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Politique - Travailleurs émigrés

Devant leur ambassade, les Bangladais assurent n’avoir désormais qu’une envie : partir !

Frappés de plein fouet par la crise, les travailleurs bangladais réclament l’aide de leur ambassade pour regagner leur pays.

Chassés de leur ambassade, des migrants se sont installés dans une cantine attenante. Photos Béchara Maroun

« Dispersez-vous ! Je ne veux plus vous voir ! » Devant l’entrée du modeste immeuble où sont logés les bureaux de l’ambassade du Bangladesh, à Bir Hassan, un policier en uniforme tente de disperser un petit groupe de Bangladais, en ce mercredi aux alentours de midi. Il crie et répète : « Allez-vous-en ! » Ironie de l’histoire, partir est précisément ce que désirent ces jeunes Bangladais rassemblés devant leur ambassade. Quitter le Liban au plus tôt et rentrer chez eux.

Alors que le policier s’agite de plus en plus, en haussant le ton, le groupe se disperse. Deux Bangladais se rabattent alors sur la petite cantine attenante, « Estirahit el-Safara », où sont attablés d’autres de leurs compatriotes, les uns plus dépités que les autres. « Cela fait 10 mois que je suis sans travail, raconte l’un d’eux, Fahad. Je suis au Liban depuis cinq ans, mon ami depuis huit ans. Mais voilà, il n’y plus d’argent. Je suis venu hier, mais on m’a dit de revenir aujourd’hui. Et là, le policier nous annonce que c’est fermé et qu’il faut revenir un autre jour. »

Sortant son téléphone, une femme montre un message qu’elle affirme avoir reçu de la part de l’ambassade. « J’ai un rendez-vous aujourd’hui, se plaint-elle. Et le Libanais me dit d’attendre la nouvelle date sur Facebook. Je ne veux plus attendre. Je suis malade. »


« Plus rien à faire au Liban »
Shereen, la mine sombre au-dessus de sa robe fuchsia, est accompagnée d’une de ses amies. Elle se demande comment elle va faire pour savoir quand revenir à l’ambassade puisqu’elle n’a pas de compte Facebook pour être informée. « Je suis arrivée au Liban il y a quatre ans et maintenant je veux partir, dit-elle, un formulaire à la main. Ce n’est pas seulement une question d’argent, mais mon employé ne m’a jamais fait mes papiers. Mon amie, elle, est venue grâce à un contrat de travail. Sa patronne a fait en sorte que tout soit en règle pour elle. Mais moi, je n’ai pas de papiers et je dois passer par l’ambassade. Il me faudra payer 500 dollars pour mon billet et je pourrai peut-être partir dans 6 mois, si tout va bien. »

Selon l’Organisation internationale du travail (ILO), en 2016, 23 % des travailleurs domestiques migrants au Liban étaient bangladais. De récentes études de l’Organisation suggèrent aussi que de nombreux employeurs libanais préfèrent recruter des personnes originaires du Bangladesh car elles constituent la main-d’œuvre la moins chère.

Près de Shereen, son amie Palki semble plus souriante. Elle a décidé de rester au Liban, malgré la crise financière, l’inflation et les restrictions sur la circulation du billet vert qui ont dopé le taux livre/dollar chez les changeurs. « Ça va toujours, mais Madame me paie désormais en livres libanaises », confie-t-elle. « Je n’envoie donc plus d’argent à ma famille. Le dollar est devenu tellement cher ! »

Rafi, un ami des deux femmes, les rejoint à la table. Lui aussi veut rentrer chez lui. « Je travaillais dans une usine de fabrication de chaussures, mais maintenant il n’y a plus rien à faire pour moi au Liban, dit-il. Il n’y a plus de travail pour nous. Même si nous allons être au chômage au Bangladesh, nous serons au moins proches de nos familles. » Et d’ajouter : « Hier, une grosse dispute a éclaté ici. Les policiers nous ont chassés. Il y avait plus de 500 personnes, toutes voulaient rentrer au Bangladesh. »


Clash avec les policiers
La veille, quelques centaines de Bangladais s’étaient en effet regroupés devant l’ambassade, qui avait donné de nombreux rendez-vous. Des échauffourées avaient alors éclaté entre eux et les policiers. « C’est parce que vous frappez les femmes, vous les Libanais ! », s’insurge Shereen.

« Ils nous ont battus sans raison, raconte un jeune homme de 24 ans, qui assure se prénommer Hitler. Je ne suis là que depuis quatre mois. Je travaillais dans une compagnie de nettoyage. Quand la révolution a commencé, la compagnie a fermé. Mon garant qui m’avait pris mon passeport ne me l’a pas rendu. Tous nos passeports sont encore avec lui, et c’est l’ambassade qui doit les récupérer. Alors seulement je pourrai partir, en payant 500 dollars mon billet d’avion. Le problème étant que je n’ai pas de dollars. » Résigné, Hitler veut trouver un autre pays où il pourra travailler. « Ces policiers ne comprennent pas que nous avons des familles, des mamans qui comptent sur nous », ajoute-t-il. En partant, il assure qu’il reviendra vendredi.

Devant l’ambassade, un van se gare. Tandis que la dizaine de migrants bangladais qui se trouvent à son bord se préparent à descendre, ils sont arrêtés par un gendarme qui accourt et interroge le chauffeur. « C’est fermé aujourd’hui, crie-t-il aussitôt. Ne descendez pas. Partez, les “Bengal” ! Je ne veux plus voir personne devant l’ambassade. »

Alors que le véhicule reprend sa route, Nafis, qui vit au Liban depuis déjà trois ans, se demande comment il va survivre durant les mois à venir, en attendant son départ. Quand le gendarme disperse un autre groupe de ses compatriotes, il se plaint : « Toutes les ambassades du Bangladesh, que ce soit au Qatar, en Arabie saoudite ou à Dubaï, respectent les gens. Sauf celle de Beyrouth. Ici, on nous traite comme si nous n’avions pas de problèmes. Mais la crise nous a touchés aussi… »



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Abolissez l'esclavage ! Laissez les partir librement.

Georges Lebon

08 h 50, le 07 février 2020

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Commentaires (1)

  • Abolissez l'esclavage ! Laissez les partir librement.

    Georges Lebon

    08 h 50, le 07 février 2020

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