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Culture - Théâtre

Françoise Gillard : les héroïnes d’aujourd’hui posent les mêmes questions que celles d’hier

La comédienne française, sociétaire de la Maison de Molière, se produit ce vendredi soir sur la scène du Théâtre Montaigne dans le cadre du Festival international des féminismes. Elle y interprète « L’Événement », un monologue adapté d’un récit autobiographique d’Annie Ernaux.

Francoise Gillard, une grande « comédienne du français ». Photo Stéphane Lavoué

C’est un texte cru, fort, qui aborde sans artifices un événement traumatisant dans la vie d’une femme : l’expérience d’une interruption volontaire de grossesse dans une société où le droit à l’avortement n’est pas encore acquis.

Des décennies après avoir eu recours aux bons offices d’une faiseuse d’anges, Annie Ernaux raconte, dans L’Événement (Gallimard, paru en 2000), son avortement clandestin au début des années soixante en France. La grande romancière est encore une étudiante en lettres lorsqu’elle tombe enceinte en 1963. Elle ne se sent pas prête pour élever un enfant. Et, faisant fi des préjugés et autres interdictions (la loi Veil de 1975 est encore loin), elle décide, au péril de sa vie, de ne pas le garder. C’est cette décision et son difficile vécu qu’elle partage avec ses lecteurs/lectrices dans ce récit qui relate les trois mois séparant la période où elle découvre sa grossesse et les jours qui suivent son avortement.

Ce texte, certes autobiographique mais qui reste d’une grande qualité littéraire, Françoise Gillard, sociétaire de la Maison de Molière, s’en est emparée pour lui donner voix et corps sur scène dans le cadre du studio-théâtre de la Comédie-Française. Son message puissamment féministe et humain ne pouvait mieux s’accorder qu’avec ce premier Festival international des féminismes au Liban. Car « il rappelle que la liberté des femmes de disposer de leur corps n’est pas toujours et en tout lieu un combat gagné », signale à L’OLJ son interprète, au cours d’un entretien express mené par courrier électronique la veille de sa performance sur les planches du théâtre Montaigne de l’Institut français du Liban.


Françoise Gillard, vous avez adapté pour la scène et vous interprétez régulièrement depuis trois ans « L’Événement » d’Annie Ernaux. Comment avez-vous découvert ce texte et qu’est-ce qu’il fait résonner en vous ?
En fait, je l’ai découvert grâce à Denis Podalydès (NDRL : acteur et également sociétaire de la Maison de Molière) qui, depuis très longtemps, avait envie de me faire travailler un texte d’Annie Ernaux. Quand il me l’a proposé, j’ai su que c’était celui-là, autant pour la qualité de son écriture que par le sujet qu’il aborde. Celui de l’avortement et du droit des femmes à disposer de leur corps, qu’il me paraissait absolument fondamental de faire entendre encore aujourd’hui. En tant que femme, j’ai voulu dire ce que les jeunes femmes vivaient en France avant la loi Veil de 1975, en suivant le parcours de l’une d’entre elles, dans sa solitude et son empêchement d’être libre par rapport à son corps…


Est-ce votre première visite au Liban? Et qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y produire, avec cette pièce en particulier ?
C’est mon premier voyage au Liban. Je ne connais pas ce pays, je ne connais pas Beyrouth. J’avais envie d’y présenter ce spectacle d’abord parce que j’y ai été invitée, et ensuite parce que j’apprécie le fait de participer à un festival sur les femmes.


Monter sur scène un récit autobiographique sur l’avortement, même littéraire, n’est-il pas avant tout un acte politique et féministe militant ? D’autant que vous venez présenter cette pièce dans un pays où le statut personnel est régi par les lois religieuses et l’avortement interdit en dehors de cas médicaux spécifiques.
Cette pièce, je la trouve belle et importante. La faire entendre dans un pays où l’avortement n’est pas un droit acquis, comme c’était le cas il n’y a pas si longtemps en France, me semble aussi important que de la faire entendre ailleurs : fondamentalement, ce texte parle de la liberté des femmes et en cela, elle est universelle (…) Pour moi, venir la présenter au Liban a beaucoup d’importance, mais je ne suis pas pour autant une féministe militante. Je ne prône rien. Je fais entendre une expérience à travers une grande auteure au texte merveilleux et fort. Ce que je souhaite, c’est faire entendre la langue d’Annie Ernaux, son verbe au service d’un sujet que je pense important pour les femmes dans le monde entier, qui est la liberté à disposer de leur corps. Dans de nombreux pays, elles n’en disposent pas, elles ne sont pas libres par exemple de choisir d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant. C’est important de faire résonner cette chose-là.


Qu’est-ce que cela représente d’être sociétaire de la Comédie-Française au XXIe siècle ?
Je pense que c’est une grande chance d’être sociétaire au XXIe siècle ! C’est une maison qui évolue et bouge beaucoup : elle était là avant nous, elle sera là après nous. C’est une maison de son temps qui se doit de respecter les traditions, le répertoire. Elle a un mode de fonctionnement unique au monde sur la singularité de sa troupe et son principe d’alternance. Être sociétaire aujourd’hui, c’est défendre les grands textes classiques mais aussi contemporains ; c’est défendre le théâtre et l’art… Ce que l’art peut exprimer, pas uniquement sur le mode du divertissement, mais surtout de notre manière de réfléchir sur notre monde, de proposer un débat et d’ouvrir des idées.


Comment passe-t-on des héroïnes classiques comme Antigone ou Roxane à Annie Ernaux ?
Je suis comédienne, donc je suis une pâte à modeler. Travailler des héroïnes classiques comme Antigone ou Roxane et puis me retrouver dans un répertoire absolument contemporain, c’est là que réside la magie de notre métier. Ce qui fait sa singularité. S’adapter à chaque œuvre, chaque rôle, chaque répertoire, chaque metteur en scène et sa vision… Et d’être le plus disponible à ce que propose l’œuvre. Les acteurs existent avant tout par les œuvres qu’ils défendent, que ce soit des grandes œuvres contemporaines ou classiques. (…) Et puis, je me rends compte que les héroïnes d’aujourd’hui parlent des mêmes choses, des mêmes émotions et grandes questions de l’humanité que celles d’hier. Toutes ces interrogations qui traversent le temps. Les grandes œuvres sont celles qui ont su traiter le registre des émotions et des sentiments humains. C’est pour ça qu’elles restent d’actualité.


« L’Événement », adaptation du récit autobiographique d’Annie Ernaux, ce vendredi 28 février au soir (20h30) ; Théâtre Montaigne de l’Institut français du Liban (rue de Damas). Entrée libre.



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Françoise Gillard : les héroïnes d’aujourd’hui posent les mêmes questions que celles d’hier ET Le calvaire de Lina, divorcée et mère, un cas récurrent au sein de la communauté chiite RIEN QUE LIRE CES DEUX ARTICLES POUR FAIRE LE PORTRAIT DU LIBAN ACTUEL. PAYS AUX MULTIPLES FACETTES ET RÉALITÉS SOCIALES. LE CALVAIRE DE LA MAMAN EST INSUPPORTABLE. POUR LE SPECTACLE INSPIRÉ DU TEXTE D’ANNIE ERNAUX, LE PUBLIC EST INVITE ET L’ENTREE EST LIBRE, ALORS QUE POUR LA MAMAN QUI HURLE SA DOULEUR POUR ""VOIR"" SA FILLE SOUS TERRE, ""DERRIÈRE UN GRILLAGE"", ELLE PEUT ATTENDRE... C. F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

01 h 24, le 28 février 2020

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  • Françoise Gillard : les héroïnes d’aujourd’hui posent les mêmes questions que celles d’hier ET Le calvaire de Lina, divorcée et mère, un cas récurrent au sein de la communauté chiite RIEN QUE LIRE CES DEUX ARTICLES POUR FAIRE LE PORTRAIT DU LIBAN ACTUEL. PAYS AUX MULTIPLES FACETTES ET RÉALITÉS SOCIALES. LE CALVAIRE DE LA MAMAN EST INSUPPORTABLE. POUR LE SPECTACLE INSPIRÉ DU TEXTE D’ANNIE ERNAUX, LE PUBLIC EST INVITE ET L’ENTREE EST LIBRE, ALORS QUE POUR LA MAMAN QUI HURLE SA DOULEUR POUR ""VOIR"" SA FILLE SOUS TERRE, ""DERRIÈRE UN GRILLAGE"", ELLE PEUT ATTENDRE... C. F.

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