Le siège du TSL à La Haye. Toussaint Kluiters/AFP/POOL
Il y a quelques jours, la chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), siégeant à La Haye, a annoncé qu’elle prononcerait vers la mi-mai son jugement dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien chef de gouvernement Rafic Hariri, tué en février 2005 dans un attentat au camion piégé. Le verdict serait ainsi rendu dix-huit mois après la clôture des audiences en septembre 2018. Celles-ci avaient été consacrées à la présentation des plaidoiries finales de l’accusation et de la défense des cinq suspects, membres du Hezbollah, à savoir Moustapha Badreddine, décrit par les enquêteurs comme le « cerveau » de l’attentat, tué depuis et qui ne sera donc pas jugé, Salim Ayache, Hussein Oneissi, Assad Sabra et Hassan Habib Merhi, jugés par contumace. Quinze ans après les faits, la décision du TSL aura-t-elle un impact sur la scène politique à travers une intensification de la pression sur le Hezbollah et par conséquent sur le pays, sachant qu’une partie de la communauté internationale considère le Liban comme dominé par le parti chiite ? Ou au contraire les répercussions seront-elles minimes, d’autant que l’ex-Premier ministre Saad Hariri avait affirmé à sa sortie d’une audience de plaidoiries à La Haye, en 2018, que si la culpabilité du Hezbollah ou de certains de ses éléments était avérée, il donnerait quand même la priorité à la stabilité et à l’intérêt du pays en faisant abstraction de ses sentiments personnels ?
Interrogé par L’Orient-Le Jour, l’analyste politique Sami Nader estime que si les membres du parti chiite sont condamnés, l’impact serait lourd au plan politique. « Une inculpation directe du Hezbollah va mettre davantage de pression sur le gouvernement libanais, d’autant que ce parti y a la main haute, c’est-à-dire y est fortement présent et dominant, voire le plus influent parmi toutes les autres forces politiques », estime-t-il. « À un moment où le Liban a besoin de rétablir la confiance de la communauté internationale pour sortir de la crise économique, un verdict de condamnation enfoncerait le clou en le confinant encore plus dans son isolement », ajoute M. Nader, notant que le parti de Hassan Nasrallah est déjà classé terroriste par les États-Unis, la Grande-Bretagne et des pays du Golfe. Pour M. Nader, il y aurait également un risque qu’une inculpation « nette et claire » conduise les autres pays européens à « ne plus rester dans le flou et à se rallier aux pays hostiles au Hezbollah ». « La marge de tolérance que les pays européens établissaient pour distinguer entre l’aile armée et l’aile politique pourrait alors se rétrécir », estime M. Nader qui met en garde contre le danger pour le pays de perdre encore plus les chances d’être secouru par les fonds internationaux.
(Lire aussi : Assassinat de Rafic Hariri : Le TSL prononcera son jugement à la mi-mai)
L’impact a déjà eu lieu
L’ancien député Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, pense au contraire que « l’impact causé par une implication du Hezbollah dans l’assassinat du fondateur du parti a déjà eu lieu quand, il y a dix ans, un acte d’accusation a été rendu par le TSL ». Quant au risque de sanctions accrues, M. Allouche juge que « les sanctions américaines contre le Hezbollah sont liées aux relations entre les États-Unis et l’Iran plutôt qu’à ce parti considéré comme l’outil de l’Iran ». Il estime que « la question est déjà caduque », faisant observer que « le principal accusé, Moustapha Badreddine, est présumé avoir été tué ».
Kassem Kassir, analyste proche du Hezbollah, émet la même remarque, estimant qu’un jugement de condamnation mettrait en cause des éléments du Hezbollah et non le parti lui-même. Il considère sur un autre plan qu’une telle décision n’aurait pas un gros impact, parce que « les objectifs du TSL visant notamment à inciter à une discorde entre sunnites et chiites ne sont plus de mise, sachant que le contexte local ne s’y prête plus ». Pour M. Kassir, le jugement qui sera publié dans les médias, et fera peut-être du bruit, aura pourtant « une portée vaine », mis à part le fait qu’« il sera inscrit dans les annales de l’histoire ».
Rappelons que les audiences avaient commencé en juin 2014 et auront donc duré plus de quatre ans, et que les délibérations ne se sont achevées qu’un an et demi plus tard. Avant d’arriver à cette étape, l’affaire avait suivi un chemin fastidieux, faisant d’abord l’objet d’une enquête menée par une Commission d’enquête internationale relevant des Nations unies, qui n’est pas un organe du TSL. En 2009, le tribunal (créé en 2007) a commencé ses travaux qui ont conduit à un acte d’accusation rendu par le procureur en 2011 contre quatre suspects, suivi par un autre en 2013 contre un cinquième suspect. Ce tribunal est présidé par l’Australien David Re et composé de deux membres, Micheline Braidy (Liban) et Janet Nosworthy (Amérique du Sud), ainsi que deux membres suppléants, qui participeront tous à la séance du jugement.
(Pour mémoire : Le procureur du TSL clôture une visite de travail à Beyrouth)
Condamnations et sanctions séparées
Interrogé par L’Orient-Le Jour, un juge informé des questions de procédure auprès du TSL indique que le tribunal pourrait soit innocenter les accusés, soit les condamner. Dans ce dernier cas, la décision ne comportera pas de sentence, c’est-à-dire qu’elle n’indiquera aucun détail sur les peines encourues. « Il faudra près de trois mois de concertations basées sur l’audition de témoins et de victimes pour mesurer combien l’acte criminel a provoqué des turbulences au niveau de la société, et ce n’est qu’après ce processus que la sentence sera rendue », estime le juge interrogé.
Le verdict sera susceptible de faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel du TSL, composée d’Ivana Hrdličková, présidente, de Ralph Riachi, vice-président, et de trois autres membres. Qui peut présenter ce recours ? Le procureur certainement, mais la question se pose surtout pour les condamnés potentiels, sachant par exemple que la loi libanaise ne reconnaît pas leur appel lorsque le procès se déroule par défaut. Il appartient au TSL lui-même de décider si ceux qui ont été condamnés par contumace auront droit à ce recours, indique la source interrogée, soulignant par ailleurs qu’à partir de ce moment-là, il faudra peut-être deux ou trois ans pour que l’arrêt d’appel soit rendu.
À la question de savoir pourquoi les décisions tardent à être émises dans ce dossier, le juge précité affirme que les procès auprès des tribunaux internationaux durent généralement très longtemps. Qui plus est, affirme-t-il, « le dossier de l’assassinat de Rafic Hariri est énorme et lourd, ce qui implique qu’il y a beaucoup de choses à examiner, dire et écrire ».
Parallèlement, le tribunal a lancé de nouvelles procédures dans le cadre des affaires de l’assassinat de l’ex-secrétaire général du Parti communiste libanais Georges Haoui (juin 2005) et des tentatives d’assassinat du député Marwan Hamadé (octobre 2004) et de l’ancien ministre de la Défense Élias Murr (juillet 2005). Selon une source informée, le juge de la mise en état a confirmé l’acte d’accusation rendu par le procureur en septembre dernier et prépare les dossiers pour les transférer à la chambre de grande instance du tribunal.
Lire aussi
commentaires (11)
L Hezbollah est un état dans l'état , il fait ce qu'il veut je me demande s'ils sont des libanais ou des iraniens ?
Eleni Caridopoulou
20 h 29, le 10 mars 2020