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Culture - Tour d’horizon

Sans porter de gants, les épidémies et leur propagation en littérature

Thème inspirant, les pandémies avec leur cortège d’angoisse, de jours noirs, d’isolation et de confinement sanitaire ? Il faut le croire ! Car entre témoignage, mise en garde, mode d’emploi, crainte de propagation et réflexion, la littérature fait florès de cette triste manne qui décime sans distinction des populations brusquement dans la tourmente, le désordre ou un régime de claustration martial mais de toute évidence salvateur...

La littérature universelle, reflet et miroir du quotidien et de la société, s’est emparée des fléaux.

Aujourd’hui, un livre qui cartonne en librairie, pourtant déjà un classique depuis 1947 pour sa beauté de la langue française et sa force d’évocation de la ville d’Oran assiégée par la maladie : La Peste d’Albert Camus. Les lecteurs du monde entier redécouvrent ce roman devenu culte. Et comparent peut-être les situations de panique, d’attente et de sauvetage. Comme une leçon d’histoire…

Les épidémies dévastatrices dans l’histoire du monde, et qui ont fait trembler l’humanité, détruit des systèmes politiques, fauché des millions de morts convoyés par tombereaux aux fosses communes ou dans des bûchers crématoires, foudroyé des économies, renversé l’équilibre des guerres, tordu le cou aux puissances arrogantes, constituent une longue liste qui n’a pas fini de terroriser la planète. Le mot pandémie charrie des images qui déstabilisent des millions de personnes, malgré la poussée de la médecine. En remontant le temps, depuis les âges les plus reculés, depuis les premières victoires de l’homme pour s’assurer un lendemain plus confortable et sécurisé, ces fléaux ont été à la fois des points redoutés et marquants dans l’histoire de l’humanité. Et source d’inspiration pour penseurs et écrivains.


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La ronde des maladies

Du choléra au Covid-19, en passant par la peste noire provoquée par la piqûre d’une puce infectée ainsi que ses variantes comme la peste antonine, celle de Londres, de Justinien, la grippe espagnole ou asiatique, la tuberculose, la variole, le sida/VIH (virus de l’immunodéficience humaine), la syphilis, le SRAS, le MERS, la grippe aviaire, la liste est loin d’être exhaustive pour cerner des maux qui guettent et menacent constamment l’homme. Et auxquels à chaque fois, le temps d’un long ou court répit, la vie, littéralement entre parenthèses, semble arrêtée ou suspendue. Parfaitement sous cloche, comme en ce moment avec la pandémie du coronavirus. Alors il faut trouver un comportement, une adaptation, une approche, un modus vivendi, un remède.

La littérature universelle, reflet et miroir du quotidien et de la société, s’est emparée à chaque fois de ces naufrages, de ces effondrements. Parfois même elle a devancé ces phénomènes déroutants par une imagination débordante. Mais la réalité a de ces surprises et rattrape par le collet même l’inimaginable. Comme à travers le coup d’une maléfique baguette magique aux effets ahurissants.

Les écrivains, les poètes, les artistes sont toujours aux aguets pour surprendre leur public. Et parfois se surprendre ! Car ils ajoutent une corde de plus à leur inspiration et talent. Mais ces épidémies, aussi sombres et effroyables qu’elles soient, ont souvent généré des chefs-d’œuvre littéraires où la société est interpellée et remise en cause dans ses structures, sa vision, sa rapacité au gain, sa négligence vis-à-vis de l’environnement et son irrespect de l’écologie, sans parler du désastre des guerres dont les séquelles sanitaires de ces chairs broyées, déchiquetées sont une interminable chaîne de sinistres doléances…

Et à chaque fois, après ces catastrophes, ces laxismes, ces laisser-aller, ces violences extrêmes et ces égarements, des changements sociétaux se sont forcément opérés. Mais c’est une sonnette d’alarme qu’on a souvent tendance à oublier, malgré la découverte de la pénicilline et d’autres médicaments providentiels et miraculeux nés du besoin et de l’urgence de guérir, de sauver des vies.

Sur un plan à la fois fictionnel, réaliste, testimonial et analytique, la littérature, avec ses mots, la cadence de ses phrases, ses images entre poésie diaphane ou crudité du verbe, est montée au créneau.


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Les écrivains et les épidémies

On commence par une auteure d’origine libanaise, Andrée Chedid. Avec Le sixième jour, son roman porté à l’écran par Youssef Chahine, avec une Dalida méconnaissable sous ses voiles noires, il s’agit de la lutte contre le choléra en Égypte en 1948 afin de sauver un petit garçon. Pour rester dans la notion des jours (notion d’un temps destructeur et fatal, depuis la cosmogonie en 7 jours), Hervé Bazin, le virulent auteur de Vipère au poing et son personnage de Folcoche, la marâtre toxique, plante le décor à Bombay pour une « sur-grippe sur-tueuse ». Gabriel García Márquez, qui a toujours papillonné autour des thèmes sombres, même dans Cent ans de solitude, revient sur l’amour, l’intimité affective et sexuelle en temps de choléra dans son L’Amour aux temps du choléra. Jean Giono, traquant lui aussi le choléra, a parlé de cette « saloperie humaine » à travers Le Hussard sur le toit, porté à l’écran par Jean-Paul Rappeneau avec une admirable Juliette Binoche et le bel Olivier Martinez.

Sans porter de gants, Marcel Pagnol, aux livres pourtant doux et charmants, aux souvenirs d’enfance d’une souriante tendresse, a carrément évoqué Les pestiférés, une nouvelle (publiée également sous forme de bande dessinée) pour conter les affres de l’urgence de survivre à Marseille en 1720.

Sur un registre différent, la poliomyélite touchant les enfants dans une inexplicable épidémie, Philipp Roth, l’écrivain américain du New Jersey, la cerne en termes d’agitateur de conscience dans son roman Némésis pour dénoncer arrogance humaine et désarroi devant un mal invisible.

Une multitude d’autres auteurs ont appréhendé ces thèmes riches d’enseignements. Sophocle, avec la peste rongeant Thèbes jusqu’au drame d’Œdipe, comme de nombreux hommes de lettres, a jeté un regard à la fois apeuré et courageux sur ces épidémies de confinement, d’isolation, de rejet.

Si Montaigne, dans sa tour d’ivoire, louait la santé du corps et de l’esprit, Érasme faisait l’éloge de la folie (comment qualifier ces saines hystéries collectives devant un monde grippé?), Nietzsche déclarait « un peu de santé par-ci, par-là, c’est pour le malade le meilleur remède », d’autres romanciers ou penseurs n’y sont pas allés de main morte pour décrypter frontalement ces situations hors normes.

Si la sagesse et le sens de la formules de Jean de La Fontaine sont grands dans la fable Les Animaux malades de la peste, voilà un cuisant constat, en cas de débâcle et d’anarchie, la justice (ou son contraire) est contrôlée par les puissants ! Et ces puissants n’ont pas toujours l’adroite compétence pour décider…

Pour en revenir aux nombreux auteurs qui ont trempé leur plume dans les épidémies et les funestes maladies, on cite, entre autres, Octave Mirbeau (oui, il était loin d’être seulement pertinent critique d’art), Richard Preston, Thomas Mann (La Mort à Venise), Jack London (il n’a pas respiré qu’aux grands larges et vogué sur les flots), J.M.G. Le Clézio (sa Quarantaine sur la variole est un bijou de livre).

Mais aussi Erik Orsenna, écrivain académicien et ambassadeur de l’Institut Pasteur qui met en garde contre les moustiques jamais innocents. Ou José Saramago, journaliste et écrivain portugais, Prix Nobel 1998, dont le roman L’aveuglement, à travers une ville frappée de cécité, dessine la déshumanisation.

Tony Kushner, dramaturge américain, en narrant l’homosexualité de son personnage, critique en toute virulence la vague mortuaire du sida et obtient le prix Pulitzer en 1982 pour ses intrépides propos dans Angels of America. Susan Sontag aborde dans ses textes, d’une admirable intelligence et clairvoyance, tout en métaphores, les fantasmes autour du drame des sidéens et Bram Stoker, par-delà l’ombre de Dracula dont il est le père littéraire, se range derrière le mythe pour expliquer les phénomènes mal compris et les obsessions des maladies…


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Retour à Wuhan, berceau du coronavirus…

On revient au berceau du coronavirus qui en fait des siennes, c’est-à-dire à Wuhan en Chine. Et, ironie du sort, secret du contre-espionnage ou funeste hasard, un roman de science-fiction Les yeux des ténèbres, best-seller du romancier américain Dean Koontz, publié il y a presque quarante ans, parlait déjà d’un mystérieux virus Wuhan-400 presque frère jumeau de celui qui sévit aujourd’hui à grand fracas aux quatre points cardinaux… Prédiction de cette saloperie qui affole la planète, la claquemure et la muselle? On n’en saura pas davantage pour le moment ! La littérature n’a pas encore dit son dernier mot en armes bactériologiques ni en constructions d’esprits délurés et délirants…

Les aéroports et les ports du monde sont fermés ou presque, les villes sont mortes, les rues désertes, les travaux en berne, les voitures quasi disparues des grandes artères, les personnes confinées dans leurs demeures, les enfants en garde à vue par des parents dépassés, les écoles et universités sans vie, les hôpitaux en hyperactivité, les gens masqués et gantés comme pour un curieux et sinistre carnaval, les foules absentes des espaces publics et des parcs, les restaurants ne servent plus la clientèle, les pubs et boîtes de nuit clos et sans joie, le silence est pesant, invisible et insidieux, le mal se faufile et s’invite partout comme une brume sournoise. Pris dans des rets invisibles et toxiques, l’univers semble une aurore endormie attendant le baiser d’un preux chevalier…

Si ce n’est pas cela l’atmosphère d’un livre de Stephen King, maître du suspense, de l’horreur et de la science-fiction, intitulé Le fléau, quels en seraient donc les points de connivence et les connexions? Comment démêler la réalité de la fiction, la vraie vie de la littérature? Qui dit mieux que la réalité des choses ? Ces choses étranges, déréglées…

Tant que la vie est si intensément pétrifiée, gelée, paralysée, absente, la littérature doit encore attendre. Que la lumière, la paix et l’ordre règnent à nouveau, ensuite place à l’explication, le copier-coller, la fabulation d’un vécu inédit et incroyable !

Aujourd’hui, un livre qui cartonne en librairie, pourtant déjà un classique depuis 1947 pour sa beauté de la langue française et sa force d’évocation de la ville d’Oran assiégée par la maladie : La Peste d’Albert Camus. Les lecteurs du monde entier redécouvrent ce roman devenu culte. Et comparent peut-être les situations de panique, d’attente et de sauvetage. Comme une...

commentaires (3)

Aussi "Malhamat al harafish" de Naguib Mahfouz 1977, avec l'histoire du chef de clan "Ashur an Nagi" et de ces descendents (la dynastie de ce chef de clan egyptien). Editions Denoel 1989 en francais "La chanson des gueux".

Stes David

16 h 29, le 24 mars 2020

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Commentaires (3)

  • Aussi "Malhamat al harafish" de Naguib Mahfouz 1977, avec l'histoire du chef de clan "Ashur an Nagi" et de ces descendents (la dynastie de ce chef de clan egyptien). Editions Denoel 1989 en francais "La chanson des gueux".

    Stes David

    16 h 29, le 24 mars 2020

  • Ces écrivains ont compulsé, lu, et se sont inspiré des penseurs grecs, des tragédies grecques célèbres, de l’Ancien et Nouveau Testament, etc, etc..... Tous ces livres évoqués sont récents, du XXème siècle, et ne sont pas écrits par des papes, ou des curés d’Ars. Surtout de l’épidémie en cours, où (à ma connaissance) je n’ai pas entendu parler d’une punition ou d’une colère divine, ne voyez-vous pas un signe de sécularisation ? .........

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 05, le 24 mars 2020

  • Beau papier inspiré et "cultivé": un autre, un autre!

    Marionet

    09 h 55, le 24 mars 2020

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