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Nos Lecteurs ont la Parole - Sissi BABA

Révolution d’octobre

C’est octobre… Et le titre me vient en russe. Le vent du Nord donne l’élan, il hisse le drapeau, la pluie qui tombe sur le Palais d’hiver devenu l’Ermitage tombe ici… Mais fini avec la poésie, les grands rêves de petits romantiques, les mots, la littérature, les slogans, les chansons… Tout cela ne veut rien dire tant que cela ne vaut rien… pour certains.

Pire que le déni des gouvernants est cette réaction – non des désespérés qui, à force d’y croire, n’y croient plus – mais des sceptiques et des sarcastiques qui décident de douter, de rire, de détourner ou de fléchir au moment de devoir tenir bon, ce qui est un devoir civique en soi.

On aime le doute, il paraît intelligent, plutôt intellectuel. On ne fait pas comme tout le monde, on n’est pas des « followers », on ne se laisse pas aller par la vague en vogue car on n’est pas impulsif, surtout pas émotif, comme si les révolutions sont des best-sellers, des affaires de cœur ou de saisons, une mode « trending » en vain et en déraison. On ne fait pas partie du peuple qui est plutôt une masse manipulée par les médias. On doute, et le doute est bon, même nécessaire. Sauf qu’il permet de réfléchir, jamais de fléchir. Et qui doute cherche et se lance dans la recherche.

Le 17 octobre : la flamme de la révolution a tout à coup éclaté ; les « tout à coup » en histoire ne sont pas pour autant miraculeux. Les causes profondes ou indirectes remontent à plusieurs facteurs : le cumul d’incompétence et de corruption des familles oligarques qui contrôlent, voire s’approprient en pieuvre les rênes du pays ; le prompt enrichissement de leurs cours et alentours ; la conception des lois garantissant leur arrivée (ou pérennité ! ) au pouvoir ; le recours au confessionnalisme pour mieux diviser le peuple afin de mieux profiter des fortunes publiques ; l’absence de réformes ; la crise économique qui s’empire ; le vol insouciant des fonds publics ; les fraudes à grande échelle ; les promesses jamais tenues depuis des décennies ; les satires parlementaires où l’on se lance des accusations sans jamais dévoiler un seul nom (parce qu’on se tient en solidarité dans les coulisses de l’escroquerie), ainsi donc, on n’accuse pas pour ne pas être accusé, etc.

Tout ce vent de longue haleine de panique et de désespoir venait de se nourrir de la flamme directe : les incendies non gérés et la conception d’impôts illogiques qui se moque ouvertement de l’intelligence du peuple en réduisant son pouvoir de s’exprimer. Enragé, le vent des vallées brûlées a embrasé le corps du peuple partout dans le pays. Ce n’est plus le centre qui témoigne d’une libération vitale des trois autorités, c’est tout le pays qui désacralise ses icônes politico-confessionnelles, déchire les photos, les piétine même pour hisser un seul drapeau. C’est en perdant foi en toute la classe politique actuelle que le peuple vient de renouveler sa foi en son pays. Plus de clan ni de « zaïm », plutôt des fonctionnaires compétents et honnêtes, donc forcément hors de la sphère politique actuelle, malheureusement, toute pourrie.

Cette longue quête du peuple vers citoyenneté et réformes n’a pas besoin de plus d’obstacles, on peut l’épargner donc des sarcasmes : cette révolution n’est pas, comme certains l’insinuent ou l’affichent, un complot contre un parti ou un mandat, elle n’est pas la vengeance des chômeurs et des démunis, elle n’est pas une réaction impulsive et irréfléchie, elle n’est pas chaos et anarchie, elle n’est pas jeunesse perdue et cause absurde – car les causes se vendent et se perdent – elle n’est pas la toupie des ambassades, elle n’est pas une fiévreuse frénésie d’hormones. Oui, il y avait hormones, dans le temps, il y avait même grossesse. Puis nous avons subi le plus long labeur de malheurs enchaînés ; la révolution en est le fruit. C’est le fruit des réflexions, des longs textes de journalistes, de professeurs, d’écrivains, de poètes, de dramaturges ; et c’est justement ce long souffle de pensées et de souffrances qui garde enflammée la torche de cette révolution. Et si le chaos existe, c’est seulement pour mener à l’ordre. Si chants et danses existent, c’est parce que nous aimons la vie et c’est ainsi que nous la percevons. Anarchie ? Le monde témoigne d’une révolution des plus civilisées, et les mots s’éclipsent devant les images. « Pourquoi maintenant », dit-on en giflant, en crachant même sur Justine qui a été mille fois violée par religieux et clients, mais surtout par les maquereaux qui accusent le « j’accuse » du peuple en le traitant de traître… de maquereau. Ils ont tous oublié les causes profondes, les souffrances profondes, les traumatismes profonds, les réflexions profondes, les prières profondes… Et la profondeur est verticale, et la flèche montait du bas, en silence, du silence, en crescendo, pour enfin frapper en force, bouleverser les normes, basculer tout un régime confessionnel en espérant châtier le berger, ce « bon pasteur » qui s’avère pire qu’un loup, simplement parce qu’il est l’antéchrist qui continue, jusqu’aujourd’hui, à insuffler le mensonge.

Après le 17 octobre 2019, la formule « Dieu-Liban-X » ne fonctionne plus. Revendiquer la citoyenneté est l’essence de cette révolution locale sans tête, car ce sont les têtes de révolution que les ambassades d’habitude soutiennent (Lénine, Khomeyni). Le peuple s’est enfin unifié derrière les symboles collectifs qui font un pays, il cherche désormais des fonctionnaires honnêtes et compétents afin de restituer les symboles étatiques bafoués par ceux qui les occupent. Désormais, il y a des mots, slogans et poèmes qui réclament « La liberté de changer de ciel/Le sentiment de la dignité/et beaucoup d’autres choses/Dont on ose refuser la possession aux hommes ». Non, ce n’est pas encore fini avec la poésie, les rêves, la générosité, le sens de communauté – il suffit d’avoir un peu de cœur pour y croire au lieu de la malice et du mépris qui empêchent de voir.

Ça vient de loin, ce vent qui a mené le cou de Louis XVI à la guillotine, ça vient de la France, ça vient de Russie, c’est dans le titre ! D’octobre 17 au 17 octobre, rappelons que l’histoire châtie les monarques insensibles quand ils s’avèrent des puissances seulement verbales, des portraits de chefs plutôt que des responsables. Toutes les « figures intouchables » ont fini par chuter, par être plus que touchées. Ici, les symptômes sont les mêmes, toutes les « figures » s’attachent davantage au trône, leurs discours, davantage néo-fascistes… On a vu en Russie aussi ce très vieux « intouchable » président des années 90 qui faisait rire les caméras locales et internationales tellement il trébuchait que ni montage ni maquillage ne pouvaient sauver sa face. Le but de son mandat, réformer un pays sortant de la guerre et combattre la corruption. Entre-temps, il partageait le pouvoir avec les familles oligarques qui appauvrissaient le peuple. Eux aussi combattaient la corruption. Eux aussi dispersaient leurs mafias noires. Eux aussi signaient des contrats noirs en bénéficiant des clients étrangers qui violaient Justine en usurpant ses vertus. Finalement, eux aussi ont fini derrière les barreaux.

C’est octobre, et la pluie de la révolution tombe sur une terre qui bourdonne et qui secoue les intouchables. Le Liban au bois brûlé s’est enfin réveillé, qu’on ne fléchisse donc pas au moment du combat surtout qu’on s’approche du dénouement. Si leur légitimité est soutenue ouvertement par les ambassades, c’est au peuple de soutenir son pays. Que les romantiques chantent ce qu’ils voient car ce qu’ils voient n’est plus un rêve, que les réalistes planifient avec les spécialistes, que les résidus croient toujours aux promesses illusoires de leurs chefs, que les sarcastiques sollicitent en eux l’empathie avant la sympathie. Avec le temps, tout se clarifie, et l’on saura quel article ajouter au titre, en espérant qu’il sera défini(tif).

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

C’est octobre… Et le titre me vient en russe. Le vent du Nord donne l’élan, il hisse le drapeau, la pluie qui tombe sur le Palais d’hiver devenu l’Ermitage tombe ici… Mais fini avec la poésie, les grands rêves de petits romantiques, les mots, la littérature, les slogans, les chansons… Tout cela ne veut rien dire tant que cela ne vaut rien… pour certains. Pire que le déni des...

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