans un lieu de culte, de prière, d’exhortation.Mais quelles seraient, quand tout sera terminé, c’est-à-dire en période post-Covid-19, les sillages et les empreintes en musique ? Comment traduire en sons cette immonde recette d’un monde qui a dormi sur un univers et s’est réveillé sur un autre, cauchemardesque, perclus, déglingué ? Qui serait le chanteur qui dirait Adieu l’Émile comme Brel, Nantes comme Barbara, la Mamma ou Emmenez-moi comme Aznavour ? Qui alliera mélodie et vocables comme Joan Baez pour évoquer cette Troisième Guerre mondiale inédite, sans bombardiers ni canons ? Y a-t-il quelqu’un pour composer des musiques semblables à La Jeune fille et la mort de Schubert, L’île des morts de Rachmaninov ou la bouleversante Symphonie n.14 de Chostakovitch ? Nul ne saurait le dire en cet instant. Mais la musique, qui ne vient jamais de nulle part, c’est un cri du cœur, un reflet de l’indicible, un souffle de consolation, un lien social.

Aujourd’hui, plus que jamais, force est de dire avec Nietzsche que « sans musique la vie serait une erreur ».


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