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Société - Patrimoine

À Tyr, un promontoire archéologique en danger

Un projet de « réhabilitation » de la zone de Ras el-Jamal défendu par la municipalité inquiète la société civile, mais les travaux ont été suspendus à la demande de plusieurs institutions concernées.

Ras el-Jamal, un superbe promontoire s’enfonçant dans la mer, à protéger à tout prix. Photo Joao Sousa

C’est un promontoire rocheux, surplombant une côte encore vierge malgré la présence de kiosques de restauration. Un paysage comme il y en a de moins en moins sur un littoral ultrabétonné. Avec, en prime, des vestiges archéologiques apparents qui suggèrent une abondance de richesses historiques non encore fouillées. Ce paysage idyllique se situe dans la zone de Ras el-Jamal, au sud de la ville de Tyr, au niveau de ce que l’on appelle « le port archéologique égyptien », parce qu’il était ouvert dans l’Antiquité sur le trafic avec l’Égypte. Un projet dit de « réhabilitation » de cette zone, réalisé par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) en coopération avec la municipalité, a été conçu pour y développer l’activité touristique tout en préservant l’environnement et le caractère culturel.

Est-ce vraiment le cas ? Plusieurs ONG dénoncent ce projet d’une même voix. Selon elles, celui-ci remplacera des installations temporaires, à l’impact limité sur le littoral, par un aménagement qui sera plus nuisible à l’environnement et aux vestiges. D’autant plus, ajoutent-elles, que les études nécessaires sont très insuffisantes. Et les faits semblent leur donner raison : trois institutions concernées par le dossier, le ministère des Travaux publics et des Transports (ministère de tutelle pour le littoral), le ministère de l’Environnement et le bailleur de fonds du projet, l’Agence française de développement (AFD), ont demandé un gel des travaux en attendant des études plus approfondies et/ou l’obtention des permis adéquats.



(Pour mémoire : Un sanctuaire hellénistique découvert à Tyr, une première)



Une biodiversité remarquable en danger
« Le projet en question est la phase trois d’un cadre plus vaste appelé CHUD (Patrimoine culturel et développement urbain, financé par la Banque mondiale, l’Italie et l’AFD) qui, dans la ville de Tyr, porte sur deux sites distincts et éloignés l’un de l’autre, explique à L’Orient-Le Jour Hicham Younès, président de l’Association Green Southerners. La partie concernant Ras el-Jamal est financée par un prêt de l’AFD. Ras el-Jamal est une zone dont une partie seulement est protégée en tant que site culturel, alors que cette protection devrait être globale. De plus, ce promontoire est le foyer d’une biodiversité remarquable, d’autant plus que ce paysage de colline rocheuse surplombant la mer est le dernier vestige de ce qui fait la caractéristique naturelle de la ville de Tyr. »

Selon Hicham Younès, les restaurateurs qui occupent actuellement le site sont certes des contrevenants, mais le projet qui se prépare, lui, sera nettement plus destructeur. « Ils comptent élargir la route qui traverse la localité, construire des trottoirs, installer un système d’épuration des eaux usées, aménager un parking sur le promontoire qui concentre tous ces vestiges, déplore Hicham Younès. Ceux qui ont conçu ce projet n’ont aucune idée de ce qu’ils font et continuent d’agir dans un mélange d’ignorance et de prévalence de l’activité économique sur la protection du patrimoine. »



(Lire aussi : Le site de Nahr el-Kalb risque de perdre ses chances de figurer sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco)



Protéger un rayon de 500 mètres
Pour l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr, « il est impératif que ce projet soit immédiatement interrompu ». L’association met en évidence, dans un récent communiqué, l’importance historique du lieu, citant plusieurs archéologues et chercheurs. Selon le texte, les preuves de la présence du port égyptien à cet endroit sont multiples, notamment par les reconnaissances aériennes effectuées par le père Poidebard et confirmées dans les années 60 par Honor Frost, ainsi que par les découvertes d’objets provenant d’épaves de navires du cinquième siècle avant J-C par Robert Marx et Maurice Chéhab. Sans compter les recommandations de Christophe Morhange, de l’Université d’Aix-en-Provence, « d’appliquer un périmètre de protection d’un rayon de 500 mètres tout le long de la côte de la presqu’île de Tyr », des recommandations appuyées par l’Unesco et l’Icomos.

Interrogé par L’OLJ sur le projet, Hassan Dbouk, président du conseil municipal de Tyr, se défend de vouloir nuire au site. « Bien au contraire, s’indigne-t-il. Il faut constater ce que les empiétements actuels ont fait du site. Les eaux usées provenant de ces kiosques de restauration, qui accueillent des centaines de clients, polluent la mer. De plus, ces tentes occupent le littoral, en empêchent le libre accès et en interrompent la continuité. Nous voulons réorganiser ce chaos et réduire la pollution. »

M. Dbouk réfute la majorité des arguments utilisés contre lui. « Il est erroné de dire que nous voulons priver les familles locales de leur travail, nous allons réorganiser leurs tentes de manière à ce qu’elles occupent une portion moindre du littoral sans en obstruer l’accès, dit-il. De plus, je peux certifier qu’il n’y aura pas de construction en dur, rien que des installations amovibles, qui ne nécessiteront aucune excavation. La route sera aménagée, mais nullement élargie, comme on nous le reproche. Et le parking existe d’ores et déjà. »

Et qu’en est-il de l’épuration des eaux usées au beau milieu de vestiges archéologiques ? « Nous avons proposé deux stations de pompage qui achemineront les eaux usées vers l’endroit où devra être installée une grande station d’épuration, répond M. Dbouk. Que fallait-il faire ? Laisser les égouts se déverser dans la mer ? » Le président du conseil municipal persiste : « Tout ce que nous ferons améliorera la protection de l’environnement et ne nuira en aucune façon aux vestiges. »


Des travaux trois fois gelés
Hassan Dbouk se veut rassurant, mais Hicham Younès objecte que le projet ne bénéficie pas des études indispensables en pareil cas. « Le CHUD en entier a fait l’objet d’une étude stratégique environnementale, datant de 2014, donc ancienne suivant la loi, soutient-il. Mais pour la composante de Ras el-Jamal, aucune étude d’impact environnemental ni d’impact sur le patrimoine n’a été effectuée. » Il argue également du fait que la municipalité n’a pas tenu d’audience publique sur ce projet comme le veut la loi et que celui-ci a été entamé en douce il y a quelques semaines, avant d’être interrompu.

M. Dbouk lui-même reconnaît que trois acteurs principaux de ce dossier ont demandé simultanément le gel des travaux, ce qui corrobore la thèse de l’absence des études requises. Ainsi, le ministère des Travaux publics a ordonné l’arrêt des travaux. Abdel Hafiz Kaïssi, directeur général du ministère, confirme à notre journal que « le chantier a été suspendu parce que l’entrepreneur ne détient pas de décret lui permettant d’effectuer des travaux sur les biens-fonds publics maritimes ». « Nous avons demandé au CDR de nous fournir un plan qui sera soumis au Conseil des ministres », explique-t-il.

Le deuxième acteur concerné est le ministère de l’Environnement. Le ministre Damien Kattar était injoignable hier, mais M. Dbouk nous apprend que cette administration exige désormais une étude d’impact environnemental. Enfin, l’AFD a agi de même. « J’ai demandé au CDR de suspendre les travaux la semaine dernière en attendant des compléments d’analyses et d’informations, notamment sur les questions environnementales, sociales concernant les restaurateurs et juridiques sur l’occupation du site », indique Olivier Ray, directeur de l’AFD au Liban.

L’agence n’était-elle pas au courant de ces manquements ? « Nous avions les assurances nécessaires de la part du CDR, répond-il. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il fallait approfondir certains aspects qui alimentent la polémique. Notre but est de ramener le débat sur des bases plus saines et informées, afin de permettre un dialogue constructif entre les différents acteurs de ce projet. Nous souhaitons faire de cet aménagement un exemple de dialogue entre pouvoirs publics et citoyens. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé de prendre en charge une étude complémentaire sur les questions environnementales, sociales et juridiques. »

Le projet est donc temporairement suspendu, mais pas annulé, comme le souhaiterait Hicham Younès, pour qui « toute cette région devrait être classée réserve naturelle ». M. Dbouk juge cette proposition « irréaliste », rétorquant que « si l’État veut faire de Tyr une ville-musée, il nous le dira, mais nous préférons la voir vivante ». De son côté, l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr replace le débat dans son contexte, souhaitant, « avant l’exécution de tout projet à Tyr, le lancement de fouilles archéologiques préventives qui seraient menées par des experts internationaux nommés par l’Unesco ».

C’est un promontoire rocheux, surplombant une côte encore vierge malgré la présence de kiosques de restauration. Un paysage comme il y en a de moins en moins sur un littoral ultrabétonné. Avec, en prime, des vestiges archéologiques apparents qui suggèrent une abondance de richesses historiques non encore fouillées. Ce paysage idyllique se situe dans la zone de Ras el-Jamal, au sud de la...

commentaires (1)

C'est l'activite economique de ces restaurants qui attirent un peu la demande pour parking pour voitures ... Il faudrait suivre des modeles comme un parking en dehors de la vieille ville avec un 'shuttle' entre le parking et le vieux port/la vieille ville pour garder les voitures dehors.

Stes David

20 h 31, le 04 mars 2020

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Commentaires (1)

  • C'est l'activite economique de ces restaurants qui attirent un peu la demande pour parking pour voitures ... Il faudrait suivre des modeles comme un parking en dehors de la vieille ville avec un 'shuttle' entre le parking et le vieux port/la vieille ville pour garder les voitures dehors.

    Stes David

    20 h 31, le 04 mars 2020

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