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Société - Interview

« Il n’y a pas de contradiction entre féminisme et réformisme islamique »

Asma Lamrabet, militante des droits des femmes au Maroc et médecin de formation, vient de participer à Beyrouth au Festival international des féminismes organisé par l’Institut français du Liban.

Asma Lamrabet a pris part au Festival international des féminismes de Beyrouth. Photo Blandine Lavignon

Défendant une relecture réformiste et féministe de l’islam, elle est l’une des voix les plus en vue du monde arabe. Médecin de formation, Asma Lamrabet milite pour les droits des femmes au Maroc. Elle a été la directrice du Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita mohammadia des oulémas du Maroc de 2011 à 2018.

À Beyrouth, elle a récemment pris part à la table ronde « Un centenaire de contestation ; continuités, divergences et transformations », dans le cadre du Festival international des féminismes qui s’est tenu à l’Institut français du Liban du 27 février au 1er mars. L’occasion pour L’Orient Le Jour de l’interroger sur sa vision du réformisme dans l’islam.


Quel est l’apport d’un féminisme islamique ?

Le féminisme a une connotation extrêmement péjorative dans les pays arabo-musulmans parce qu’il est considéré comme étant occidentalisé et comme s’étant édifié contre les religions. Par ailleurs, le côté institutionnel de la religion pose problème car c’est lui qui impose les dogmes et qui a une lecture patriarcale misogyne envers les femmes. C’est pourquoi il faut déconstruire conjointement les concepts de féminisme et de l’islam. Quand on les oppose, c’est évident qu’ils sont contradictoires. Mon modèle de féminisme au Maroc est un féminisme que j’appelle arabe, islamique ou musulman, en tout cas c’est un féminisme de mon contexte. Je suis obligée d’ajouter un qualificatif pour que mes concitoyennes me comprennent, je dois avoir un argumentaire qui soit audible. Déconstruire ces concepts permet de démontrer qu’il n’y a pas de contradiction entre féminisme et réformisme islamique. Il y a, au contraire, des latitudes qui peuvent nous mener vers l’égalité, mais avec un référentiel qui puise aussi bien dans les droits humains que dans l’éthique spirituelle islamique. Je vis dans un contexte où les droits des femmes sont encore à acquérir. Cette troisième voie me paraît être la plus viable aujourd’hui parce qu’elle suit aussi bien les droits humains que les principes religieux. On n’est pas enfermé dans une identité religieuse léthargique, mais on n’est pas non plus enfermé dans des principes universels abstraits qui ne veulent rien dire pour le commun des mortels dans les sociétés arabes. Cette voie permet de sortir de cette dualité qui mine les sociétés arabo-musulmanes.


Ce féminisme a-t-il les moyens de s’imposer dans les sociétés arabo-musulmanes ?

Le problème est que l’on fait face à un discours identitaire et traditionaliste qui a les moyens institutionnels, financiers pour rester prédominant devant ce courant minoritaire. Mais ce féminisme a fait ses preuves parce qu’on en voit les effets. Les jeunes se retrouvent dans ce discours-là qui leur ouvre la conscience. Aujourd’hui, on ne peut plus retourner en arrière grâce justement à toutes les métamorphoses sociétales, notamment grâce aux révolutions dans le monde. Ce n’est pas le religieux qui change, c’est la société, c’est la réalité.


Comment le réformisme dans l’islam peut-il s’inscrire dans un contexte social particulièrement polarisé autour de ces questions ?

Dans la plupart des pays arabes, l’islam est une religion d’État, il est inscrit dans la Constitution. Dans le contexte marocain, la majorité des lois font partie du droit positif, sauf celles du droit personnel, donc de la famille. Depuis l’indépendance, les premières féministes ont toujours lutté pour qu’il y ait une réforme du code des statuts personnels, qui était essentiellement issu d’une lecture patriarcale du religieux. Ce n’était pas l’islam, mais une interprétation donnée de l’islam justement. Ces féministes n’avaient pas les outils argumentaires ou théologiques qu’il fallait parce qu’il y avait un monopole du savoir religieux par les hommes. La femme est toujours le dernier bastion de l’identité, et donc de l’islam en particulier. Il nous faut une réflexion collective où l’on puisse sortir des lois adaptées à notre contexte social, sans que cela soit contraire au référentiel islamique.


Comment sortir d’une lecture religieuse du légalisme ?

La lecture légaliste est une lecture qui n’est pas récente, mais qui a marginalisé la lecture éthique à partir du Xe siècle. Tout simplement parce que les juristes se sont trouvés confrontés à des réalités auxquelles le Coran ne pouvait répondre. Ils ont donc commencé à répondre selon leur vision des choses. Ce qui est intéressant, c’est que les juristes de l’ère classique étaient très flexibles et que les fatwas étaient des avis juridiques au cas par cas, pas comme aujourd’hui. Le droit musulman n’a été élaboré qu’après la colonisation. On ne peut donc plus continuer à appliquer des lois qui ont été pensées pour des contextes différents. Les juristes de l’époque ne voulaient pas qu’elles soient immuables. Il faut absolument déconstruire tout cela et établir des normes qui soient complètement en phase avec les principes universels des droits humains et les principes éthiques de l’islam.


Est-ce que la relecture des textes sacrés est essentielle aujourd’hui ?

Elle est essentielle car dès que l’on parle d’égalité entre hommes et femmes dans les sociétés arabo-musulmanes, les traditionalistes y opposent un verset coranique ou des hadiths. L’herméneutique est donc très importante, de nombreuses femmes font maintenant un travail d’exégèse pour déconstruire toute cette misogynie et pour proposer des alternatives. Mais il y a une peur de la part des traditionalistes, c’est pour cela qu’on nous traite d’occidentalisées, qu’on nous apostasie. Pour eux, c’est un blasphème que de tenter de relire les textes. Les oulémas peuvent accepter une lecture réformiste sur beaucoup de sujets sauf sur celui de la femme. L’exégèse est très importante car c’est elle qui donne aux femmes les outils pour se défendre.


Vous vous êtes notamment positionnée publiquement pour une réforme sur la question de l’héritage (actuellement, une femme hérite moitié moins qu’un homme). S’agit-il d’une problématique centrale ?

L’héritage ne vas pas régler toute la question du féminisme musulman, mais il est vrai que cette question est liée au pouvoir économique des hommes. Même ceux qui ne sont pas traditionalistes mais modernistes vont souhaiter que l’on ne touche pas à cette question parce que justement cela touche leur pouvoir. C’est une question économique et politique plus que religieuse. Si l’on ne fait pas une approche globale réformiste du religieux, on ne pourra pas régler cette question.


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