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Moyen-Orient - Interview express

"Le confinement est plutôt respecté dans le monde arabe"

Sari Hanafi, professeur de sociologie, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.


Un Saoudien marchant devant un portrait du roi Salmane, dans les rues de Riyad, après que des mesures de confinement ont été décidées. Ahmed Yosri/REUTERS

Après plusieurs semaines de différentes mesures de confinement imposées à travers le monde arabe pour enrayer la propagation du coronavirus, Sari Hanafi, professeur de sociologie et directeur du département de sociologie, anthropologie et études des médias à l'Université américaine de Beyrouth, fait le point pour L’Orient-Le Jour sur les effets de cette mesure sur les sociétés.

Le confinement est-il globalement respecté dans les pays du monde arabe ?
Je pense que le confinement est plutôt respecté, avec des différences selon les pays et les régions. Dans un même pays, on peut toutefois noter différents comportements. Dans les villes périphériques, le confinement est moins respecté que dans les capitales où l’État centralisateur arabe est très fort. On a vu qu’en Jordanie, le couvre-feu a été vraiment respecté, l’État était très ferme, et la propagation de la maladie a été maîtrisée. Il y a même eu des cas d’emprisonnement. En Égypte, le confinement n’est pas très sérieux, mais le pays n’a pas été très touché par le virus. Au Liban, la situation est plutôt bonne également, même si je dois souligner qu’il y a quelques pratiques culturelles et religieuses qui ont fait que certaines personnes ont refusé la distanciation sociale. En tant que sociologue, je suis assez surpris par le respect de ce confinement par les populations arabes. Il y a une prise de conscience du danger du virus alors que les populations sont habituellement très perméables aux théories du complot et aux 'fake news'.

Est-ce que dans le monde arabe, les États, à l'instar de ce qu'on peut voir ailleurs, viennent en aide aux populations les plus défavorisées en première ligne dans cette épreuve ?
Commençons par le Liban. De manière générale, l’État libanais est un État failli qui compte sur les associations caritatives et religieuses pour aider les gens dans le besoin. On peut le voir à Saïda, dans le Sud, par exemple, où les associations religieuses sont aux avant-postes dans la distribution de produits alimentaires aux familles et à tous ceux qui ont perdu leur emploi. Au niveau mondial, il faut rappeler que 62% de la population n’a pas assez d’argent pour finir la semaine. La plupart des gens ne peuvent se permettre de rester confinés à la maison trop longtemps. Il y a des différences entre les États au niveau des moyens et de la prise en charge sociale. On a pu constater que la plupart des pays du Golfe ont donné des compléments de salaires à leurs citoyens, alors que certains États n’ont pas de quoi aider les plus pauvres. Cette crise du coronavirus est surtout une crise du système capitaliste, spéculateur, alourdi par une oligarchie financière. Ce système est en train d'être secoué, et c’est un moment de vérité. Cela va laisser transparaître tous les dysfonctionnements de l’État capitaliste au Liban comme ailleurs.

Est-ce que cette période risque d'aggraver les crises dans la région, en affaiblissant davantage les États, (notamment à cause de la crise économique) et le pacte social entre les gouvernants et les gouvernés ?
Le coronavirus est une maladie non seulement de la mondialisation mais aussi de l'anthropocène. Le credo du consumérisme humain épuise les ressources que notre terre ne peut pas renouveler, et ce virus n'est qu'un épisode de ce consumérisme. Il y a une plaisanterie connue au Liban sur une personne lambda de la classe moyenne qui « achète un cadeau qu'elle n'aime pas, avec de l'argent qu'elle n'a pas, pour le donner à une autre qui la déteste ». Ce consumérisme vorace est induit par ce que le sociologue français Rigas Arvanitis a appelé l'accès mythologique au bonheur, qui sert finalement d'accélérateur aux problèmes de santé, aux épidémies, aux décès et aux catastrophes. L'examen de ces relations multi-échelles ne peut se faire sans reconnecter l'individu, la société et la nature. Par exemple, la lutte contre le changement climatique et le système économique politique ne peut se faire sans sensibiliser le public à la relation des gens à la terre et à l'humanité.
Le capitalisme néolibéral et spéculatif ne concerne pas seulement l'économie, c'est aussi un système de pouvoir et un système de culture, et ces interrelations signifient que même les systèmes démocratiques ne parviennent pas toujours à empêcher la collusion entre les élites politiques et économiques, ou la domination des riches lobbies.


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