Un jour, il faudra comprendre comment et pourquoi le Liban est arrivé à ce stade, mais pour le moment, il faut sortir de la crise.
Outrepassons vite les mots techniques, les haircut, les bail-in et les autres termes avancés par les précieux ridicules à un public unsophisticated et qui n’est donc pas professionnel en la matière.
Outrepassons plus vite encore ces mesures anticonstitutionnelles de capital control et autres sur lesquelles se penchent des gens sans doute très qualifiés, très diplômés, mais très ignorants de la Constitution, des réalités, et surtout, de l’histoire et de la raison d’être du Liban,
Outrepassons, momentanément du moins, ces appels légitimes pour récupérer les fonds volés ou transférés à l’étranger et qui n’ont pas un effet immédiat sur les caisses du Trésor,
Outrepassons tout cela et aboutissons – crûment – à l’essentiel : la crise actuelle est un manque de confiance dans l’État libanais, et il faut la résoudre avant qu’elle ne devienne un manque de confiance dans le Liban. Or, les outils pour résoudre cette crise existent. Mieux encore, ils sont prévus par les accords de Taëf ou par la Constitution.
Un : puisque le manque de confiance est justement envers le pouvoir central, une réaction naturelle consisterait avant tout à réduire les pouvoirs de l’autorité centrale. Cette procédure est prévue par Taëf et elle est appliquée par la plupart des pays : c’est la décentralisation.
Deux : puisque l’État libanais a un besoin cruel d’argent et que rares sont ceux prêts à lui en accorder, il faut recourir au secteur privé international, c’est-à-dire à la privatisation.
Donc, décentralisation et privatisation.
Tout d’abord, la décentralisation. Non seulement est-elle prévue par Taëf, mais Taëf appelle à une décentralisation élargie, et l’adjectif « élargie » n’est pas qu’un adjectif. Effectivement, la décentralisation élargie est une notion juridique à part qui consiste à déléguer de larges pouvoirs aux régions et aux localités (mohafazats, cazas ou municipalités) et à laisser au pouvoir central un résidu de pouvoir (la défense, les affaires étrangères...) qui font de lui un État véritablement fort puisqu’il sera alors le recours de tous au lieu d’être au centre des disputes. La mise en place de la décentralisation élargie – encore une fois, prévue par Taëf – permettrait au citoyen d’avoir confiance en ses institutions et lui facilitera la vie quotidienne. Quant à l’État, il n’aura plus la main – ou plutôt, la mainmise – sur toutes les rentrées, ce qui réduira automatiquement la corruption sur le plan macro.
Ensuite, la privatisation. Elle découle naturellement des notions d’économie libérale et d’initiative privée vénérées par la Constitution et qui sont à vrai dire des principes supraconstitutionnels tellement ils appartiennent à l’histoire et à l’essor même du Liban. Or voilà, l’État libanais a la chance d’être encore propriétaire d’un ensemble (sinon de la totalité) de secteurs qui devraient naturellement être gérés ou attribués, en partie du moins, au secteur privé, en contrepartie, bien entendu, d’un pouvoir de contrôle dont disposerait l’État pour s’assurer de la performance et de la qualité conformément au contrat conclu.
Malgré cela, les agissements de l’État libanais sont étonnants car, au lieu d’organiser rapidement la mise en vente de quelques secteurs (et pas de tous), ce qui, d’un côté, assurerait des rentrées et, de l’autre, améliorerait le service, ce qui contribuera directement à régénérer une confiance nécessaire et mènera très vite à des formes de partenariats public-privé, l’État semble attaché à ces secteurs qui, au XXIe siècle, ne sont plus de son ressort. L’État semble en outre être tenté de « nationaliser » les dépôts bancaires de ses citoyens. En somme, et vulgairement, l’État libanais agit aujourd’hui comme un débiteur qui décide de ne pas payer sa dette pour le moment, de conserver toutes ses propriétés et d’honorer un jour sa dette avec l’argent des autres.
Donc, décentralisation élargie et privatisation sélective, deux mesures constitutionnelles, conformes à l’histoire du Liban et propices à son développement. À côté, il faudra bien sûr adopter des mesures ou des lois claires qui rétablissent l’initiative privée au cœur de notre société car, on ne cessera jamais de le répéter, le salut vient de l’intérieur et tant mieux s’il est conforté par une aide internationale, mais l’aide internationale à elle seule ne suffira jamais.
Espérons que l’État libanais saura agir efficacement, c’est-à-dire adopter des mesures et des lois conformes à la Constitution et aux accords de Taëf,
Espérons que l’État libanais saura éviter l’agitation – cette fausse apparence de l’action – qui consiste à copier aveuglément d’autres pays. Et, par pitié, évitez-nous des comparaisons avec des pays européens comme la Grèce et Chypre, ou, mieux encore, avec le presque 51e État américain, le Porto Rico. Évitez-nous aussi l’adoption de mesures anticonstitutionnelles, en violation fragrante des réalités et de l’histoire du Liban.
Espérons que l’État libanais saura agir avant d’être obligé à agir sous la pression des événements ou des instances internationales, lesquelles, entre autres, appelleront à une privatisation plus généralisée.
Espérons que l’État libanais saura résoudre cette crise financière en bâtissant véritablement une économie et qu’il saura nous éviter une solution purement financière et superficielle qui débordera sur l’économie puis le social, enfin le sécuritaire,
Espérons que l’État libanais pourra encore compter sur l’aide de ses amis, compte tenu des divers bouleversements causés ou qui seront causés par la propagation du coronavirus.
Espérons enfin que l’État libanais n’oubliera pas que la raison d’être du Liban est la liberté individuelle, et qu’un Liban sans la liberté de disposer et de jouir de ses avoirs et de ses biens serait sans raison d’être et conduirait à de graves et profonds changements nationaux causés par la transformation du manque de confiance en l’État libanais en un manque de confiance dans le Liban.
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.
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