Empêtré dans une crise économique et financière sans précédent, le Liban se débat pour s’acquitter de ses multiples échéances de paiement qui commencent à s’accumuler. Outre le remboursement d’une série d’eurobonds d’une valeur de 1,2 milliard de dollars arrivant à échéance le 9 mars prochain, c’est un montant non négligeable que le gouvernement devrait incessamment verser au Tribunal spécial pour le Liban (TSL), soit près de 27 millions d’euros sur un total de 55 millions d’euros qui constituent le budget annuel du TSL.
Si à ce jour le gouvernement n’a jamais fait de défaut de paiement auprès de cette instance chargée de juger notamment les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, il reste à voir comment le Liban pourra, aujourd’hui, faire face à ce nouveau défi financier. Théoriquement, le nouvel exécutif n’a d’autres choix que d’honorer son dû, sachant notamment que la création du TSL a été placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Par conséquent et quelles que soient les difficultés auxquelles le pays se trouve confronté, il ne peut se dérober à son engagement, comme le rappelle la porte-parole du TSL, Wajd Ramadan. « Le Liban a l’obligation de payer sa contribution qui s’élève à 49 % du budget total du TSL, le reste de la somme devant être acquitté par les pays tiers », affirme à L’Orient-Le Jour Mme Ramadan.
Outre le Liban, plusieurs autres pays, notamment européens, les États-Unis et l’Arabie saoudite, contribuent sur la base d’un système de volontariat au versement du montant restant par le biais de sommes qui varient chaque année selon les pays, aucun État n’étant tenu à verser une somme fixe.
Selon Omar Nachabé, criminologue et journaliste qui a longtemps suivi les travaux du TSL, le Liban peut, s’il le souhaite, demander de s’en remettre aux autres bailleurs de fonds pour qu’ils paient à sa place, du moins une partie de sa contribution, en arguant l’insolvabilité de l’État. M. Nachabé fonde son argument sur un paragraphe figurant dans la résolution 1757, qui selon lui permet ce type de recours. Le texte prévoit que « si les contributions volontaires étaient insuffisantes pour permettre au tribunal de s’acquitter de son mandat, le secrétaire général de l’ONU et le Conseil de sécurité étudieraient d’autres moyens de financement ».
Selon un expert, qui a requis l’anonymat, il s’agit toutefois d’une « interprétation extensive du texte qui ne s’applique pas dans ce cas précis, le Liban ne pouvant en aucun cas se soustraire à ses obligations ». Le texte évoque une situation concernant « les contributions volontaires » et non des engagements financiers et contraignants du Liban.
C’est à mi-chemin que se situe l’avis du professeur de droit international Chafic Masri, qui estime que l’issue pourrait être trouvée dans le texte de la résolution 1757, mais qu’elle n’est pas sans prix. « Si le gouvernement libanais souhaite se désister du paiement, il devra par conséquent signifier sa volonté de suspendre les travaux de cette cour », dit M. Masri. « Le problème, c’est qu’en cas de désistement du Liban, cela signifierait qu’il se serait dérobé à ses engagements internationaux, ce qui est d’autant plus grave que c’est lui qui avait sollicité la création du tribunal », poursuit le professeur, laissant entendre que ce serait alors un camouflet pour le gouvernement et une perte de son prestige auprès de la communauté internationale.
(Lire aussi : Assassinat Hariri : Les accusés liés au Hezbollah doivent comparaître devant la justice, affirme Pompeo)
Ménager la rue sunnite
Mais par-delà le débat technique sur la possibilité pour le gouvernement de se soustraire ou non à ses obligations, c’est au niveau politique qu’il faudrait encore une fois rechercher quelques clés d’explication.
Soucieux de ne pas perdre la face devant ses partenaires internationaux en envoyant des messages contradictoires comme c’est le cas pour le TSL, le gouvernement ne souhaite probablement pas non plus susciter le courroux de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et de la rue sunnite dans son ensemble. Considérée depuis le début comme un sujet à grande polémique, la question du TSL risque d’envenimer à nouveau les relations entre sunnites et chiites, d’autant que les quatre principaux accusés dans l’affaire Hariri sont des membres présumés du Hezbollah.
En quête de légitimité sunnite depuis sa désignation comme Premier ministre, Hassane Diab, dont le gouvernement fait face à d’énormes défis, cherchera probablement à éviter de monter la rue sunnite contre lui, mais aussi Saad Hariri « qui n’acceptera jamais d’abandonner ce dossier », souligne M. Nachabé. « Je doute fort que le Conseil des ministres puisse accepter de renoncer au paiement », dit-il.
C’est également l’avis d’un juriste qui rappelle que la somme due par le Liban au TSL est de toute manière déjà prévue dans le budget de 2020. « Le Liban finira par payer comme il l’a toujours fait avec l’ONU », commente le juriste.
Le Liban avait perdu en janvier dernier son droit de vote aux Nations unies, après avoir tardé à payer des arriérés de cotisation. Au lendemain de l’éclatement d’un scandale aux ramifications politiques, Beyrouth a fini par s’acquitter de son dû et récupérer son droit de vote. Interrogée par L’Orient-Le Jour, une source ministérielle va dans le même sens. « La question n’a pas encore été à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Quand elle le sera, nous plancherons sur les moyens de nous acquitter de ce que nous devons. De toutes les manières, il s’agit d’une obligation légale et politique du Liban dont il ne peut se désister, et ce malgré la situation catastrophique », explique cette source.
Pour mémoire
Et le 1er mars 2009, le TSL voyait le jour, au forceps...
commentaires (6)
"...27 millions d'euros a payer au TSL... pour payer quoi et qui au juste ??? Le sait-on encore après plus de 10 années passées à ne rien savoir de précis ? Irène Saïd
Irene Said
16 h 45, le 24 février 2020