Rechercher
Rechercher

Société - Interview

Quand un historien allemand se penche sur la tragédie arménienne

L’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) a organisé récemment à Beyrouth un séminaire sur le génocide auquel a participé Rolf Hosfeld, qui a notamment effectué des recherches dans les archives allemandes de l’époque sur la question.

L’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) a organisé récemment à Beyrouth un séminaire sur le génocide auquel a participé Rolf Hosfeld, qui a notamment effectué des recherches dans les archives allemandes de l’époque sur la question.

Journaliste et historien allemand, Rolf Hosfeld est un spécialiste du génocide arménien. Il a réalisé de nombreux documentaires, notamment sur l’Arménie et l’histoire du fascisme européen. Il figure parmi les personnalités à l’origine de la création de la Maison Lepsius, un musée et centre de recherche sur la notion de génocide. Il en assure aujourd’hui la direction académique. Il perpétue ainsi l’héritage de Johannes Lepsius, orientaliste précurseur de la documentation du génocide arménien, dont l’ancienne demeure à Potsdam abrite les locaux de l’institution. À l’occasion de sa participation au séminaire annuel de l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) qui vient de se tenir à Beyrouth, il a exposé à L’Orient-Le Jour son parcours et ses recherches sur la tragédie arménienne du début du siècle.

Dans quel contexte vous êtes-vous intéressé pour la première fois à la question du génocide arménien ?

Tout a commencé en 1998, avec un article que j’ai publié dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. J’y traitais d’Armin T. Wegner, un auteur allemand témoin du génocide alors qu’il était soldat sur le territoire de l’Empire ottoman. Je n’en parlais que brièvement, mais cela a suffi à me valoir une lettre de l’ambassadeur turc de l’époque. Cette petite mésaventure m’a fait réaliser que la question du massacre arménien, qui n’était pas présente dans le débat européen, était suffisamment sensible pour générer ce genre de réaction des officiels turcs. C’est ce qui a lancé mon intérêt pour cette question.

Sur le plan académique, vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, et notamment d’« Opération Némésis » en 2005. Pouvez-vous nous en parler ?

Pour ce projet, j’ai dû me plonger dans les archives. D’abord dans celles du ministère allemand des Affaires étrangères. En tant qu’alliée de l’Empire ottoman pendant le conflit, l’Allemagne avait sur le terrain un grand nombre de militaires et de diplomates ainsi que des ressortissants dans les secteurs-clefs de l’économie. Cette présence générait énormément d’informations qui étaient collectées et traitées dans des rapports écrits par les consulats, puis centralisées à l’ambassade d’Istanbul. Sur la situation interne de l’Empire ottoman à l’époque, je pense qu’on peut dire qu’il n’y a pas de meilleures archives que celles conservées en Allemagne. Le livre s’appuie aussi sur des témoignages et les travaux des historiens qui m’ont précédé. Ces recherches m’ont amené à raconter l’histoire du génocide dans un livre à destination du grand public, qui s’inscrit dans le mouvement du « nouveau journalisme », à mi-chemin entre travail journalistique et littéraire. Le titre, Opération Némésis, rappelle le nom de la campagne d’assassinats menée par des militants arméniens contre les décideurs du nettoyage ethnique. Mais j’y reprends également toute la chronologie des relations entre les Jeunes-Turcs et les Arméniens.

Les autorités allemandes avaient donc une certaine connaissance du processus génocidaire à l’œuvre en Anatolie. Étaient-elles conscientes de la différence entre ce qui était en train de se passer et les massacres des décennies précédentes ?

Le génocide s’est déroulé d’une manière différente de celle des massacres du XIXe et du début du XXe siècle. Est-ce que les Allemands auraient pu agir à un moment donné pour prévenir ce génocide ? C’est discutable. Ils en ont pris conscience tard, alors que la machine génocidaire était déjà lancée.

Après l’arrestation des intellectuels arméniens le 24 avril 1915, même les leaders politiques de cette communauté n’ont pas compris ce qu’il se passait. En réalité, l’ambassadeur allemand n’a commencé à douter de la version du gouvernement ottoman qu’à partir de juillet 1915. Le génocide était organisé par des unités spéciales, les Teşkilat-i Mahsusa, directement sous le contrôle du parti Jeunes-Turcs, ce qui a contribué à retarder la prise de conscience. La représentation militaire allemande était peu nombreuse, pas plus de 200 officiers, dispersés sur les différents théâtres orientaux du conflit et divisés sur la posture à adopter. Au final, même si les autorités allemandes ne se sont jamais opposées franchement au génocide, il ne faut pas exagérer l’impact qu’elles auraient pu avoir.

Votre livre a-t-il ramené le génocide arménien dans le débat public en Allemagne ?

Il a été publié en 2005, à l’occasion du 90e anniversaire du génocide arménien. La conjoncture conduisait naturellement à un retour de ce sujet sur le devant de la scène. La question a fait l’objet d’un débat au sein du Parlement, pour la première fois depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Forcément, les discussions se nourrissaient en grande partie des informations issues de mon livre, car il s’agissait du plus récent et probablement du plus accessible sur le sujet. La résolution qui vit le jour à la suite de ce processus politique était ambivalente. D’une part, elle reconnaissait la posture condamnable du gouvernement allemand de l’époque et le rôle important tenu par Johannes Lepsius en tant que lanceur d’alerte précoce. D’autre part, elle ne mentionnait nulle part le terme de « génocide » pour désigner ce qui s’était passé dans l’Empire ottoman à partir de 1915. Malgré tout, c’était la première fois que le public allemand entendait autant parler de cet épisode historique, par les politiques mais aussi par les critiques de mon livre publiées dans les journaux.

Quel est votre rapport avec l’UGAB, dans le sillage du séminaire auquel vous avez participé à Beyrouth ?

J’ai été invité à Beyrouth il y a trois ans pour la première édition de ce séminaire. Cela a conduit à ce que j’espère être une relation de long terme.

Dans mon intervention de cette année, j’explorais d’abord comment les politiques de haine encouragées par l’État pouvaient se révéler particulièrement dangereuses. On le voit dans le génocide arménien : la haine à l’égard de ce peuple n’était pas particulièrement populaire dans l’Empire ottoman de l’époque, et c’est une importante propagande qui a permis de rendre les massacres acceptables. L’autre sujet abordé était la manière dont les solutions violentes aux problèmes politiques finissent par prévaloir, notamment via l’usage de la métaphore médicale. Dans le cas du nationalisme extrême du pouvoir ottoman de l’époque, les chrétiens d’Anatolie étaient perçus comme des « microbes », menaçants pour la sécurité du cœur de l’empire. Les seules solutions dans ce schéma de pensée étaient l’expulsion de ces éléments problématiques, c’est ce qui s’est passé avec les Grecs d’Asie mineure, ou leur massacre, comme dans le cas des Arméniens.

Un génocide pourrait-il avoir lieu dans le monde globalisé d’aujourd’hui, au même titre qu’au vingtième siècle ?

Aujourd’hui, d’autres choses plus ou moins proches se passent. Les Ouïghours de Chine sont envoyés dans des camps de rééducation. Ça ne veut pas forcément dire que le gouvernement chinois souhaite les tuer, mais il s’agit également d’effacer une culture. En Irak ou en Syrie, des groupes armés persécutent des minorités, comme les yézidis, en les poussant quasiment jusqu’à la disparition. Cependant, lorsque l’on parle de génocide, il y a cette idée d’une planification étatique des massacres. C’est ce qui est absent de ce type de phénomènes, mais je ne peux pas dire si cela ne pourrait pas se reproduire un jour.

Journaliste et historien allemand, Rolf Hosfeld est un spécialiste du génocide arménien. Il a réalisé de nombreux documentaires, notamment sur l’Arménie et l’histoire du fascisme européen. Il figure parmi les personnalités à l’origine de la création de la Maison Lepsius, un musée et centre de recherche sur la notion de génocide. Il en assure aujourd’hui la direction...

commentaires (2)

SUR LE GENOCIDE DES ARMENIENS ET DES GRECS ET CHRETIENS DE L,ASIE MINEURE ET DE L,ANATOLIE PERPETRE PAR LES OTTOMANS DONT SE RECLAME AUJOURD,HUI L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN ERDO. LISEZ SON NOM EN ARABE !

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 55, le 19 février 2020

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • SUR LE GENOCIDE DES ARMENIENS ET DES GRECS ET CHRETIENS DE L,ASIE MINEURE ET DE L,ANATOLIE PERPETRE PAR LES OTTOMANS DONT SE RECLAME AUJOURD,HUI L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN ERDO. LISEZ SON NOM EN ARABE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 55, le 19 février 2020

  • J'espère qu'un jour, Rolf Hosfeld, nous parlera du génocide par la famine perpétré par les Ottomans des chrétiens du Mont-Liban en 1915 suite auquel le tiers des habitants sont morts de faim, le deuxième tiers ont émigré et le troisième tiers sont restés au pays de leurs ancêtres et leurs aïeux.

    Un Libanais

    18 h 08, le 19 février 2020

Retour en haut