Au moment où Saad Hariri se trouvait en visite aux Émirats arabes unis, le Premier ministre Hassane Diab a, pour la première fois, répondu à ses détracteurs, dans le cadre d’une intervention en plein Conseil des ministres, accusant un « orchestre » de mener campagne contre lui et son gouvernement, localement et auprès de certains pays arabes. Depuis sa nomination pour former le gouvernement en décembre dernier, c’était la première fois que Diab passait ainsi à l’attaque, ayant eu plutôt tendance à faire preuve de calme et à ne pas se laisser aller à des réactions impulsives.
Même lorsque la députée Bahia Hariri l’avait ouvertement interpellé lors de la séance parlementaire pour le vote du projet de loi sur le budget en lui demandant de déclarer ouvertement s’il compte adopter ce projet élaboré par le précédent gouvernement, Diab s’était contenté de répondre, posément : « Si je ne l’adoptais pas, je ne serais pas là aujourd’hui. » Il était donc clair que le président du Conseil préférait ménager son prédécesseur et le camp qu’il représente... jusqu’à cette fameuse déclaration rapportée par la ministre de l’Information après la réunion du Conseil des ministres mardi. D’ailleurs, le bloc parlementaire du Futur a estimé que c’est son chef qui était visé, puisque lors de sa réunion hebdomadaire sous la présidence de Bahia Hariri, il a ouvertement répondu au président du Conseil. Depuis, la polémique médiatique s’est arrêtée, mais la lutte se poursuit en coulisses, même si dans l’entourage du Premier ministre, on préfère dire que ce n’était pas Saad Hariri qui était visé, mais « tout un orchestre ». Cet entourage rappelle dans le même temps que Diab ne compte pas faire de la politique et ne constitue, par conséquent, une menace pour personne. Cela n’empêche toutefois pas l’entourage du Premier ministre de suivre attentivement la visite de Saad Hariri aux Émirats et d’essayer d’en deviner les résultats. À cet égard, il avait été dit que cette visite pourrait être un premier pas vers une autre de M. Hariri en Arabie, qui serait la consécration de la normalisation de ses relations avec les dirigeants saoudiens. De nombreux médias locaux avaient annoncé la semaine dernière une visite imminente de l’ancien Premier ministre à Riyad. Mais comme personne n’en a plus parlé, il est clair qu’elle n’a pas eu lieu. Selon des sources libanaises proches des Saoudiens, il y aurait actuellement deux courants au sein de la famille royale, le premier pencherait vers une amélioration des relations avec Saad Hariri, dans le cadre d’un regain d’intérêt saoudien pour le Liban, alors que le second continuerait à penser qu’il ne faut plus investir au Liban, en arguant du fait que des sommes énormes ont été dépensées dans ce pays par Riyad, au cours des années précédentes, sans obtenir le moindre résultat concret au sujet de la réduction de l’influence du Hezbollah. Pour l’instant, le second courant serait donc le plus fort et ce serait la raison pour laquelle la visite de Hariri en Arabie saoudite n’a pas eu lieu, et qu’en même temps, aucune visite proche de Diab à Riyad n’est prévue. Par contre, le président du Conseil pourrait présider la délégation libanaise au prochain sommet arabe ordinaire qui doit se tenir en Algérie, à la fin du mois de mars.
Ce relatif retrait saoudien de la scène libanaise complique encore plus la scène sunnite au Liban. En effet, jusqu’aux dernières élections législatives, les sunnites du Liban avaient un leader, Saad Hariri, qui, même s’il ne faisait pas l’unanimité, était quand même le plus populaire. Mais les élections de 2018 ont montré un certain recul dans la popularité de M. Hariri au sein de la rue sunnite. À Tripoli, il a dû s’allier à l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qu’il avait longtemps combattu lorsque ce dernier était à la tête du gouvernement, tout en profitant des voix de l’ancien ministre des Finances Mohammad Safadi. Il s’est aussi réconcilié par la suite avec l’ancien ministre de la Justice Achraf Rifi, pour pouvoir faire face à une baisse de sa popularité au nord du Liban. Il a aussi dû composer avec ses rivaux, qu’il s’agisse de Fayçal Karamé ou de Abdel Rahim Mrad (Békaa-Ouest). Mais aujourd’hui, ces tentatives de rassemblement se lézardent de toutes parts. Tout en maintenant avec Hariri des relations cordiales, Mikati préfère augmenter sa propre popularité à Tripoli. Safadi cherche aussi à relancer ses activités sociales qui sont essentielles dans cette période de crise économique. Abdel Rahim Mrad et son fils, l’ancien ministre Hassan Mrad, multiplient leurs activités dans la Békaa-Ouest, alors que Hariri affronte désormais une crise au sein de son propre parti, avec le départ de l’ancien ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk du bloc du Futur. Ce dernier, qui se démarque désormais ouvertement de Saad Hariri, a fondé un site d’information électronique pour bien montrer qu’il compte se lancer dans la bataille politique.
De même, Saad Hariri croyait pouvoir compter sur le mouvement de protestation dans la rue, après avoir répondu à sa demande en présentant la démission de son gouvernement, mais ce mouvement reste tiraillé entre plusieurs tendances dont certaines le considèrent comme faisant partie des responsables de la crise actuelle. Hariri cherche donc à réorganiser son courant, mais il ne dispose plus de beaucoup d’appuis sur lesquels miser. Selon ses anciens alliés, il ménage le Hezbollah et, selon ses détracteurs, il cherche à satisfaire les Saoudiens, sans parvenir à gagner la rue. Son véritable atout, c’est qu’il a réussi à tirer son épingle du jeu gouvernemental en cette période particulièrement critique. Mais en même temps, si Diab réussit à circonscrire la crise, il pourrait ne plus souhaiter se retirer de la vie publique... Un véritable dilemme pour Saad Hariri, qui complique encore plus sa situation et celle de sa communauté.
commentaires (6)
Restez Madame sur votre spécialité avec vos sources bien informées chez vos amours premiers. Sur le sentiment de l'Arabie franchement personne n'en sait rien.
Shou fi
16 h 17, le 29 février 2020