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Monde - Éclairage

Les quatre grands enjeux d’une annexion partielle de la Cisjordanie

Le développement des colonies israéliennes a déjà mis à mal les fondements d’une solution à deux États. L’annonce du plan de paix pour le Proche-Orient par l’administration américaine risque de l’enterrer pour de bon.

Des enfants palestiniens jouent dehors dans le village d’al-Eizariya, les colonies juives de Maale Adumin en arrière-plan, Cisjordanie occupée, 20 juillet 2019. Photo Reuters

Le plan de « paix » de l’administration américaine pour le Proche-Orient est attendu dans la journée, suscitant d’ores et déjà la colère de l’Autorité palestinienne. Selon des fuites publiées par les médias israéliens, la manœuvre américaine entérinerait les velléités d’exercice de la souveraineté israélienne sur une partie de la Cisjordanie occupée, sapant les bases d’un futur État palestinien. En un mot, il s’agirait d’une annexion. Dans les faits, cette annexion est déjà une réalité, au moins partielle. Preuve en est, l’application croissante de lois israéliennes ou encore l’aménagement d’infrastructures reliant les colonies au territoire israélien. Les négociations d’Oslo ont abouti à une division du statut des territoires en trois zones différentes ainsi qu’à une séparation des régimes de droit. Le contenu exact du plan de paix est à cette heure-ci inconnu. Mais il présente déjà plusieurs enjeux.

L’annexion entraînerait l’application du droit israélien sur de nouvelles parties du territoire. Un changement de régime de droit traduirait « une mainmise israélienne renforcée sur de larges pans des Territoires occupés », estime Maha Abdallah, conseillère légale au centre al-Haq, une ONG palestinienne. Il se manifesterait par un déplacement des frontières qui pourrait entraîner la perte brutale de licences pour des commerçants palestiniens, ou bien encore la dépossession de titres de propriété avec l’application de la « loi des absents ». Les conséquences pratiques pourraient également inclure « un resserrement des restrictions de mouvement », estime Maha Abdallah.

L’annexion ouvre par ailleurs la voie à un changement de statut légal pour les habitants de Cisjordanie. Outre les 500 000 colons juifs qui y vivent, la population qui y réside est majoritairement palestinienne. Elle est soumise à une administration civile, palestinienne ou militaire en fonction du lieu de résidence. Le statut des habitants pourrait changer via par exemple l’attribution d’un statut mixte de « résident » et/ou la possibilité de demander la citoyenneté israélienne.

Les précédents historiques, lors de l’annexion de Jérusalem-Est, montrent pourtant qu’une vaste majorité des habitants n’acquiert pas la citoyenneté et n’a donc pas la possibilité de voter ni d’être représentée au sein des institutions. Bien au contraire, la complexité du statut juridique a signifié une restriction accrue des droits et libertés de ces résidents. Une telle situation en Cisjordanie entérinerait une réalité d’apartheid.

Une question de survie pour l’Autorité palestinienne

L’Autorité palestinienne (AP) a appelé hier la communauté internationale à boycotter le projet de paix américain pour le Moyen-Orient. Le président palestinien Mahmoud Abbas a refusé de discuter avec son homologue américain, jugé beaucoup trop partisan. Les autorités palestiniennes ont fait savoir dimanche dernier, par la voix du secrétaire général de l’OLP, Saëb Erekat, qu’elles envisageaient de se retirer des accords d’Oslo si le président américain annonçait son deal du siècle. L’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie remettrait en question la raison d’être de l’AP, organe exécutif de l’autonomie palestinienne issu des accords d’Oslo. À l’origine, il s’agissait de centraliser les pouvoirs sur une période transitoire de cinq ans, avant l’accession à un État palestinien indépendant. Si une partie de la Cisjordanie est annexée, cela enterrerait officiellement les accords d’Oslo et condamnerait ainsi l’AP.

« Il n’est plus possible de mettre en œuvre la déclaration de principe propre au processus d’Oslo. Cette dernière n’est plus valide car Israël a violé toutes ses obligations », explique à L’Orient-Le Jour Hanane Achraoui, membre du comité exécutif de l’OLP. « Cela signifie que les Palestiniens ne sont plus liés par cet accord et qu’ils peuvent prendre des mesures qui sortent de ses paramètres, y compris concernant la redéfinition de leurs arrangements sécuritaires et économiques », ajoute-t-elle.

Mahmoud Abbas avait déjà déclaré en juillet 2019 la fin de tous les accords avec Israël, incluant ceux relevant de la coordination sécuritaire en Cisjordanie. Mise en place avec les accords d’Oslo, la collaboration sécuritaire entre les deux parties s’étend à divers domaines, parmi lesquels la circulation des biens et des personnes, ainsi que l’échange d’informations relatives à la sécurité.

« Les Palestiniens en veulent à leur leadership d’avoir poursuivi la coordination sécuritaire avec les autorités israéliennes, alors que ces dernières ont été de plus en plus claires au cours des années et ont montré leur désintérêt à discuter avec les Palestiniens de dossiers autres que la question sécuritaire », décrypte Tarek Baconi, analyste au sein du Crisis Group. « Il y a une tendance croissante parmi les Palestiniens appelant les leaders à cesser de jouer le jeu du processus de paix et à reconnaître qu’il faut qu’il y ait un changement de stratégie et que l’AP ne peut plus se justifier dans sa forme actuelle », ajoute-t-il.

La remise en question des accords de sécurité est au cœur des revendications d’une partie de la population palestinienne qui considère que cette coordination sert d’abord les intérêts israéliens, notamment la poursuite de la colonisation, tout en permettant à l’Autorité de réprimer ses opposants. « Nous entrons dans une ère complètement nouvelle qui signifierait que l’AP n’est plus viable, puisqu’elle était supposée être un instrument de gouvernance pour la période intermédiaire avant la formation d’un État », commente Mme Achraoui.


(Lire aussi : La paix sans les Palestiniens, le commentaire de Anthony SAMRANI)



Un débat interne en Israël

Une annexion immédiate des territoires de la zone C, sous contrôle civil et militaire israélien, représenterait une victoire indéniable pour Israël. Le débat interne, dans la mesure où il interroge l’essence de l’État, est pourtant plus compliqué. L’État a-t-il vocation à être juif, et donc à préserver un équilibre démographique ? Ou bien devrait-il se penser comme démocratique, et donc accorder à tous les mêmes droits, au risque de renoncer à son caractère juif ? La question divise.

Une partie de la classe politique israélienne s’oppose à l’annexion totale de la Cisjordanie en ce qu’elle représenterait une « bombe démographique à retardement » susceptible, à terme, de menacer l’existence même d’Israël. Dès 1967, le plan Allon prévoit un partage des Territoires occupés de manière à contourner la présence d’un maximum de populations palestiniennes au sein du territoire israélien. Le plan de paix qui devrait être présenté devrait vraisemblablement respecter les mêmes logiques démographiques, à savoir ne pas inclure les zones les plus peuplées par les Palestiniens.

Malgré ces garde-fous, le débat israélien concerne moins la possibilité d’une annexion que les conditions pratiques de son application. « Sur le sujet de l’annexion, la question pour les Israéliens est vraiment de connaître les modalités d’un contrôle de la population palestinienne », estime Tarek Baconi. Les deux grandes formations politiques, celle menée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et celle de son concurrent, Benny Gantz, approuvent aujourd’hui le projet d’annexion partielle.

En marge des formations dominantes, des voix dissonantes qui peinent à se faire entendre. « Le système politique n’est pas parvenu à accorder un espace aux petits partis qui ont formulé une vision cohérente d’un avenir qui ne serait plus ancrée dans l’oppression continue des populations occupées », estime Omar Shakir, directeur pour le programme Israël/Palestine à Human Rights Watch. L’opinion publique israélienne semble également pour partie réticente à l’idée d’une annexion, lui préférant « une forme de séparation ou de détachement » d’avec les Palestiniens, estime Tarek Baconi. Selon un sondage publié par le quotidien israélien Haaretz en 2019, seulement 42 % des Israéliens soutiendraient une forme d’annexion de la Cisjordanie, partielle ou totale.



(Lire aussi : L'EI dit vouloir lancer une "nouvelle phase" en ciblant Israël)



La fin de la solution à deux États ?

L’annexion d’une partie de la Cisjordanie porterait un coup mortel à l’esprit d’Oslo et à la solution à deux États, soit la fin du paradigme ayant dominé jusqu’ici le droit international et les positions des divers acteurs engagés dans la résolution du conflit. Alors que l’administration Trump s’est entièrement défaite des semblants de neutralité qui ont marqué ses prédécesseurs, se pose désormais la question des prises de position des autres acteurs sur la scène régionale et internationale, à commencer par l’Union européenne et la Ligue arabe.

Jusqu’à présent, la rhétorique européenne s’en est toujours tenue à un soutien clair à la solution à deux États. Si cette dernière n’est officiellement plus à l’ordre du jour, et ce avec le feu vert de Washington, les Européens seraient plus que jamais contraints de choisir entre des positions de principe, sans réelle prise avec le terrain, ou d’opter pour un discours plus offensif.

« Nous attendons de l’Union européenne qu’elle respecte sa propre législation et ses propres prises de position, c’est-à-dire qu’elle réaffirme l’illégalité des colonies et de l’annexion de Jérusalem et qu’elle réitère son engagement pour une solution à deux États », affirme Hanane Achraoui. « Mais nous attendons plus qu’une déclaration, il faut des actions. Non seulement reconnaître la Palestine, mais demander également des comptes à Israël », poursuit-elle.

Quant aux pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, ils pourraient se trouver face à un casse-tête diplomatique. Galvanisé par l’hostilité commune qu’il partage avec Israël pour l’Iran, Riyad a, depuis l’arrivée au pouvoir du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, tenté d’amorcer un rapprochement avec les autorités israéliennes, quoique entravé par son père le roi Salmane. Malgré les signes de modération de la position traditionnelle saoudienne, les lignes rouges sont toujours présentes. Alors qu’Israël avait officiellement autorisé dimanche dernier ses ressortissants à se rendre en Arabie saoudite pour des séjours religieux ou d’affaires sans avoir à passer par un pays tiers, le royaume wahhabite lui a opposé hier une fin de non-recevoir par la voix du ministre des Affaires étrangères qui a déclaré que les Israéliens n’étaient pas les bienvenus.



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Le plan de « paix » de l’administration américaine pour le Proche-Orient est attendu dans la journée, suscitant d’ores et déjà la colère de l’Autorité palestinienne. Selon des fuites publiées par les médias israéliens, la manœuvre américaine entérinerait les velléités d’exercice de la souveraineté israélienne sur une partie de la Cisjordanie occupée, sapant...

commentaires (6)

C'est du vol manu militarei, ledroit international est mort Les Etats -Unis en ont décidé , et ce sont donc eux qui redistribuent la carte du monde . Inadmissible . Et le Liban payera les conséquences : Ils nous obligeront a donner la natiobalité libanaise aux refugiés palestiniens : Pas de droit de retour ! C'est le plus gros danger contre l'existence du Liban , la Palestine est morte, le Liban la remplace comme patrie des palestiniens refugiés depuis 1947 et tous les autres qui sont arrivés chez nous après cela Injustice trop forte , trop flagrante , les Etats-Unis sont un Etat voyou

Chucri Abboud

21 h 37, le 28 janvier 2020

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Commentaires (6)

  • C'est du vol manu militarei, ledroit international est mort Les Etats -Unis en ont décidé , et ce sont donc eux qui redistribuent la carte du monde . Inadmissible . Et le Liban payera les conséquences : Ils nous obligeront a donner la natiobalité libanaise aux refugiés palestiniens : Pas de droit de retour ! C'est le plus gros danger contre l'existence du Liban , la Palestine est morte, le Liban la remplace comme patrie des palestiniens refugiés depuis 1947 et tous les autres qui sont arrivés chez nous après cela Injustice trop forte , trop flagrante , les Etats-Unis sont un Etat voyou

    Chucri Abboud

    21 h 37, le 28 janvier 2020

  • LA PARISIENNE Certains prennent leurs souhaits de conflit pour des réalités : Ils sont dépressifs; d'autres proposent des analyses truffées de supputations, de verbes au conditionnel, et de "vraissemblablement": Ils sont agressifs; mais personne ne veut que Palestiniens et Israeliens - dans deux Etats indépendants- puissent vivre en PAIX...Ce n'est pas dans leurs gènes, dans un Moyen-Orient éternellement en guerre !

    Saab Edith

    17 h 40, le 28 janvier 2020

  • Israël n'a jamais tenu compte de n'importe quelle résolution ONUSIENNE ou autre concernant la Palestine occupée par elle...et maintenant, avec le soutien de Trump...plus que jamais! Elle table aussi sur les divisions et rivalités des Palestiniens (et des Arabes) entre eux ! Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 07, le 28 janvier 2020

  • DIAB & HITTI sauront ils - pourront ils faire BEAUCOUP MIEUX que hariri&jobran pour nous assurer une paix certaine en cette periode actuelle & surtout a venir ? HITTI reussira t il a faire oublier l'incoherence de jobran, les contradictions de jobran,l'impatience du monde face aux boutades arrogantes de jobran ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 00, le 28 janvier 2020

  • L IRAN qui a un immense territoire,pourrait en ceder une partie pour creer un Etat palestinien,notamment dans les zones riches en petrole.

    HABIBI FRANCAIS

    08 h 19, le 28 janvier 2020

  • CA VA ETRE REJETE PAR LA MAJORITE ECRASANTE DES PAYS DU MONDE ET DE TOUS LES PAYS ARABES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 33, le 28 janvier 2020

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