Quand bien même nous nous battrions, l’intuition de notre infirmité face à un organisme invisible nous pousse néanmoins à considérer cette épuisante question du pourquoi ? D’aucuns répondront sans le moindre doute : « C’est la nature qui s’élève contre nous. » Or l’observation des épidémies dans l’Antiquité nous montre que ce réflexe-là n’est pas nouveau...
« Nulle part on se rappelait pareil fléau et des victimes si nombreuses (...). Les médecins étaient désarmés devant un mal qu’ils ne connaissaient point et la mort les frappait d’autant plus qu’ils soignaient plus de malades. Toute science humaine était inefficace ; en vain on multipliait les supplications dans les temples, en vain on avait recours à des oracles ou à de semblables pratiques ; tout était inutile ; finalement on y renonça, vaincus par le fléau. » C’est avec ces mots que l’historien et politicien grec Thucydide évoque la tristement célèbre peste d’Athènes, considérée comme la première épidémie méticuleusement documentée de l’histoire, dans son ouvrage La guerre du Péloponnèse, paru au début du IVe siècle avant J.-C.
L’épidémie, qui décima le tiers de la population de la cité (plusieurs dizaines de milliers de personnes) ainsi que l’homme d’État le plus important de son siècle, Périclès, survient au début d’une longue guerre, la guerre du Péloponnèse, qui opposa deux puissances hégémoniques du monde hellénistique : Athènes et Sparte. Cette dernière assiège Athènes en -431 puis en -430. Périclès, abandonnant les terres au pillage, décide de ne pas affronter l’ennemi et opte pour un repli patient derrière l’enceinte fortifiée des murs de la cité. Mal lui en prit : une terrible épidémie, qui n’était vraisemblablement pas la peste mais plutôt le typhus (à l’époque le mot peste s’applique de manière générique à tout type de maladie épidémique), s’abattit sur Athènes en -430 et -426.
Un prix à payer
Fait notable, voire révolutionnaire pour l’époque, Thucydide insiste dans sa description du fléau sur l’implication de la médecine et souligne l’inanité du religieux. Or durant l’Antiquité, cette attitude est loin de prévaloir : beaucoup considèrent alors que le mal qui se répand sur la cité est un châtiment envoyé par les dieux. Dans le cas de la peste d’Athènes, les habitants pensent qu’ils sont punis pour n’avoir pas combattu les Spartiates : dans leur esprit, c’est un signe de lâcheté indigne de l’idéal du code de bravoure héroïque et cela déplaît aux dieux vengeurs. Cette colère du divin qui se manifeste par la maladie, on la retrouve quasiment partout dans les textes et les tablettes qui nous sont parvenus, depuis les premières civilisations mésopotamiennes de l’âge du bronze, en passant par l’Égypte antique et jusqu’au Moyen-Âge. On peut mentionner par exemple l’épisode biblique de la peste des Philistins (ou peste d’Asdod) qui relate la maladie envoyée par Yahvé pour punir ces derniers de s’être emparés de l’Arche d’Alliance des Hébreux, ou encore la peste Antonine en 165, qui aurait été causée par Apollon à la suite du saccage d’un de ses temples par les troupes romaines à Séleucie en Syrie, peste qui emportera au passage l’empereur-philosophe Marc-Aurèle.
Les exemples sont nombreux, expliquant chaque fois la cause des épidémies soit par des guerres fratricides entre rois (comme dans la civilisation des Hittites au XIVe siècle avant notre ère), par des pillages, des esclavages (c’est le cas des Égyptiens sur les Hébreux), ou encore des sacrilèges, déclenchant le rappel immédiat par la sanction de la supériorité des démiurges sur l’Homme. À la fin de l’Antiquité, qui voit l’avènement de la chrétienté au sein de l’Empire romain, un passage de l’Apocalypse selon Jean, qui prophétise que le règne de l’Antéchrist verra un fléau emporter le tiers de la population, est relu avec intérêt : dès lors, c’est une forme d’impureté liée à l’existence du péché originel qui expliquera les épidémies. Mais au fond, l’idée d’une justice naturelle et vengeresse demeure.
Tant et si bien que nous avons affaire là à un réflexe de pensée devenu lieu commun et qu’on retrouve encore aujourd’hui en de nombreux endroits de nos sociétés modernes – à la différence que le courroux divin s’est métamorphosé en celui de la “Nature”. Qui n’a pas entendu dans son entourage un proche s’écriant que le Covid-19 est le résultat de notre mode de vie consumériste et irresponsable sur le plan écologique ? Avec la conclusion très simple que « c’est la nature qui reprend ses droits », et que c’est là une juste punition à la hauteur de notre orgueil, vice primordial qui nous détourne de la Nature, ou de la « terre-mère ». Encore une fois, le fléau est perçu comme un prix à payer, une faute à expier envers une puissance supérieure insultée par l’hybris des hommes…
Le destin des hommes
Or une des principales injures que l’homme peut jeter à la face des dieux, c’est bien de tenter de se dérober au destin que ces derniers ont décidé pour lui. Sophocle, Euripide, Eschyle, tous les dramaturges de l’époque classique grecque ont traité de cette limitation à ne pas franchir entre les dieux et l’homme, sous peine des pires sentences. Et quel mythe sinon celui de la tragédie d’Œdipe, repris par tous, en passant par Racine et Freud, et jusqu’à Jean Anouilh, pourrait mieux illustrer cette idée que l’outrecuidance humaine a un prix ?
D’après le mythe, Œdipe est devenu roi de Thèbes en résolvant l’énigme du Sphinx : de fait, il obtient aussi le droit d’épouser la reine Jocaste, dont le mari Laïos a été assassiné quelques années auparavant. Les années passent jusqu’au jour où un fléau s’abat sur la cité fondée par le Phénicien Cadmos, frère d’Europe, princesse de Tyr enlevée par Zeus métamorphosé en taureau. L’épidémie pousse Œdipe à consulter un oracle. Ce dernier lui annonce que l’épidémie ne cessera pas tant que l’assassin de Laïos ne sera pas découvert. En faisant son enquête, Œdipe découvre que c’est lui-même qui a tué Laïos, sans savoir qu’il s’agissait du roi de Thèbes ni qu’il s’agissait de son père. Il déduit au passage que la veuve du défunt roi, avec qui il a eu quatre enfants, n’est autre que sa propre mère. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que ce drame avait été prophétisé à deux reprises dans le passé : Laïos et Œdipe, leur vie durant, avaient tenté, chacun de leur côté, d’échapper aux oracles. En tentant d’inverser l’ordre des choses, ils déclenchèrent la fureur des dieux, qui envoyèrent la maladie puis la guerre pour punir la famille des Labdacides et sa descendance.
L’exemple d’Œdipe nous rappelle une nouvelle fois, de manière symbolique, à quel point l’homme se sent menacé de représailles de la part des forces créatrices : son intelligence, sa curiosité, sa soif de conquête, son outillage, son mode de vie exclusivement tourné vers ses propres intérêts, tout ce qui l’éloigne toujours plus du règne naturel des éléments le mettent aussi dans une sorte de perpétuelle inquiétude concernant un châtiment à venir et qu’il perçoit souvent comme bien mérité. Fondée ou pas, cette intuition, dont la science d’aujourd’hui n’a d’ailleurs que faire, est pourtant une véritable réalité pour encore beaucoup, même au XXIe siècle...
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17 h 10, le 16 avril 2020