Deux hommes se sont donné la mort ces derniers jours pour des raisons liées à la situation économique du pays, à en croire les témoignages de leurs proches. Mardi matin, Aymane Bou Dergham, un nutritionniste de 33 ans, a mis fin à ses jours dans son village de Kfarhim, dans le Chouf, après plusieurs mois de chômage. Dimanche dernier, c’est Khalil Daou, musicien de 32 ans et détenteur d’une maîtrise en littérature, qui s’est suicidé en raison de difficultés financières. S’il est encore tôt pour mesurer l’impact de la crise économique sur la santé mentale des Libanais, de nombreux cas de suicide enregistrés ces derniers mois seraient liés à la situation délétère qui prévaut dans le pays.
Selon une source proche de la famille Bou Dergham contactée par L’Orient-Le Jour, Aymane souffrait de sa situation de chômeur, lui qui était rentré récemment au Liban dans l’espoir d’y travailler, après avoir passé plusieurs années à l’étranger. Le père d’Aymane n’était pas disponible hier pour fournir plus de détails. Quant à Khalil, il était également dans une situation précaire aux niveaux financier et professionnel, selon les témoignages publiés par ses amis sur les réseaux sociaux. « Khalil s’est suicidé. Il a essayé, en vain, de trouver un emploi dans son domaine de spécialisation. Il a fini par travailler comme gardien de sécurité pour aider sa famille. Il a perdu espoir après avoir trimé et passé des nuits sans sommeil », a écrit un de ses amis sur Facebook il y a quelques jours. « Un jeune et talentueux musicien a mis fin à ses jours. Je ne sais pas comment réagir face à cette nouvelle. Repose en paix, tu mérites cette paix après cette vie injuste », a témoigné un autre de ses amis.
Mardi dernier à Beyrouth, c’est un père de famille désespéré en raison de la crise économique et des restrictions bancaires sur les retraits qui avait menacé de s’immoler par le feu, après le refus de sa banque de lui donner la somme d’argent qu’il demandait. Une vidéo le montrant une bouteille d’essence à la main et menaçant de s’immoler a fait le tour des réseaux sociaux. L’homme a finalement été maîtrisé par un employé de la banque qui a réussi à lui arracher la bouteille d’essence. Le mois dernier, un Tripolitain de 45 ans était, lui, passé à l’acte, en s’immolant par le feu à son domicile, en raison de problèmes financiers là aussi, selon les témoignages de ses voisins.
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Suicide et stigmatisation
« Au Liban, une personne meurt après une tentative de suicide tous les deux jours et demi. Le taux de mort par suicide en 2018 était de 157, il est passé à 171 en 2019 », indique à L’OLJ Léa Zeinoun, directrice exécutive de l’ONG Embrace, qui travaille pour la sensibilisation aux problèmes de santé mentale. « Nous n’avons pas encore de chiffres pour les premiers mois de 2020. Il faut d’ailleurs savoir que tous les cas de suicide ne sont pas déclarés, à cause de la stigmatisation sociale qui entoure la santé mentale au Liban », ajoute-t-elle. Une ligne verte pour la prévention contre le suicide (1564) est opérée par Embrace, en collaboration avec le Programme national de santé mentale, relevant du ministère de la Santé. Cette ligne offre un soutien psychologique en toute confidentialité, tous les jours de midi à 5h30 du matin. « Aujourd’hui, de nombreux suicides sont liés à la crise économique. Deux facteurs importants sont à prendre en compte : la faim et le sentiment de perdre sa dignité, qui peuvent pousser un être humain à se donner la mort, à cause de sa situation sociale », explique le psychanalyste Chawki Azouri à L’OLJ. Il rappelle dans ce cadre la fin tragique de Naji Fliti, tailleur de pierres de 40 ans et père de deux enfants, qui avait été retrouvé pendu près de son domicile à Ersal, en décembre dernier. « Naji Fliti s’est donné la mort après s’être retrouvé dans l’incapacité de donner de l’argent à sa fille pour s’acheter de quoi manger à l’école », rappelle le psychanalyste.
Quelques jours après le suicide de Naji Fliti, un autre père de famille lourdement endetté, Dany Abou Haïdar, s’était donné la mort par balle à Nabaa. Il y a un an, cette série noire avait commencé avec le suicide de Georges Zreik qui s’était immolé par le feu devant le collège de ses enfants à Bkeftine, dans le Koura (Liban-Nord), car il était incapable de payer leurs frais de scolarité. En septembre dernier, Georges K., la cinquantaine, père de deux enfants âgés de 13 et 9 ans, avait également tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu devant le Palais de justice de Beyrouth, après avoir perdu un procès qui devait lui permettre de récupérer une somme d’argent dont il avait grandement besoin. « Si on est face à une personne qui présente des idées suicidaires, il faut la pousser à consulter, conseille Chawki Azouri. Le psychiatre peut prescrire des médicaments qui ont une action permettant de freiner, au niveau du cerveau, les pulsions suicidaires. Lorsqu’un patient ayant des pensées suicidaires vient nous voir, nous lui expliquons avant tout qu’il existe d’autres moyens pour exprimer sa douleur. »
Pour mémoire
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commentaires (10)
Honte à vous les politiciens ! Votre peuple sombre et vous persistez dans vos marchandages et vos querelles à trois sous.
Joseph KHOURY
22 h 37, le 01 mars 2020